La diplomatie française a défendu jusqu’au bout le régime tunisien

Lemonde.fr

La diplomatie française aura donné l’impression d’appuyer jusqu’au bout le régime du président tunisien, Ben Ali, apparaissant dépassée par les événements et ne montrant à aucun moment le moindre signe de soutien aux revendications de démocratisation exprimées par les manifestations, qui ont conduit, vendredi 14 janvier, à la fuite vers Djedda, en Arabie saoudite, du dirigeant tunisien, au pouvoir depuis vingt-trois ans.

C’est par un communiqué laconique que l’Elysée a commenté, vendredi, vers 20 heures, le spectaculaire changement politique en Tunisie. « La France prend acte de la transition constitutionnelle annoncée par le premier ministre Ghannouchi. Seul le dialogue peut apporter une solution démocratique et durable à la crise actuelle. La France se tient aux côtés du peuple tunisien dans cette période décisive. » Le texte est diffusé au moment où Nicolas Sarkozy et François Fillon sont réunis à l’Elysé pour se pencher sur la crise.

Vers 20 h 30, tandis que la destination de l’avion du président tunisien demeure l’objet de spéculations, Paris fait connaître son refus de l’accueillir sur le sol français. « La France n’a reçu aucune demande d’accueil de M. Ben Ali », indique un communiqué du Quai d’Orsay, qui précise : « Au cas où cette demande se présenterait, la France apporterait sa réponse en accord avec les autorités constitutionnelles tunisiennes. »

Tout au long des quatre semaines de protestations de rue en Tunisie, qui ont commencé le 17 décembre 2010, la France aura adopté un profil bas, se limitant à appeler à l' »apaisement » sans jamais dénoncer la répression policière, en particulier l’emploi de tirs à balles réelles des forces de l’ordre, qui ont provoqué au moins 66 morts en un mois, selon les organisations de défense des droits de l’homme.

Mardi 11 janvier, tandis que la contestation gagne Tunis, des propos tenus par la ministre des affaires étrangères française, Michèle Alliot-Marie, devant l’Assemblée nationale, à Paris, suscitent une certaine consternation, y compris à l’intérieur du Quai d’Orsay. Le gouvernement tunisien vient d’établir un bilan de 21 civils tués par balles depuis le début des troubles, et Mme Alliot-Marie propose… une coopération policière.

La France veut faire bénéficier la Tunisie du « savoir-faire de (ses) forces de sécurité », afin de « régler des situations sécuritaires de ce type », explique la ministre, afin que « le droit de manifester soit assuré, de même que la sécurité ». L' »apaisement peut reposer sur des techniques de maintien de l’ordre », estime Mme Alliot-Marie.

La crise semble ainsi ramenée à un problème de professionnalisme des forces de l’ordre tunisiennes, auquel viennent s’ajouter les difficultés économiques. Mme Alliot-Marie évoque des « troubles sociaux de grande ampleur », sans mentionner le volet politique des revendications des manifestants, qui dénoncent un pouvoir confisqué par la famille Ben Ali et s’en prennent aux affiches du chef de l’Etat. « Plutôt que de lancer des anathèmes, notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation », commente-t-elle.

Outre la coopération policière, Paris semble penser, ce jour-là, que l’annonce d’un accroissement de l’aide à la Tunisie, notamment au niveau européen, pourrait contribuer à dénouer la crise. « Notre premier message doit être celui de l’amitié entre le peuple de France et le peuple » tunisien, « sans nous ériger en donneurs de leçons ».

Jeudi 13 janvier, la veille du jour où tout bascule, Paris insiste de nouveau sur son offre de coopération policière. Le Quai d’Orsay souligne que « la France dispose d’un savoir-faire reconnu en matière de maintien de l’ordre dans le respect de l’usage proportionné de la force afin d’éviter des victimes ». Le soir, à la télévision, M. Ben Ali annonce un train de mesures : son renoncement à un nouveau mandat présidentiel en 2014, la fin des tirs à balles réelles de la police, et un rétablissement de la liberté de la presse.

Vendredi matin, sur instructions de l’Elysée, le Quai d’Orsay « note positivement » ces décisions « en faveur de l’ouverture politique et démocratique de la Tunisie ». La France « encourage les autorités tunisiennes à poursuivre sur cette voie ». Mais tout s’accélère. Les autorités françaises se réfugient derrière des communiqués succincts, sans le moindre commentaire sur le fait qu’un dirigeant arabe vient pour la première fois d’être chassé par la foule.

Dans l’entourage de Mme Alliot-Marie, vendredi soir tard, on se défendait d’avoir fait preuve de myopie sur la crise tunisienne. « Le message de la diplomatie française a été pragmatique, commente une source. Ce n’est pas à la France de dire : Ben Ali doit partir. Nous avons voulu aider la Tunisie à résoudre ses problèmes. Si les médias ont été rouverts, ainsi qu’Internet, c’est peut-être grâce à nous. Nous avons voulu aider le pouvoir à avancer dans la démocratisation. On a tenté de faire cela. »

Interrogée sur le contraste avec les positions françaises adoptées sur l’Iran, où, en 2009, les grandes manifestations de l’opposition avaient reçu le soutien appuyé de Nicolas Sarkozy, et où chaque action répressive du pouvoir avait été dénoncée avec force par la diplomatie française, cette source commente que les deux dossiers ne sont pas comparables, car l’Iran représente une menace régionale, et qu' »avec la Tunisie, il y a des liens d’amitié et de coopération ».

Natalie Nougayrède

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