En Côte d’Ivoire – Un Français dans la ligne de mire de l’UE (Article + commentaires)

Frédéric Lafont, ici en compagnie de Michel Acariès

Antoine Kowalski et Christine Ollivier

Un couple français est soupçonné d’avoir violé l’embargo imposé à la Côte d’Ivoire et se retrouve sur la liste des « proscrits » de l’UE. Leur avocat, Maître Collard, entend saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Frédéric Lafont et son avocat se sont confiés à France Soir.

L’Union européenne (UE) a approuvé vendredi 31 décembre des sanctions contre 59 proches du président ivoirien sortant Laurent Gbagbo. Les 59 personnes qui figurent sur cette liste sont désormais interdites de visas pour l’UE. Parmi elles, deux ressortissants français, Frédéric Lafont et son épouse, Louise Kado-Lafont, tous deux entrepreneurs. Selon Bruxelles ils sont « susceptibles d’agir en violation de l’embargo » imposé à la Côte d’Ivoire.
Le couple Lafont, sanctionné par l’UE est actuellement dans le sud de la France. Il se retrouve dans une situation kafkaïenne.

Interdits de visas comme 57 dignitaires pro-Gbagbo, les deux Français ont un passeport… français et personne ne peut les empêcher dès lors de circuler. C’est ce que confirme l’ambassadeur de France à Abidjan, visiblement gêné : « Ils ont un passeport français, ils peuvent circuler ». Impossible de savoir pourquoi ces deux ressortissants sont visés par des sanctions de l’UE. « La liste parue n’est pas officielle, elle n’est pas encore parue au Journal Officiel de l’UE, elle n’a pas encore de valeur légale… Attendons qu’elle le soit », se défend-il. Or, cette liste est parue le 31 décembre.

Une ambassade française gênée
Pourquoi ces deux Français sont-ils sur cette liste ? « Demandez à Bruxelles et interrogez le Conseil Européen », répond l’ambassadeur Simon qui soutient que la décision n’a pas été prise à l’ambassade de France à Abidjan. Le porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valéro, contacté mardi soir détaillait le processus différemment : « La décision se prend à deux niveaux. Les ambassades européennes à Abidjan sélectionnent ensemble les noms puis Bruxelles prend le relais ». Que signifie « susceptible d’agir en violation de l’embargo » ? Nouveau silence de l’ambassadeur. De quoi sont-ils soupçonnés ? « On ne soupçonne rien du tout ! Attendons la publication », se reprend-il.

Frédéric Lafont est revenu en France pour se défendre. Il a pour avocat Maître Collard. Selon le principal intéressé, on lui reproche d’avoir fait du transport d’armes à l’occasion de deux vols de sa compagnie aérienne Sophia. « Ce n’est pas vrai, je faisais du transport de fonds pour la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest (BCAO). L’argent transporté lors de deux vols dans des caisses en bois ne contenait pas d’armes », maintient-il en assurant pouvoir en apporter la preuve. L’ancien légionnaire raconte qu’on l’accuse également d’avoir transporté des mercenaires depuis l’Angola : « Jamais aucun de mes avions ne s’est posé là-bas ! C’est de la diffamation pure et simple, certaines personnes veulent se venger ! » s’emporte-t-il.

« Je ne fais pas de politique. Je suis un businessman »
« Je ne fais pas de politique. Je suis un businessman, je suis dans la sécurité, le transport, la restauration. J’ai beaucoup d’activités. Chez moi il y a des pro-Gbagbo et des pro-Ouattara. Je travaille pour tout le monde », souligne le sous-officier à la retraite. Et pour certifier sa capacité à travailler avec tous, il ajoute : « c’est fort quand même, l’UE me sanctionne alors que le 28 novembre lors du deuxième tour de la présidentielle en Côte d’Ivoire, le responsable de la sécurité des observateurs de l’UE dans le Nord m’a téléphoné en urgence pour que je vienne rechercher 17 observateurs qui se faisaient molester ! Ils m’ont remercié en me disant qu’ils avaient craint de se faire couper en deux ! Mais ça on en parle pas ! D’ailleurs, j’attends toujours que Bruxelles me paye la troisième facture… », se défend l’homme d’affaire français.

