Combats meurtriers d’Abobo, comment Dogbo Blé a perdu plus de 100 éléments -Enquête

Côte d’Ivoire – Enquête réalisée à Abidjan par Amy Kouamé | Connectionivoirienne.net

Affrontements meurtriers à Abobo, ceux qui ont réellement attaqué les hommes de Dogbo Blé
Abobo, une véritable poudrière – Plus d’une centaine de morts côté Fds pro-gbagbo

Plus de trois semaines après les affrontements sanglants d’Abobo PK18, nous avons enquêté. Pendant quatre jours nous sommes restés à Abobo, l’une des communes située au nord du District d’Abidjan qui fait beaucoup parler d’elle ces derniers temps.

Nous nous sommes familiarisés aux populations de ce quartier pour comprendre ce qui s’est réellement passé. Qui étaient les Forces de défense et sécurité venues vers 5h du matin pour une perquisition qui a mal tourné, dans la nuit du mardi au mercredi 12 janvier 2011? Qui a tiré sur les soldats restés fidèles à Laurent Gbagbo ? Pourquoi le poste de gendarmerie, plus proche du lieu des opérations n’est-il pas intervenu ? Pourquoi les éléments de police des cinq commissariats que compte la commune n’ont-ils pas envoyé de renforts ? Pourquoi, pourquoi et mille fois pourquoi ? Voici autant de questions auxquelles nous avons voulu trouver des réponses.

Qui a tiré sur les Fds en perquisition au PK18 ?

Tout est parti du quartier PK18, un sous quartier de la commune d’Abobo au carrefour dit « Diallo » bien connu de tous les usagers de la voie Abobo-Anyama. Un secteur qui fait frontière avec la commune d’Anyama. Pour mieux comprendre l’esprit dans lequel une certaine solidarité a régné entre les populations, un habitant proche de Lmp (La majorité présidentielle) nous raconte. « Il y a le parti auquel nous appartenons. Mais quand il s’agit de la sécurité du quartier nous sommes tous unanimes. Et puis, il ya ceux qui sont très radicaux dans leurs positions. C’est ceux-là qui sont souvent victimes et parlent de chasse à l’homme », introduit notre interlocuteur. Qui, pendant les quatre jours est resté à nos côtés. A la question de savoir si ce sont les « rebelles » ou les Fds-ci qui ont tiré sur leurs frères d’armes, l’homme parle d’organisation interne. »Comprenez d’abord que nous sommes organisés ici au PK18. On savait que pour un oui ou pour un nom, des gens allaient venir enlever des personnes dans notre quartier. Donc, les populations étaient prêtes. Au moindre bruit, et à n’importe quelle heure, l’alerte était lancée et on se tenait tous prêts. Aucun rebelle n’a tiré sur les Fds. Ce sont les populations elles-mêmes. » Comment ça, c’est curieux ? « C’est curieux pour toi mais, ce n’est pas une interrogation pour les habitants d’ici. Nous avons des jeunes qui ont été formés au maniement des armes depuis le début de la crise et qui ont appartenu aux groupes de miliciens et autres qui sont dans le quartier. Ce qui leur a été promis n’a jamais été fait. Ils sont-là. A ceux-là, il faut ajouter ceux qui ont quitté la rébellion et qui sont rentrés en famille. Ces genres de personnes existent surtout dans tous les bas quartiers d’Abidjan ». Il se prête volontiers à m’accompagner vers quelques jeunes qu’il connait et qui ont participé à l’attaque. Chemin faisant, il me demande de rester serein et de ne pas répondre à certaines provocations. « Gbagbo t’a remis le pierre (argent jargon nouchi) pour nous pour remplacer les Mangou (le Cema) et autres. Si ce n’est pas le cas, retourne d’où tu viens », lance à notre visage l’un des éléments qui a participé de façon active à l’opération. Avant de se ressaisir, « mon frère excuse nous. C’est comme ça on vit ici. On se dit les gbê (vérité) ». Une fois assis, la causerie continue. Ils sont plus d’une dizaine de jeunes dans un maquis à ciel ouvert. Les discussions vont bon train de part et d’autres dans un lieu où la musique sonne à fond la caisse. Seuls ceux qui sont assis à la même table peuvent s’entendre et se comprendre par moment. Nous faisons passer une commande d’un tour de table afin de donner « les nouvelles ». Notre interlocuteur me présente comme un frère qui travaille à Man et qui est là pour quelques jours. »Mon frère, si tu retournes à Man dit à Loss (chef de guerre de Man) que je garde actuellement mon quartier à Abidjan. Nous on ne recule pas. On a appris ce qu’il nous ont enseigné ». Il est pratiquement 16h, plus de 3h que nous sommes-là. Les masques commencent à tomber. « On n’a pas d’armes lourdes ici. Comme on savait que Blé Goudé devrait venir ici et que les tueurs de Gbagbo allaient faire des enlèvements nous avons attendu sans fermer l’œil. C’est comme ça que nous avons pris les armes de guerre avec lesquelles ils sont venus perquisitionner, en égorgeant les premiers qui sont arrivés à bord des cargos », indique l’un des jeunes très serein. Un autre qui semble fatigué par l’effet de la boisson explique. « On les a tué et pris des Fds comme otages. Ceux qui ont rallié notre cause ont combattu avec nous le deuxième jour. Dites à Mangou de venir en personne. C’est que nous attendons pour lui remettre ses armes et munitions ». Et la seule dame du groupe de renchérir, « nous avons des Fds choco (cool) qui ne connaissent rien en matière de guerre si ce n’est pour draguer les filles. Même quand on parle de couvre-feu, eux, ils ne font que pointer sur les filles. Mangou et ses militaires zélés doivent comprendre que ce n’est pas en rentrant dans les maisons des gens armes au poing pour les enlever qu’on est un grand soldat. C’est sur le terrain que ça se passe ».
La riposte, à la perquisition qui a tourné au cauchemar pour les Fds pro-Gbagbo, a été longtemps planifiée par les habitants. Les armes enlevées ont été rapidement distribuées à ceux qui maitrisent le maniement des armes de guerre. C’est dans ce schéma que ceux qui sont venus perquisitionner cetter poudrière ont laissé leur peau à Abobo PK18. Aujourd’hui, les jeunes de ce quartier que Charles Blé Goudé appelle lui-même Bagdad ont un seul mot : »Nous les attendons. Comme tuer les gens c’est bon qu’ils viennent ».

