Revue de Presse – Ce qui se joue en Côte d’Ivoire mérite une observation supplémentaire

REUTERS/Luc Gnago (IVORY COAST - Tags: POLITICS)

Péan et son lobby du « nouvel anticolonialisme »

Ce qui se joue en Côte d’Ivoire mérite une observation supplémentaire

Cette réalité serait particulièrement manifeste à travers les cas du Rwanda et du Soudan. Concernant le Rwanda, il y a suffisamment de gens sérieux et compétents pour remettre l’auteur à sa place de négationniste avançant (mal) masqué. On se limitera ici à la façon dont est abordée la crise au Darfour, province occidentale du Soudan, le plus vaste pays d’Afrique que ses ennemis, Israël en tête, s’acharneraient à « disloquer ». Pour parvenir à leur fin, ils auraient utilisé ces fameux lobbies dont la mission aurait été de susciter l’empathie de l’opinion en faveur des populations darfouries et, ce faisant, de préparer le terrain pour le renversement du régime soudanais. Pierre Péan en veut pour preuve l’action menée aux USA par l’ONG Save Darfur et de ce qui en serait la « copie conforme » en France, à savoir le Collectif Urgence Darfour.

Etant le secrétaire général de cette association, je me vois ainsi classé de facto parmi les agents de la politique de Tel Aviv en France. On frôle ici la diffamation. Le célèbre enquêteur me présente comme « ancien militant de la LCR qui a fait campagne depuis lors contre Siné ». Exact. Mais ce n’est pas tout : j’ai très longtemps été militant d’un courant d’origine trotskiste, dont l’une des spécificités était d’appliquer un internationalisme assez activiste ; ce qui conduisait à plonger dans les luttes menées aux quatre coins de la planète… Pourquoi toutes ces précisions ? Parce qu’il s’avère que mon passé aurait également mérité d’être dénoncé par Pierre Péan. En effet, en soutenant les Algériens pour leur indépendance, puis les Vietnamiens contre l’agression américaine, en dénonçant les régimes staliniens et maoïstes, en me mobilisant pour les droits des Palestiniens ou contre la dictature de Pinochet, en manifestant contre la guerre en Irak ou le massacre des Tchétchènes, je pratiquais, à la façon de M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, la pire des ignominies politiques selon Péan : je me rangeais déjà parmi les « droitsdelhommistes », ceux, dit-il, qui voudraient imposer « le chemin à suivre en dissimulant leur néocolonialisme intellectuel dans les plis du drapeau universaliste aux couleurs des droits de l’homme occidental ». Car, ne nous y trompons pas, c’est eux que notre homme cible en fin de compte au bout des quelque 550 pages de son opus, dont la citation qui précède constitue la dernière phrase.

Disqualifier la lutte universelle pour la justice et les droits de l’homme en voulant la faire passer pour la couverture d’ambitions coloniales piétinant traditions et cultures locales, c’est désormais la combine de tous les régimes autoritaires de par le monde, celle aussi de leurs protecteurs et soutiens. Serait-ce donc du néocolonialisme intellectuel droitsdelhommiste occidental que d’exiger des lois protégeant les mineurs chinois des conditions de travail qui les font mourir par milliers, que de s’insurger contre le risque de lapidation de Sakineh en Iran, que de protester contre les attentats anti-chrétiens en Egypte (ou en Irak), que d’exiger de Gbagbo qu’il cède la présidence à Ouattara qui l’a battu dans les urnes ?

Ce qui se joue en Côte d’Ivoire mérite une observation supplémentaire. Dans les drames que vit l’Afrique, Pierre Péan voit donc un peu partout l’œuvre maléfique des Etats-Unis et d’Israël, lequel est souvent désigné au fil des pages comme le véritable tireur de ficelles. Israël, à en croire Péan, comploterait en permanence, aidé par la bienveillance du monde occidental, pour affaiblir l’ennemi islamique. On se demande alors bien pourquoi lesdits Occidentaux, au lieu de se frotter les mains devant le refus de Gbagbo le chrétien de quitter la place, soutiennent le vainqueur du scrutin, Ouattara le musulman. Sans doute est-ce encore un effet de leur néocolonialisme culturel qui leur fait préférer malgré tout le respect des résultats d’un scrutin électoral.

Revenons sur le Darfour, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il est exclusivement peuplé de musulmans. Pour prouver que les horreurs qui ont frappé les populations civiles (300.000 morts comptabilisés par l’ONU en 2007, et 2,7 millions de déplacés à la même date, chiffres aggravés depuis) résultent de machinations secrètes, généralement planifiées par les non moins secrets services israéliens, Péan va jusqu’à nous asséner les analyses et pseudo-révélations de l’entourage du dictateur soudanais El-Béchir. On ne sait trop si l’écrivain les reprend intégralement à son compte, toujours est-il qu’il reproche à la presse ici de ne pas avoir donné la place qu’elles méritent aux déclarations d’un conseiller d’El-Béchir selon lequel le “lobby sioniste“ (ces guillemets sont de Péan qui sait que la formule est quand même un peu connotée…) soutient les rebelles darfouris et, mieux, qu’ils sont entraînés en territoire israélien.

Le schéma de la conspiration israélo-américaine contre le brave Etat soudanais tel que nous la révèle l’auteur de Carnages est simple : on utilise des groupes rebelles au Darfour ; lorsque le gouvernement soudanais réplique on fait croire qu’il commet un génocide ; pour accréditer ce mensonge dans l’opinion avec l’espoir que, émue, elle exigera des réactions de ses gouvernants, on fait donner les lobbies pro-israéliens maquillés en association humanitaire. Et en France, donc, c’est le Collectif Urgence Darfour qui servirait de déguisement. Certains amis du Conseil d’administration de notre collectif vont être ainsi tout aussi étonnés que moi de se découvrir, grâce à la perspicacité de l’homme qui soulève le dessous des cartes sionistes, embringués dans un lobby pro-israélien. Je pense aux représentants des diverses associations arméniennes, à ceux de France Terre d’Asile, du Mouvement de la Paix, aux Rwandais d’Ibuka et à la fondatrice du Comité Vigilance Soudan qui dénonce depuis des décennies, grâce à ses liens avec les Pères Blancs, les crimes et injustices dont souffre la population soudanaise…

Avouons cependant : nous avons avec nous plusieurs délégués d’associations juives. Et même des Juifs qui ne représentent qu’eux-mêmes. Mais est-ce si surprenant qu’associations juives, arméniennes et rwandaises se soient mobilisés parmi les premières en faveur d’une population victime de massacres de masse ? Quand le procureur de la Cour pénale internationale inculpe le bourreau en chef du Darfour de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide, faut-il y voir un nouveau coup du Mossad pour faciliter « les actions d’influence de quelques personnalités et groupes juifs en France » ?

Pierre Péan doit être travaillé par d’étranges passions pour ne pas comprendre que la tragédie du Darfour résonne de façon singulière parmi tous ceux que l’horreur des génocides passés blesse encore. Mais au fait, si les droits de l’homme finissaient par l’emporter et que tombe la dictature militaro-islamiste d’El-Béchir, établie il y a plus de vingt ans par un coup d’Etat et prolongée par des élections truquées, s’en plaindrait-il ?

lundi 10 janvier 2011,
Stéphane@armenews.com

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