Côte d’ivoire: plus qu’un scénario probant

Par Louis-Marie Kakdeu

La crise ivoirienne est en train de tourner vers là où elle aurait dû commencer conformément aux canons diplomatiques classiques. Il va s’en dire que la logique des relations internationales n’a jamais été celle des droits de l’homme. Elle a toujours été celle de la realpolitik et/ou des rapports de force. Et lorsqu’il y a équilibre des forces, on négocie. D’ailleurs, l’humanitaire Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères, demandait en France la suppression du Secrétariat aux droits de l’homme en affirmant que «c’était une erreur » et en insinuant que les intérêts économiques de la France ne flirtaient pas avec les préoccupations de l’humanité. Une fois de plus, l’hystérie collective comme stratégie de communication politique a échoué et la communauté internationale s’est banalisée. Il s’avère que le Président Gbagbo classé sous le coup de l’émotion comme persona non grata en Occident peut de nouveau y être reçu. Sur le plan géostratégique, l’Occident, à travers ses « folles » déclarations démesurées, avait oublié que la Côte d’ivoire, puissance agricole, pouvait frapper la France en particulier et la Cédéao en général, de sanctions économiques sévères. Sur le plan monétaire, le France en particulier et la Cédéao en général, avait oublié que le retrait de la Côte d’Ivoire du Franc CFA pouvait définitivement compromettre la mise en œuvre de cette politique monétaire largement contestée. Sur le plan militaire, la communauté internationale avait sous-estimé la capacité de Gbagbo à mobiliser ses troupes aussi bien à Abidjan qu’à Yamoussoukro et à déstabiliser les Forces Nouvelles et l’Onuci. Et sur le plan politique, tous les Chefs d’Etat qui préparent les échéances électorales y compris Sarkozy et Obama, ne prendront pas le risque de diviser leur électorat en s’engageant dans une guerre meurtrière et fatale en Côte d’Ivoire. Car, comme a conclu la télévision publique suisse, TSR, les enjeux en Côte d’Ivoire sont tout sauf la démocratie. Sur la base des procès-verbaux disponibles et sur la base des rapports des observateurs internationaux, il est difficile pour tous les négociateurs déployés à Abidjan d’affirmer que les élections présidentielles du 28 novembre 2010 ont été « démocratiques » ou libres et transparentes.

La situation électorale en Côte d’Ivoire n’est nullement pas comparable à celle du Kenya en ce sens que Raila Odinga, victime du tripatouillage des élections en son temps, n’avait pas obtenu la mise sur pied d’un comité d’évaluation et le recomptage des votes que Gbagbo propose pour la sortie de la crise. Dans les faits, la communauté internationale n’acceptera pas le recomptage des voix susceptible de ne pas tourner à l’avantage du candidat Ouattara dans un contexte où il est exclu que l’opinion occidentale soupçonne que leurs dirigeants se sont empressés de soutenir le faux en Afrique. En effet, lorsque les Etats-Unis excluent d’office une opération de recomptage des voix, cela est curieux. D’ailleurs, un proverbe africain dit que « seule la personne qui a quelque chose à se reproche, tremble. » Cette solution est pourtant efficace et efficiente pour cette situation d’équilibre des forces dans ce sens que cela permettrait de mettre fin au conflit de façon pacifique en économisant en temps, en argent et en énergie. Il est rationnellement incompréhensible que la communauté internationale devant une telle option, choisisse d’investir mille fois plus cher pour faire la guerre. Il est clair que si elle venait à refuser cette proposition, alors elle devrait se retrouver à cours d’arguments dans les négociations et devant le contribuable occidental qui cherche à comprendre par internet.

En gros, après tous les calculs géopolitiques, on peut dire, sauf changement de données, qu’il n’y aura pas de guerre en Côte d’Ivoire à cause du fait que le cercle des tiers-perdants est très important. De plus en plus, les pays africains d’expression anglaise qualifiés de « plus indépendants », s’expriment clairement contre la guerre. Même à l’intérieur du cercle francophone, les Chefs d’Etat sont rattrapés par le réalisme politique malgré le pacte de Montreux 2010. En effet, au XIIIe sommet de la francophonie à Montreux en octobre 2010, le Président Sarkozy qui devait présider le G20 dès novembre 2010, avait promis quatre choses aux 70 Chefs d’Etat et gouvernement conviés à savoir : le plaidoyer pour (1) le changement de la gouvernance mondiale et (2) de la politique monétaire mondiale, (3) la réforme du conseil de sécurité de l’ONU et l’attribution d’un siège à l’Afrique et (4) la recherche des financements innovants et notamment la pression pour le respect des accords de Copenhague 2010 sur l’indemnisation des « pays pauvres » victimes du réchauffement climatique. En échange, les pays francophones qui forment plus d’un tiers des pays membres des Nations Unies devaient parler d’une même voix. Ce lobby francophone et légitime devait leur permettre de défendre leurs intérêts communs. Tout d’abord, il faut remarquer que le Président Gbagbo n’était pas à ce rendez-vous de même qu’il n’était pas au sommet Afrique-France. Ensuite, il faut comprendre que les Chefs d’Etat africains présents à Montreux et membres de l’Union africaine ou de la Cédéao ne pouvaient que s’aligner sur la position française sur la base de ce pacte signé il y a moins de trois mois. Par ailleurs, il faut comprendre que l’Afrique du Sud qui vise la place africaine du Conseil de sécurité de l’ONU ne pouvait que soutenir la position française dans l’espoir de recevoir un retour d’ascenseur le moment venu. Enfin, il faut reconnaître que dès le départ, les Chefs d’Etat de l’Afrique Noire Francophone étaient bien embarrassés par la position française et que seuls les Présidents Wade, Compaoré et Jonathan qui ont leurs comptes personnels à régler avec Gbagbo, s’étaient rendus à Abuja accompagné d’Ellen Johnson-Sirleaf pour faire une déclaration au nom de la Communauté.

