Tensions et frictions: dans les coulisses politiques du périple ivoirien de Michel Denisot (Canal +)

Par Renaud Revel 
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La double interview réalisée par Michel Denisot en côte d’Ivoire, où le journaliste est allé interroger, tour à tour, Laurent Gbagbo et Alassane Ouatarra, (en duplex de Paris), n’est pas le moment le plus simple qu’il ait eu à connaitre dans sa carrière. S’en est même à se demander ce qu’est allé faire Michel Denisot dans un tel bourbier, où s’entremêlent les intérêts contradictoires, non seulement des principaux deux intéressés, qui s’entre-déchirent depuis des semaines, mais de l’Elysée et de quelques officines parisiennes, où la question de la Côte d’Ivoire est plus que sensible.

Annoncé par Canal+ à grands roulements de tambours, l’interview de Laurent Gbagbo, dont Nicolas Sarkozy est décidé à avoir le scalp, a d’abord jeté comme un coup de froid du côté de l’Elysée, où une telle tribune offerte à celui que la France et une grande partie de la communauté internationale rejettent, apparaît inacceptable.

La cellule africaine du chef de l’Etat, qui s’en émeut, est d’autant plus remontée que la forme très présidentielle de l’entretien, – « cette tribune offerte sur un plateau » entend t-on,- qui voit un Laurent Gbagbo habile et roublard plastronner dans son costume de chef d’Etat, donne le sentiment qu’une page se tourne en côte d’Ivoire. Tout cela heurte la diplomatie française et agace au Château : « On présidentialise soudainement un homme dont la victoire est pourtant contestée de toute part. On donne le sentiment de crédibiliser sa démarche», me commentait perplexe ce matin le conseiller en communication de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Frank Louvrier.

L’entretien de Laurent Gbagbo est d’autant plus mal accepté, notamment au Quai d’Orsay, qu’à cet instant Alasanne Ouatarra est absent du casting de Canal+. Venu à Abidjan pour l’ancien président ivoirien, Michel Denisot n’a pas pour projet immédiat d’aller interroger l’adversaire politique de Gbagbo, même si une demande va être faite. Explication : le climat d’Abidjan est explosif et la mise en oeuvre d’un tel entretien apparaît difficile, car les hommes de Gbagbo contrôlent tout, verrouillent tout. A commencer par l’accès à l’hôtel où s’est réfugié Ouatarra.

La chaîne Canal+, qui s’est débrouillée seule pour obtenir Gbagbo, n’est d’ailleurs pas passée par la cellule de communication d’Havas, Michel Denisot l’indique, pilotée par son directeur général adjoint, Stéphane Fouks. Laquelle, attachée à Laurent Gbagbo depuis quelques années,- après avoir défendu les intérêts d’Alassane Ouatarra, en 1999 ! – a un contrat de conseil de 15 millions d’euros. Des liaisons dangereuses pour le groupe Havas qui a pris ses distances depuis quelques semaines avec son client: Propriété du très « sarkophile » Vincent Bolloré, dont les intérêts à Abidjan sont importants, (il contrôle le port de la ville), Havas n’est pas du bon côté du manche. Et à l’Elysée, on commençait à s’agacer de l’activisme de ce groupe et de son président aux côtés de l’indésirable Gbagbo…Tout cela fait beaucoup.

Et c’est là que rentre en lice une spécialiste de la communication, conseillère depuis 11 ans d’Alassane Ouatarra, Patricia Balme. A la tête de PB Com Internationale, cette figure discrète et efficace du monde de la communication, va en liaison avec la cellule africaine de l’Elysée et une société de communication ivoirienne, Woodoo, intervenir auprès du bureau de Michel Denisot et plaider pour que, par souci d’équilibre, l’adversaire de Laurent Gbagbo fasse également l’objet d’un entretien sur la chaîne cryptée. Ce qui sera le cas: une fois rentré à Paris, l’animateur du Grand Journal l’organise: il a été diffusé hier soir.

Mais pourquoi de Paris et pourquoi en réaction? «Il faut savoir que c’est l’administration de Laurent Gbagbo sur place qui contrôle tout. Qu’aller à la rencontre de Ouatarra sans autorisation et avec une équipe de dix personnes, dans un pays où Canal + et moi-même sommes très connus et reconnus dans la rue, le tout, enfin, dans un tel climat de tension, comportait de très gros risques. Il fallait être d’une extrême prudence et jamais je n’aurai mis mes équipes en danger», explique le journaliste » Et d’ajouter, «Rien ne m’obligeait à faire d’ailleurs ce second entretien. L’Express s’obligerait-il à donner la parole à Ouatarra s’il publiait un entretien de Laurent Gbagbo ? Je ne le crois pas» Mais L’Express n’est pas Canal+ et l’impact de cet entretien télévisé sans commune mesure.

«Mais que de difficultés », poursuit-il. «Dès le départ dans l’avion qui nous a amenés à Abidjan, les hommes de Gbagbo étaient là et la tension était palpable: nous étions sous surveillance et sans grande marge de manœuvre. Quant à Ouatarra, n’imaginez pas que ce fut plus simple: Une extrême tension règne là aussi et son entourage, également sur les dents, s’est fait très menaçant. A L’image des hommes de Gbagbo. Bien sûre que nous voulions faire Ouatarra, mais pas à n’importe quel prix. Pas à n’importe quels risques. Nous étions en terrain miné », conclue Michel Denisot.

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