Paris tourne une page de son histoire en Côte d’Ivoire

par Patrick Vignal

PARIS (Reuters) – La forte réticence de Paris à intervenir militairement en Côte d’Ivoire semble marquer la fin d’une époque tumultueuse marquée par une intense activité de l’armée française sur le sol africain.

En vertu d’accords de défense et de coopération passés avec ses anciennes colonies africaines après leurs indépendances, la France a mené une quarantaine d’opérations à travers le continent en un demi-siècle.

Qu’il s’agisse de soutenir un chef d’Etat ami menacé par des rebelles, de s’opposer à l’avancée d’une puissance hostile ou simplement de protéger ses ressortissants, Paris n’hésitait pas à engager ses troupes, soit par des coups de force ponctuels, soit par des déploiements importants et durables.

Les controverses soulevées par l’opération « Turquoise » au Rwanda, en 1994, et, plus récemment, par l’intervention française de 2004 en Côte d’Ivoire, au cours de laquelle neuf soldats de la force Licorne ont été tués lors du bombardement de Bouaké, ont changé la donne.

« Il y a cette espèce de tache, de péché originel de l’intervention française de novembre 2004 qui va empêcher la France d’intervenir militairement en Côte d’Ivoire et plus généralement en Afrique », estime l’universitaire Christian Bouquet, spécialiste de géopolitique africaine. »

La volonté affichée par Nicolas Sarkozy de tourner le dos à tout un aspect occulte des relations franco-africaines, regroupé sous le terme de « Françafrique », et particulièrement à son volet militaire, joue également un rôle dans l’évolution de la politique française.

L’expression « Françafrique », qui aurait été utilisée pour la première fois dans les années 1950 par l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, désigne à l’origine la volonté d’un certain nombre de dirigeants africains de conserver des liens privilégiés avec la France après avoir accédé à l’indépendance.

Les réseaux d’influence militaire mais aussi politique et économique de la France sont restés actifs dans ses anciennes colonies africaines et également dans les territoires francophones comme la République démocratique du Congo ou le Rwanda, anciennes colonies belges.

UN MESSAGE CLAIR

Les temps, pourtant, où la légion sautait sur Kolwezi et où les militaires français intervenaient périodiquement au Tchad pour soutenir le président Hissène Habré, semblent révolus.

Dès le début de la crise ivoirienne, le message des autorités françaises est clair. Le président sortant Laurent Gbagbo doit céder sa place à Alassane Ouattara mais la responsabilité d’une opération militaire incombe à l’Afrique.

La France n’interviendrait éventuellement que pour protéger ses quelque 15.000 ressortissants et mesure le risque qu’une opération militaire ferait peser sur eux.

« Toute gesticulation de la part de la formation Licorne, qui est la seule à vraiment pouvoir intervenir, risque de susciter de la part de la partie fanatisée de la population ivoirienne une telle réaction de rejet que ce serait contre-productif' », explique Christian Bouquet.

L’armée française dispose de la force de frappe pour intervenir mais certains militaires s’interrogent discrètement sur la pertinence d’une intervention.

« L’armée ivoirienne n’est pas la troisième armée du monde », souligne une source militaire française. « Le problème de l’option militaire, c’est d’en définir l’objectif et cette décision est politique.

« Quel est le but recherché par une intervention militaire en Côte d’Ivoire et quelle serait sa légitimité ? C’est la question à se poser », ajoute cette source. « Une opération militaire coercitive et volontariste ne mènerait pas à grand-chose. Quelle serait la légitimité d’un président ivoirien installé par la force par une puissance militaire européenne ? »

NOUVELLE POLITIQUE

Instruite par les échecs du passé, la France tente de redéfinir sa politique militaire en Afrique selon un axe qui pourrait se résumer ainsi : intervenir moins pour dépenser moins.

Dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), les dépenses militaires sont réduites de manière drastique, et les opérations à l’étranger ainsi que l’installation de militaires et de leurs familles hors de l’Hexagone coûtent cher.

« Je ne vois pas d’infléchissement de la politique militaire de la France », explique Christian Bouquet.

« Il y a un désengagement général de la France sur la carte de l’Afrique, que l’on constate également avec la réduction des effectifs à Djibouti. Il y a un contexte économique et il y a un prétexte idéologique qui avait défini en ces termes Lionel Jospin : ni indifférence, ni ingérence. »

Reste à définir une nouvelle politique. Elle sera financière, pour aider les armées africaines à devenir des troupes aguerries sur le plan du maintien de la paix, notamment face à Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), estime Christian Bouquet.

Celui qui prédit un avenir « assez sombre » au continent africain dessine pour la France une noble mission: « transformer les armées africaines en soldats de la paix. »

Edité par Yves Clarisse

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