ET SI LE POUVOIR N’ETAIT QU’UN LEURRE

« Nous nous baignons et nous ne nous baignons pas dans le même fleuve. » faisait remarquer HERACLITE D’Ephèse, philosophe grec de l’école ionienne. Exprimé autrement, toutefois tout en restant fidèle au sens originel de la réflexion, tout coule, tout s’écoule, on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve (Panta rhei). Cette formule héraclitéenne, en son acception courante, stipule que tout est simple changement, tout baigne dans une instabilité chronique. D’ailleurs, dans cette instabilité chronique, il ne pourrait y avoir ni baigneur ni fleuve, car à peine auraient-ils été perçus comme tels qu’ils seraient devenus autres, y compris le sujet percevant. Cependant, appréhendé avec un peu plus de profondeur, le panta rhei véhicule autre chose qu’un écoulement pur, qu’un changement pur. Plus essentiellement, il charrie l’idée d’un changement entendu comme processus, comme le devenir qui fait passer les choses d’un état à un autre, par exemple, pour la papaye, du vert au jaune, indice de sa maturité.

Le pouvoir d’Etat, n’échappe pas à ce principe naturel. Sous ce rapport, les pouvoirs se succèdent sur la base de contradictions surmontées, de rectifications, embarqués dans le glissement perpétuel des choses, du mouvant. Or la vocation de ce qui devient est de périr un jour, de connaître son ultime possibilité d’être que nous désignons sous le vocable générique de la mort. Il en résulte fatalement qu’aucun régime, quelle que soit sa teneur, aucun chef, quelles que soient ses mérites, ne sont exonérés par cette règle imparable. Qu’on se mure derrière le bloc monolithique, la citadelle, en apparence, inexpugnable d’une armée tribale, de suppôts prêts au sacrifice suprême pour le salut du guide suprême, tout n’est en réalité que vaines gesticulations sans effets véritables sur les fins dernières. Le pouvoir d’Etat se conquiert juste pour un laps de temps pendant lequel le détenteur est appelé à réaliser un programme de gouvernement librement choisi par lui et auquel adhère a priori le peuple qui lui a accordé sa confiance. Prétendre y demeurer ad vitam aeternam est une bien belle chimère que seul un âne bâté peut nourrir comme ambition. Or, le désir d’éternité, de rendre interminable ses moments de gaité, d’extase, de puissance est l’une des données les plus sûres de l’individu humain profondément ancrée dans sa nature intime si bien qu’il a développé la propension quelquefois démesurée de s’agripper indéfectiblement à tout ce qu’il possède et qui l’agrée, fût-il au prix de sa vie. Mais humainement parlant, vue le principe de la dialectique qui gît en toute réalité et qui partant, la soumet à un cycle de transmutation continue, sans débrider, penser qu’il est possible de faire du pouvoir d’Etat sa chose, d’en disposer à guise, s’y maintenir de façon pérenne sur le socle de pactes scellés avec le diable, avec en toile de fond, de crapuleux holocaustes et rites sacrificiels comme preuves de sa fidélité, c’est à la vérité donner dans le fantastique, l’imaginaire. Cette loi fondamentale qui régit l’existence terrestre, les dictateurs à la soif inextinguible d’un pouvoir viager et absolu, n’ont jamais pu s’en accommoder, comme nous l’enseigne avec une parfaite évidence l’histoire politique. On se rappelle de l’intrépide et fameux tyran Mobutu Sese Seko Kuku N’bendu Wazabanga (entendez le guerrier tout-puissant qui embrase tout sur son passage et de conquêtes en conquêtes, reste invincible) qui de par ses cruautés et monstruosités, son goût prononcé pour la luxure, la mégalomanie a marqué de façon très négative la conscience collective zaïroise de l’époque. Grisé par les pouvoirs inconsidérés qu’il s’était octroyé à la tête de la machine de l’Etat dans un dédain total de toute norme juridique, enivré par les serments de fidélité d’individus plus préoccupés à engranger des prébendes, des espèces sonnantes et trébuchantes que d’œuvrer à sa longévité à la magistrature suprême, rasséréné