Des témoins des affrontements ont fait cas de destructions d’un char et de plusieurs véhicules de commandement ainsi que des cargos que les soldats de Gbagbo ont délaissés dans leur débandade.

Pourquoi la gendarmerie, le camp commando et autres corps ne sont pas intervenus

De sources proches de la soldatesque pro-Gbagbo, l’initiative d’une telle opération serait venue de la seule personne de Dogbo Blé, l’un des généraux, aujourd’hui homme de confiance de Lmp. Il aurait pour ce faire envoyé des jeunes soldats, recrus de 2002 et majoritairement de la même ethnie Bété que lui, Gbagbo et Blé Goudé. Ce comportement solitaire et zélé serait la raison pour laquelle selon notre source proche des corps habillés, la gendarmerie, la police, le camp commando et les différents commissariats d’Abobo n’ont pas réagi pendant que leurs « frères d’armes » se faisaient bombarder. Pour ce que les autorités ivoiriennes ont qualifié de perquisition avant le meeting de Charles Blé Goudé à Bagdad (meeting qui n’a jamais eu lieu), ce sont les unités de la police criminelle (ex-PJ), la Cipaa (Compagnie d’intervention de la police d’Abidjan), le Crs1 et 2 et la Bae avec un blindé et un 12.7 (douze sept), convoyés dans cinq cargos qui ont été déployés cette nuit-là. Là-dessus voici un petit calcul : si un cargo prend au moins 20 éléments, 1 Rpg, 1 kalach avec 2 chargeurs sans compter les grenades et munitions, sans le vouloir, Dogbé Blé venait de transformer, la commune d’Abobo en une poudrière qui ne dit pas son nom. Les « rebelles » qu’il a voulu neutraliser cette nuit sont maintenant bel et bien équipés avec des armes dont il connait lui-même la puissance.
Dans les cinq cargos, ce sont donc, 150 éléments des Fds pro-Gbagbo qui ont fait une descente à Abobo, Bagdad pour dire comme l’autre. Les vivants doivent leur salut à des habitants. « Moi, j’ai gardé des Fds pendant des heures et des heures chez moi. Je n’avais pas peur parce que je l’ai signifié aux jeunes qui cherchaient à les exfiltrer », nous explique une dame. « Que Blé Goudé et autres arrêtent d’envoyer les enfants des pauvres familles à l’abattoir. Je suis une mère quand je vois un soldat tomber, j’ai des pincements au cœur », conclut la dame dans le quartier proche de la gendarmerie. C’est ici que notre compagnon a demandé congé et est allé vaquer à ses occupations.

L’hôpital militaire débordé

L’Hma (Hôpital militaire d’Abidjan) a accueilli plus de 200 blessés pendant les deux jours d’affrontement et plus d’une centaine de morts. Nous a confié sous le sceau de l’anonymat un médecin. « La majorité était des Fds », a-t-il indiqué. La morgue nous a été refusée ainsi qu’à certains parents venus chercher les restes de leurs proches disparus.

Un couvre-feu qui n’existe que de nom

L’instauration du couvre-feu n’existe que de nom. Ou du moins au corridor des Fds pro-Gbagbo très replié vers Williamsville. A Abobo comme à Anyama, les populations vaquent à leurs occupations jusque très tard dans la nuit. Ce n’est qu’au corridor que les corps habillés procèdent à des fouilles. Passés ces postes la vie est normale dans les différents quartiers. Les Fds ne s’hasardent plus à perquisitionner à la recherche des « rebelles » qui eux, les attendent de pied ferme

Enquête réalisée à Abidjan par Amy Kouamé

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