Communes sous couvre-feu: ABOBO ET ANYAMA, DU PLOMB DANS L’AILE

Photo Reuters

Après de violents affrontements entre policiers et manifestants dans la nuit du 11 au 12 janvier dernier, et faisant état de 7 policiers et des civils tués dans les communes d’Abobo et Anyama, un couvre-feu a été instauré par les autorités militaires pour des questions de sécurité. Cette décision qui a pris effet depuis le mercredi 12 janvier, est toujours en cours. De 19 heures à 6 heures du matin les horaires ont été légèrement réaménagés. Ainsi, le couvre-feu court désormais de 21 heures à 6 heures. Cette mesure a évidemment des effets sur le bon déroulement des activités économiques et de la vie en général.

Dans le domaine du secteur tertiaire, les activités telles que le petit commerce, les restaurants, les maquis…ont considérablement baissé. Surtout dans « les marchés de nuit », c’est-à-dire un marché qui regroupe à la fois le petit commerce, des maquis, des bars et autres espaces gastronomiques ayant la particularité de fonctionner tard dans la nuit. Depuis l’instauration du couvre-feu, les marchés de nuit d’Abobo-Plaque, d’Avocatier, de Samaké et de l’avenue Kaza dans la commune d’Abobo sont paralysés. Selon les occupants de ces espaces, même le réaménagement de leur programme d’ouverture opéré pour leur permettre de subsister et de s’adapter à cette nouvelle donne ne change pas grand-chose.

Malick Bakissa, vendeur de viande braisée, très prisée par les habitants, ne sait plus à quel saint se vouer. « Ici, en temps normal, nous ouvrons à partir de 17 heures 30 minutes. Avec le couvre-feu qui est en vigueur, j’ai décidé de démarrer mes activités à partir de 15 heures. Mais à cette heure, les travailleurs qui constituent la majeure partie de ma clientèle sont encore à leurs services. Depuis que le couvre-feu a été instauré, certains ne viennent plus ici. Certes, les plus habitués sont toujours là. Mais tout le monde doit rentrer à la maison pour respecter cette mesure. Mes affaires ont chuté», commente ce vendeur, avant d’émettre le vœu de voir la situation sociopolitique se normaliser afin qu’il puisse pleinement reprendre ses activités.

Plus près de lui, dans un maquis, toujours à Avocatier, ce mardi 25 janvier 2011 à 19 heures. Le visiteur qui arrive pour la première fois en ce lieu a l’impression que le tenancier est en train de faire de bonnes affaires, vu le grand nombre de client assis autour des tables garnies de boissons. Le couvre-feu débute dans 2 heures. « L’ambiance que vous voyez maintenant devrait en principe régner de 18 heures jusqu’à l’aube. Mais aujourd’hui, compte tenu de la situation, dans quelques minutes, ces clients vont partir. Et c’est un manque à gagner. Ça ne va pas », affirme le propriétaire des lieux avec beaucoup d’amertume et de regrets.

Aussi, avons-nous constaté que la clientèle n’est plus sereine ; car elle craint toujours d’éventuels coups de feu dans une commune où les échanges de tirs entre Force de l’ordre et manifestants sont devenus monnaie courante.

Tout comme ces 2 opérateurs économiques, les vendeuses de fruits et légumes ( oranges, avocats, concombres, carottes, salades, oignons, tomates…) qui avaient l’habitude de proposer leurs marchandises à la descente des travailleurs vers Samaké, nous ont fait savoir que le volume de leurs activités a également diminué. « Personne n’ose acheter mes marchandises. Tous ceux qui arrivent sont pressés de rentrer chez eux. Alors que je ne vends que des produits périssables. S’ils ne sont pas revendus dans les 2 jours qui suivent ils vont pourrir. Toutes les commerçantes de fruits et légumes traversent des moments difficiles ces derniers temps », déclare Salimata Koné, l’une des vendeuses.

Par ailleurs, le commerce dans les grands magasins, les boutiques et dans tous les étals du grand marché d’Abobo est aussi perturbé. « Avant la crise, j’ouvrais mon magasin vers 6 heures pour recevoir les premiers clients. Nous fermons vers 20 heures. Aujourd’hui les heures sont réduites. Ce qui voudrait dire que je perds beaucoup de clients», ajoute Dao Sérina, gérant d’une grande boutique au marché d’Abobo. Cette affirmation est justifiée dans la mesure où pour respecter les horaires du couvre-feu, le grand marché même commence à se vider de son monde aux environs de 17 heures. Alors que par le passé, certains magasins et boutiques étaient animés jusqu’aux environs de 21 heures.