au quotidien par les contorsions dorsolombaires de femmes au physique aguichant exécutant des pas de danse et des chants de gestes magnifiant ses mérites surfaits, Mobutu se croyait doté de qualités surhumaines. Dans son entendement, il n’était plus un homme mais tout simplement Dieu. Ses propos et ses actes en disaient long sur sa dimension psychologique de ce moment. Ce sentiment d’invulnérabilité illusoire dont il s’enorgueillissait était aussi le fait de féticheurs, de marabouts, de magiciens qui, tout en lui imposant un certain nombre de rites et de sacrifices l’astreignant à des tueries régulières pour jouir de la protection des génies contribuaient éminemment à fortifier en lui cette folie de la démesure. Capitalisant la malédiction durant son règne à travers ses conduites scélérates, mieux sataniques, Mobutu finit par réaliser, nonobstant ses lubies et frasques, qu’il n’était qu’une vulgaire pièce constitutive de cette gigantesque machine qu’est le cosmos, lorsque, suite aux décès en cascade de ses proches et de ses rejetons, il vit sa santé progressivement se corroder sous l’effet d’un pernicieux cancer de la prostate qui, malgré un acharnement thérapeutique mené par les meilleurs cancérologues de ce monde, finira par avoir raison de lui. Cela, après qu’il eut été humilié et chassé du pouvoir par Laurent-Désiré KABILA à la tête d’une rébellion venue de l’Est du pays. Avant Mobutu, sur la scène politique africaine, il y eut, pêle-mêle, des personnages aussi cyniques qu’excentriques tels Jean Bédel BOKASSA en Centrafrique et Idi Amin DADA en Ouganda, pour ne citer que ceux-là.
Le premier, parvenu au pouvoir un 31 Décembre 1965 après avoir destitué son cousin, le Président David DACKO, BOKASSA montre très vite son vrai visage ; un aventurier sans scrupules, avide de pouvoir et d’argent. Il se proclama ‘’Président à vie’’ en 1972 et ‘’maréchal’’ en 1974. Mais cela ne lui suffit toujours pas. En 1977, BOKASSA décide qu’il sera désormais empereur et, le 4 Décembre de cette même année, il organise une cérémonie du couronnement dont malgré le faste le ridicule n’échappe à personne. Lui également se disait investis de pouvoirs divins jusqu’à ce qu’il soit évincé suite à la répression sauvage d’un soulèvement insurrectionnel au prix de plus de 400 morts, pour la plupart des étudiants. En effet, les caisses de l’Etat s’étant desséchées, conséquences de gabegies orchestrées par l’empereur lui-même, il lui vint une idée qui selon lui, devrait permettre de redresser la situation : il décréta que tous les jeunes gens scolarisés au pays devaient désormais porter un uniforme qui serait, bien sûr, confectionné dans les entreprises appartenant à la couronne. Ce fut donc l’émeute qui engendrera conséquemment son départ.

Le second, en 1971, profitant d’un voyage à l’étranger de Milton OBOTE, prit sa place. Amin DADA se nommera bientôt ‘’maréchal’’ et Président à vie de la République ougandaise. En Ouganda, ce fut tout de suite la terreur. Dans ce pays où les rivalités tribales sont traditionnelles, Amin DADA assure ‘’l’ordre’’ et sa sécurité en exécutant massivement les uns et les autres et en organisant avec les ‘’Nubiens’’, les gens du Nord, ceux de sa race, une police politique qui a pour principale charge d’assurer la disparition des gêneurs. Les exécutions deviennent spectacle : on les diffuse ‘’en direct’’ à la télévision. Chaque vendredi, les prisonniers sont alignés sur le pont du Nil, à Karuma et exécutés, souvent à la machette. Leurs cadavres sont ensuite jetés dans le fleuve où les crocodiles les attendent. Affichant une idée trop favorable de ses aptitudes personnelles, lui aussi, certainement embarqué dans le vertige de ses fantasmes, se logeait à la même enseigne que la transcendance. Il ne reviendra sur terre que lorsqu’il sera chassé du pouvoir en 1978 par l’armée tanzanienne alliée aux forces d’opposition de l’Ouganda, et ce malgré le concours de troupes libyennes, envoyées en secours par KADDAFI.