Maître Collard, s’indigne de cette situation. L’avocat de l’entrepreneur français et de son épouse va déposer un recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et sommer la Commission Européenne, qui a pris les sanctions, d’expliciter les motifs de sa décision. « On se retrouve devant deux citoyens français qui normalement ne pourraient plus rentrer en France. L’UE se permet d’établir une liste de proscrits en violation de toutes les règles et en particulier celle de la présomption d’innocence ! ». L’avocat exige des explications : « Comment cette liste a-t-elle été établie ? Sur la base de quoi ? ». Selon le conseil, « c’est une interdiction qui n’est pas fondée ». Et l’avocat de s’interroger sur « le jeu de l’UE dans cette affaire » : « Je ne suis pas l’avocat de Gbagbo, ce n’est pas la question, mais on voit que l’UE est prête à faire n’importe quoi pour déstabiliser Gbagbo ». En tout cas pour Gilbert Collard les autorités françaises « se cachent derrière l’UE ».

Son client, Frédéric Lafont est un type « flamboyant » et présente pour le moins un parcours atypique selon une de ses connaissances. Issu d’une famille protestante et aisée de Marseille, le jeune homme à la bougeotte. Plusieurs fois « viré » de différents lycées, il s’engage dans la Légion étrangère juste après l’obtention de son baccalauréat. Il y passe 15 ans, entre la République centrafricaine, Djibouti et la Guyane. En 2000, il a alors 32 ans, Frédéric Lafont, sous-officier, débarque avec ses hommes en Côte d’Ivoire. Alors que le pays vient de connaître un coup d’Etat, le Français tombe amoureux de la région et décide d’y passer sa retraite après son temps de service. Un an plus tard, en 2001, il se reconvertit et devient entrepreneur dans le domaine de la sécurité. Sa société commence par importer des matériels tels que du gaz lacrymogène, des armes de défense, des gilets pare-balles, des radios, des matériels d’écoute.

Son domaine : la sécurité
Avec un pays en pleine crise, les business marche fort à tel point qu’il lance une autre société, « Risk », assurant la protection d’institutions comme de personnes avec des méthodes « modernes ». Il ne s’arrête pas là et se lance dans le domaine de la nuit, de la restauration, du sport allant jusqu’à relancer la boxe locale et créer une équipe cycliste. Ses activités florissantes dans le Golfe de Guinée en font un des personnages incontournables de l’économie ivoirienne.

L’ex képi blanc emploie près de 4.000 personnes en Côte d’Ivoire mais aussi au Togo au Maroc, en Algérie et en Tunisie et détient en outre une compagnie aérienne, baptisée Sophia. Frédéric s’est marié à Louise Kado, une Franco-Ivoirienne influente, qui dirigeait une des branches africaines de la Mediterranean Shipping Company SA, tout en présidant l’association des armateurs de Côte d’Ivoire. Frédéric et Louise ont ensemble par la suite racheté l’entreprise « Vision », spécialisée dans le gardiennage et dans la sécurité des navires. « Vision » est en charge de la sécurité, si sensible, des deux poumons économiques du pays, le port d’Abidjan et celui de San Pedro par où transitent les 1,335 millions de tonnes de cacao du premier producteur mondial.

Une connaissance du couple ne veut pas croire au scénario du trafic d’armes impliquant Frédéric Lafont : « C’est un homme d’affaire. C’est certain. Je ne dis pas qu’il n’a jamais franchi la ligne jaune mais ce n’est pas un tordu. Il a gagné tellement d’argent et il est si peu discret, avec ses voitures de courses et sa réussite affichée qu’il a pu se créer des jalousies ». Des jalousies ? Cet ancien militaire de carrière aurait pu aussi s’en créer selon lui parmi les gradés français en place à Abidjan.

francesoir.fr

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