Si l’option militaire n’est pas soutenable alors, il ne reste plus que l’option diplomatique. De nos jours, il serait grossier d’envisager l’assassinat de Gbagbo. On lui rendrait énormément service puisque l’émotion engendrée au sein de l’opinion facilitera le classement de « l’historien rusé » parmi les martyrs africains. Ceci serait d’autant plus probant qu’on peut dire avec beaucoup d’assurance que la communauté internationale décevra encore l’opinion africaine dans les années à venir. De même, on peut présumer sur la base de la conjoncture que les promesses du Président Sarkozy qui fondent le « pacte de Montreux » ne seront pas tenues. A ce sujet, on peut dire que le Président français qui avait reçu un standing ovation exceptionnel après son allocution, avait promis « l’ange » lointain au lieu de promettre la suppression du « diable » connu qui mine l’Afrique et qui n’est autre que la « cellule Afrique de l’Elysée ». Le bien que le Président Sarkozy pourrait faire aux Africains dans l’immédiat est bien sûr de changer radicalement la politique africaine de la France. Malheureusement, cela ne semble pas à l’ordre du jour.

De nos jours donc, ceux qui savent décrypter le langage diplomatique (« langue de bois ») ont dû comprendre suite à la déclaration de Raila Odinga à la presse au terme de la dernière médiation africaine du 03 janvier 2011 que l’heure est au partage du pouvoir. Il se déroule simplement les scénarios habituels attestés dans ce genre d’événement. Dans un premier temps, on lance l’idée d’une rencontre possible entre les deux camps. Ensuite, un des camps rejette « en bloc », ce qui n’est qu’une stratégie visant à préparer l’opinion et à créer de la sympathie pour le Lésé. Enfin, une puissance comme celle des Etats-Unis rejette aussi, question de faire monter les enchères. Tout ceci n’est qu’une démarche habituelle. Le Lésé Ouattara se présente aujourd’hui comme une femme à qui l’on fait la cours pour la première fois. Elle rejette d’abord les avances pour ne pas se montrer « facile [vulnérable] ». Mais après, elle est capable de dire : « je t’aime à mourir ».

A ce jour, une chose est déjà acquise dans cette démarche de négociation. Toutes les deux parties peuvent concéder le partage des pouvoirs ou un « cabinet élargi ». Ce qui n’est pas encore acquis est le sort du candidat Ouattara. Ggagbo restera Président de la République, c’est non négociable. Quel pouvoir aura Ouattara ? Que deviendra le putschiste Soro avec son armée ? Une des meilleures solutions possibles est de créer pour Ouattara, un poste de « Chef de l’exécutif ». Tout de même, on peut dire en passant que l’occasion se présente aussi au Candidat Ouattara de tenter une dernière carte. S’il est astucieux, il pourrait, dans ce qu’il appelle « cabinet élargi » au cas où il est déclaré Président, expérimenter une piste de déstabilisation de Gbagbo en concédant une quinzaine de postes clés aux principaux pro-Gbagbo suivi de la levée des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis à leur égard. Cela pourrait bien conduire quelques uns à le rejoindre. Mais, faudrait-il encore qu’il accepte d’être un Président de la République répondant dans une carapace vide. De plus, faudrait-il qu’il soit un « boulanger » plus astucieux que Gbagbo. Par contre, Ouattara pourrait décider à terme de laisser ses partisans prendre part à un « gouvernement d’union nationale » sous l’autorité de Gbagbo et de ne pas y figurer personnellement. Dans ce cas, il se constituerait comme un héros de la paix. Il occuperait pour cela un poste important au sein de la communauté internationale et il guetterait un prix Nobel de la paix. Quelle décision prendra-t-il ? Une autre chose est sûre : il a perdu la bataille populaire et la paupérisation de la Côte d’Ivoire qui lui reste comme seule arme, est à double tranchant. Les populations s’en prendront à lui aussi. En attendant, les Ivoiriens n’y voient que double : « Que ce soit Gbagbo ou Ouattara, nous, on veut la paix », disent-ils. C’est cela la volonté du peuple et c’est cette volonté de la paix qui doit primer.

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