Nous disposons de toute une kyrielle d’exemples de ce genre qui, normalement, auraient du édifier la postérité quant à la précarité de notre nature et de tout ce que nous possédons, au-delà des grands airs que nous nous donnons. Mais tout se passe comme si nos dirigeants Africains étaient fatalement disposés à des pratiques moyenâgeuses qui ne cessent de discréditer et de gangréner ce beau continent aux atouts naturels inestimables. Errare humanum est, perseverare diabolicum (Il est dans la nature de l’homme de se tromper. Cependant, persévérer dans l’erreur est diabolique). C’est tout simplement surréaliste : on ne saurait subordonner son existence au pouvoir, comme s’il n’existait pas de vie après la présidence. Pour ça, on s’acoquine avec le diable en livrant femmes, enfants, proches en holocauste ; on assassine à tout bout champ d’innocentes personnes parce qu’aux antipodes de nos aspirations politiques ; on vole, on viole, on détruit tout sur son passage pourvu qu’on arrive à asseoir une régence ‘’sempiternelle’’. Et par la suite, on s’étonne que l’Afrique soit le terrain de prédilection des rebellions et des pronunciamientos. L’explication est toute simple : si les voies d’accès légales au pouvoir sont artificiellement et malhonnêtement obstruées par des hommes politiques aux desseins lugubres, l’unique alternative s’offrant aux autres prétendants au fauteuil présidentiel reste le recours à la force. D’où les coups d’Etat et les révolutions à répétition. Or, une observance scrupuleuse du principe de l’alternance qui est un des substrats de la démocratie créerait un environnement politique sain, paisible et résoudrait définitivement ces dérives antidémocratiques précitées. Le pouvoir d’Etat ne saurait être l’affaire d’une famille, d’un clan. D’abord, c’est le père qui l’exerce durant une trentaine voire une quarantaine d’années. Et comme si cela ne suffisait pas, dès que celui-ci décède, c’est l’un des héritiers qui s’installe abstraction faite des normes constitutionnelles. Dans une monarchie, cela n’irriterait personne puisque participant d’un choix constitutionnel pleinement assumé. Mais lorsqu’on le brandit comme relevant de la démocratie avec des glissements sémantiques dangereux tels que ‘’démocratie à la togolaise’’ ou encore ‘’démocratie à l’ivoirienne’’, il y a de quoi s’en inquiéter. Dans un tel imbroglio où on s’adonne à toutes sortes d’amalgames, de confusions de genres, il n’est pas du étonnant qu’un président de conseil constitutionnel, faisant de façon criante fi des canons juridiques, s’arroge des pouvoirs démesurés au point d’annuler les votes dans sept régions, dans l’unique et démoniaque optique de l’actualisation du vœu d’éternité de son bienfaiteur et ami à la magistrature suprême. Peu importe ce qui adviendra ! C’est tout simplement démentiel. D’ailleurs, de quel vœu d’éternité s’agit-il ? Avons-nous mis sous le boisseau notre dimension humaine ? Où sont donc passés MOBUTU et Amin DADA ? Le dictateur malien, Moussa TRAORE, qu’est-il devenu ? Qu’en est-il du despote tunisien BEN Ali ? Qu’en sera-t-il de Laurent GBAGBO lorsque L’ECOMOG passera à l’action ou de Hosni MOUBARAK en passe d’être éconduit par son peuple ? Seul le règne de Dieu est éternel. Alors, gardons le profil bas et évitons toute forme de surenchère, d’orgueil et de manque de pondération qui nous conduit tout droit dans le précipice. On peut, par des subterfuges, échapper à la justice des hommes, mais celle de Dieu est implacable.

DIARRA CHEICKH OUMAR
Etudiant en instance de thèse
Sciences politiques
E-mail : sekdiasek@gmail.com

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