LE CRÉPUSCULE DES DICTATEURS

Madior FALL

Sommes-nous en train d’assister à de nouvelles « révolutions » sociales aux conséquences politiques et économiques assurément bouleversantes dans tout le continent. Ça bouge. Les digues sont rompues. Un peu partout les peuples réclament bruyamment du pain, de l’eau et à s’employer. Bien plus, ils revendiquent la liberté. Celle d’aller et de venir à leurs guises, de manger à leur faim, de critiquer, d’orienter et de peser dans la gestion de leurs cités. De se choisir librement et démocratiquement leurs dirigeants, de renouveler leur personnel politique, de leur faire rendre gorge en cas de manquements graves, de les adouber s’ils sont à la hauteur. Ils postulent à la liberté de participer en hommes émancipés, instruits et actifs à l’animation pleine et entière de leurs Etats, de leurs Nations. De contrôler leurs gouvernements et leurs gouvernants. Bref, la liberté de participer en citoyens libres et conscients.

Les vents de démocratisation en Afrique, notamment de sa partie « française » que le discours de La Baule de 1991 avait suscité et/ou plutôt « boosté », avaient certes, diminué d’intensité ces dernières années, voire s’étaient quelque peu estompés. Avec les résultats plus que mitigés des conférences nationales et le retour au pouvoir conséquemment des « dictateurs » le plus démocratiquement du monde dans plusieurs pays où la révolte populaire les avait chassés et qui passaient le témoin ou faisaient montre de leur désir de passer le témoin à leur propre progéniture, au point qu’on a eu l’impression que s’ouvrait une nouvelle ère des fils de président président. On a assisté aussi dans le même temps à des coups d’Etat dits « légitimes » contre des dictatures vieillissantes ou sclérosées, avec un pouvoir Kaki qui se métamorphosait rapidement en civil sous les applaudissements à peine feutrés des partenaires au développement et des institutions internationales au grand dam des peuples bâillonnés. Ou encore à un partage du pouvoir entre le vainqueur et le vaincu à l’issue d’élections la plupart du temps chahutées. Le vaincu le plus souvent refusant de céder son fauteuil, mais étant tout disposé à prêter à l’autre, l’autre bergère, celle du second.
N’empêche, la démocratie reprend ses droits. Et un vent de révolte populaire souffle de plus en plus fortement et balaie tout le continent. Le Maghreb n’y échappe pas.

Aujourd’hui, à l’instar des autres Etats de l’Afrique, il est soumis à la contestation. Sa gouvernance est questionnée. Ses peuples exigent une réforme de leurs institutions pour moderniser et libérer l’Etat post-indépendance maghrébin. Pour beaucoup d’analystes, la modernisation rime avec démocratisation. L’Etat nation demeure le cadre privilégié de l’exercice de la citoyenneté. Il n’en réclame pas moins un régime politique inclusif de l’ensemble des citoyens dans leur diversité ethnique, linguistique, religieuse.

Certes, certains Etats au Maghreb se sont essayés à l’exercice démocratique dans le sillage du vent libéral qui a soufflé sur le continent au début des années 1990 et que les forts courants d’Est ont attisé. Un processus de transition démocratique fut initié au Maghreb sous l’impulsion de demandes et dynamiques internes et d’exigences externes. Mais 20 ans plus tard, la transition a semblé marquer le pas et la pratique s’est limitée le plus souvent à une démocratie électorale aux résultats connus par avance (cas de l’Egypte).

Avec ce qui se passe cependant sous nos yeux en Tunisie où le mirage de l’émergence économique avec ses restrictions libertaires servies par une omniprésente police Etat répressive se dissipe et fond comme neige au soleil sous la poussée de l’ardente révolte juvénile, on peut craindre qu’il ne soit encore le crépuscule des dictateurs dans le continent. D’autant plus qu’en Tunisie qui a connu hier, vendredi une journée historique,- après un mois d’émeutes, le président Ben Ali a quitté le pouvoir et fui la Tunisie. Comme le prévoit la Constitution, Mohammed Gannouchi, l’ancien Premier ministre, assurera la présidence par intérim jusqu’à des élections anticipées,- fait historique : l’armée a refusé de tirer ! D’obéir aux ordres du « Président monarque ». Par ce simple fait, le culte de l’homme fort a été ébréché. Le président Moubarak en Egypte, tout comme le président Ben Ali qui a fui son pays hier, vendredi sous la poussée populaire n’a-t-il pas été aussi obligé de laisser un opposant lui contester son siège ? On peut également s’attendre à ce que ce qui se passe en Tunisie et dans une moindre mesure en Algérie fasse tâche d’huile. Même le Maroc de Sa Majesté, Mohammed VI n’est pas à l’abri encore moins la Libye du Guide Kadhafi.

Cette déliquescence du despotisme à laquelle, on semble assister aujourd’hui, ne marque-t-elle cependant qu’un passage du témoin au pouvoir – comme ce fut le cas entre Bourguiba le père de la Nation et son ancien officier, Ben Ali qui l’avait déposé tranquillement en Tunisie pour cause de sénilité dangereuse – ou un véritable changement d’époque et de paradigme dans l’ensemble du Maghreb arabe? Les peuples y sont devenus adultes, conscients et exigeants ? Peut-être que l’Afrique, noire, blanche ou encore basanée n’est-elle pas tout à fait entrée dans la fin des dictatures quand on regarde ce qui se passe encore en Côte d’Ivoire, au Burkina. Ce qui s’est passé au Kenya et au Zimbabwe, mais à coup sûr, nous sommes dans leur phase crépusculaire sous la poussée des lames de fond de peuples assoiffés de liberté et d’épanouissement.

sudonline.sn

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