Le secteur informel n’est pas épargné par les tribulations de cette décision d’ordre sécuritaire. Dans les 2 communes, ateliers de [Après la bataille, on fait ses comptes sur le terrain.] couture, salons de coiffure, ateliers de réparation de véhicules, boulangeries, les centaines de vendeurs installés aux abords des trottoirs sont obligés de fermer leurs services plutôt que prévu. « Vous savez qu’au niveau de la coiffure, c’est à la descente des bureaux des travailleurs que nous avons notre clientèle. Les gens viennent se faire une beauté avant de rentrer à la maison. Sinon, toute la journée, il n’y a pas beaucoup d’activités. Malheureusement, cette clientèle se fait rare. On peut dire que nous ouvrons maintenant à ne rien faire », affirme N’Da Julienne Amessan, propriétaire de salon de coiffure dans un quartier d’Anyama.

Mais, c’est dans le domaine des transports que la situation est la plus confuse. En effet, comment partir à l’heure au travail le matin et revenir le soir à la maison tout en respectant les horaires du couvre-feu. C’est l’équation quotidienne que doivent résoudre les habitants de ces 2 communes.

A Abobo, la commune la plus peuplée de Côte d’Ivoire, tout le monde est désormais astreint d’être dehors à partir de 6 heures du matin. De ce fait, les arrêts de bus, de Gbaka ou mini cars, ou autres lieux de transport en commun sont pris d’assaut au même moment par des milliers de travailleurs pour se rendre au service. Tout comme les élèves qui vont à l’école et les commerçants pour exercer leurs activités. Devant la pression des usagers, les transporteurs eux-mêmes sont débordés et cela crée inévitablement la confusion et l’anarchie dans ce milieu. Ainsi, chaque matin aux heures de pointe, les usagers des bus et autres moyens de transport en commun, sont obliger de lutter pour se rendre au travail. Comme s’il fallait s’attendre, les effets manifestes de cette confusion sont de gigantesques embouteillages dans les 2 sens des voies à grande circulation de cette commune. Ce même triste spectacle est malheureusement aussi constaté le soir à la fermeture des bureaux.

Les mésaventures d’une commerçante, résidant à Abobo Sogefiha et exerçant à Treichville permettent de mieux comprendre toutes les difficultés rencontrées par les habitants d’Abobo et d’Anyama depuis que le couvre-feu a été instauré. « A bord de ma voiture, au retour de travail, j’ai été retenue par un grand embouteillage sur la voie express depuis la ferraille d’Adjamé de 15 heures 30 à 19 heures. Alors que le couvre-feu commençait à 19 heures ce lundi 17 janvier 2011. Un malheur n’arrivant jamais seul, mon véhicule était tombé en panne. J’ai dû l’abandonner dans une station service non loin de l’usine Filtisac. Ma préoccupation était de savoir comment rentrer en sécurité chez moi », raconte-t-elle. Ensuite, son mari, informé de la situation et malgré le couvre-feu qui avait démarré ce jour a emprunté un autre véhicule, avec un de ses amis pour aller au secours de sa femme avec l’aide d’un parent gendarme. Mais que de difficultés rencontrés aux points de contrôle, malgré la présence de cet agent de Force de défense et de sécurité. Les risques encourus par ce couple nous dévoilent un pan caché du couvre-feu. « Tant que le couvre-feu sera en vigueur, je n’irai plus au travail », a juré cette commerçante.

En outre, les gérants de station service et les transporteurs eux-mêmes nous ont signalé le manque à gagner. « En temps normal, je commence à charger les passagers à partir de 5 heures. Mon véhicule rentre à la maison à 21 heures. Aujourd’hui je travaille seulement de 6 heures à 18 heures soit 5 heures de moins. Je perds beaucoup », a révélé Ali Coulibaly, chauffeur de Gbaka à Anyama. La réduction du volume d’activités enregistrée par les transporteurs est immédiatement répercutée sur les stations service. « A part les véhicules personnels qui ont gardé leur consommation habituelle de carburant, les voitures affectées au transport en commun achètent de moins en moins cette source d’énergie. Alors que ces derniers représentent 80% de notre clientèle. Cela veut dire que nous sommes aussi perdants dans cette affaire », dévoile un distributeur de carburant.

Les répercussions de cette mesure de sécurité sont également ressenties dans le secteur de l’éducation. En vue de permettre aux élèves et enseignants ainsi qu’aux personnels administratifs des écoles primaires, collèges et lycées tant publics que privés de rentrer à l’heure chez eux, certains emplois du temps ont été réaménagés en tenant compte du contexte de crise. Par exemple, au lycée moderne 2 d’Abobo, tous les cours s’arrêtent à 17 heures au lieu de 18 heures comme prévu dans le programme officiel. Il est certain que cela entraîne des heures perdues qu’il va falloir nécessairement rattraper lorsque la vie va reprendre son cours normal.

En revanche, selon un lieutenant de police chargé du corps urbain, depuis l’instauration du couvre-feu, les agressions, les vols à main armée, les pillages de cours, bref, le grand banditisme a considérablement baissé dans ces 2 communes.

Rappelons que les violences sont intervenues dans certains quartiers du District d’Abidjan et principalement dans ces deux localités à la faveur de la crise post-électorale.

ALFRED KOUAMÉ
FratMat

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