Sud-Soudan | La marche vers l’indépendance

Le 9 janvier, si tout va bien, les électeurs choisiront de faire sécession. Un référendum pour tourner la page des années de guerre et auquel Khartoum semble s’être finalement résolu.

Depuis cinq jours, la barge ralentie par ses soixante-quinze passagers remonte les eaux du Nil Blanc. Le bruit des flots perturbe à peine le ronronnement du moteur. À bord, écrasés par le soleil de midi, les regards sont vides. Allongés sur leurs valises et leurs matelas roulés, ils quittent le Nord, où ils avaient trouvé refuge pendant ce qui fut la plus longue guerre civile d’Afrique (voir chronologie ci-dessous).

Photo: Karel Prinsloo/AP/File | John Garang, tué le 30 juillet 2005 dans un accident d'hélico

Jeune-Afrique – Par Thomas Dandois et David Geoffrion, à Juba

Des familles entières font route vers Juba, capitale du Sud-Soudan. Le 9 janvier, beaucoup prendront part au référendum d’autodétermination. « Au Nord, nous étions considérés comme des citoyens de seconde zone, s’emporte Nagua. Nos droits n’étaient pas respectés. Si nous avions besoin de nous faire soigner à l’hôpital, nous n’étions jamais reçus, à cause de la couleur de notre peau. Alors, maintenant, nous partons vers notre nouveau pays pour aller voter. » Derrière elle, les autres passagers opinent du chef. Tous tiennent le même discours mâtiné de souvenirs blessés et de rêves d’indépendance.

Depuis octobre, ils ont été plus de 70 000 à revenir au pays. L’administration leur a donné un nom : les returnees. Ils ont débarqué dans les grandes villes du Sud, à Bentiu, Malakal ou Bor. Ceux qui ont choisi de s’installer à Juba ont eu la surprise de découvrir une cité métamorphosée. Il y a encore cinq ans, ce n’était qu’un entrelacs de chemins poussiéreux et de maisons en terre. Aujourd’hui, les rues du centre sont parfaitement goudronnées. Hôtels, stations-service, banques et restaurants pullulent.

Depuis la signature des accords de paix, en 2005, le Sud-Soudan dispose de son propre Parlement, d’un président et de ministres. L’élite politique, issue pour une large partie de l’ancienne rébellion (l’Armée populaire de libération du Soudan, SPLA, branche armée du Mouvement populaire de libération du Soudan, SPLM), a pris en charge le développement de la région et gère les retombées financières de l’exploitation du pétrole. À l’extérieur, on doute parfois de leur compétence, mais à Juba le résultat est flagrant. Ils ont construit des routes et équipé en eau et en électricité de nombreux quartiers. « Je suis très fier de ce qu’ils ont fait pour le peuple noir, raconte Peter, au volant de son 4×4. Avant, il n’y avait que six voitures dans Juba. Aujourd’hui, il y a tous les jours des embouteillages. Nous sommes plus riches, et cela se voit. » Depuis plusieurs semaines, cet ancien soldat de la rébellion a repris du service : il a troqué son kalachnikov contre un haut-parleur et appelle au civisme. « Venez voter le 9 janvier pour votre pays. Nous avons besoin de tout le monde ! » Emporté par son enthousiasme, il oublie de mentionner que Juba est aussi devenue l’une des villes les plus chères d’Afrique. Avec l’arrivée des compagnies pétrolières et des ONG, les prix sur les marchés se sont envolés. Il ne dit pas non plus que, dans le reste de la région, pistes et routes ne sont pas entretenues. Que dans les hôpitaux il n’y a ni personnel qualifié ni médicaments, et que les ONG médicales internationales installées dans les campagnes sont les seules à fournir des soins. Que l’immense majorité des villages n’a ni eau ni électricité. Et que l’agriculture, encore largement sous-développée, ne suffit pas à nourrir les populations. « Aujourd’hui au Sud-Soudan, plus de 40 % de la population est en insécurité alimentaire permanente, ajoute Eunice Smith, responsable du Programme alimentaire mondial (PAM) pour la région du Haut-Nil. Référendum ou non, cette situation catastrophique va perdurer. »

Dans tout le Sud-Soudan, la commission du référendum a mis en place des bureaux d’enregistrement. Ils ont été des milliers, chaque jour, à venir apposer leur empreinte en guise de signature. Quand les bureaux ont fermé, le 8 décembre, on comptabilisait près de 3 millions d’inscrits pour 9 millions d’habitants. Les élus sud-soudanais ont multiplié les déclarations pour expliquer que la région était en mesure d’assumer son indépendance. Parmi eux : Joy Kwaye Eluzai, parlementaire. « Aucun pays d’Afrique n’a eu à lutter aussi longtemps que nous pour ses droits, insiste-t-elle. Avec l’accord de paix, nous avons montré que nous étions capables. Nous avons constitué un gouvernement, une assemblée parlementaire, édicté des lois. Ce sont des preuves évidentes de notre détermination et de notre capacité à avoir notre propre nation. »

Au siège du SPLM, son porte-parole, Ien Mathew, évoque, dans un anglais à l’accent oxfordien, l’enjeu majeur de ce rendez-vous historique : le pétrole. Quatre-­vingts pour cent des réserves soudanaises se trouvent au Sud. « Les minerais et le pétrole, sur lesquels le Soudan s’est appuyé pour se développer, viennent en grande majorité du Sud, affirme-t-il. Pourtant, jamais un représentant des tribus du Sud n’a eu la possibilité d’être président du Soudan. Nous avons toujours été soigneusement écartés du pouvoir. » Lorsqu’on lui demande s’il est prêt à reprendre les armes pour faire reconnaître les droits de son peuple, la réponse tombe, dans un large sourire : « Nous ne voulons pas la guerre, mais si on nous pousse, nous aurons toujours le droit de nous défendre. »

Si le Sud peut librement choisir son destin, nul doute qu’il deviendra indépendant. Après des mois d’incertitudes, Khartoum semble s’y être résigné – non sans promettre, en cas de sécession, un raidissement religieux au Nord. Les autorités craignent des flambées de violence dans les zones frontalières comme à Abyei, province riche en pétrole où un second référendum doit trancher entre un rattachement au Nord ou au Sud. La redistribution de l’argent du pétrole fut d’ailleurs (avec la mise en application de la charia, voulue par le Nord) l’une des raisons des vingt-deux années de guerre civile.

En attendant, dans toutes les casernes de gendarmerie et de police, les gradés ont constitué des groupes dont la mission est d’assurer la sécurité des différents points de vote. Des officiers des Nations unies leur donnent des cours sur la conduite à tenir en cas de violences. « Si vous constatez une menace quelconque, vous devez prendre les mesures nécessaires pour rétablir la sécurité. Il faut désarmer les gens, protéger les urnes et les bulletins de vote », leur explique-t-on. Suit une formation pratique pour apprendre à désarmer les éléments perturbateurs. Dehors, les futurs gardiens de prison apprennent à marcher au pas sous le soleil brûlant. Le mouvement synchronisé des sections a comme un air de défilé officiel pour une fête nationale. Tout un symbole.

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