Après Duékoué, Abengourou et Agnibilekrou: Dabou au bord d’un embrasement

L’intelligent d’Abidjan

La crise postélectorale a des effets pervers dans de nombreuses localités de la Côte d’Ivoire.

Après Duékoué où l’on a assisté à de violents heurts, Dabou, ville située aux alentours d’Abidjan, n’est pas loin d’un affrontement intercommunautaire. Comment en est on arrivé à ce risque en pays Adjoukrou, jadis considéré comme une cité de paix ? Quelles sont les actions des uns et des autres qui continuent d’entretenir ce climat délétère ? Etat des lieux…

Dabou, il est 11 heures, ce jeudi 03 février 2011, la ville semble tourner à son rythme habituel, dès notre arrivée dans la localité. Malheureusement, cet aspect cache à peine une vive tension entre autochtones et allogènes dans le pays Adjoukrou depuis la fin du second tour de la présidentielle 2010. Nous ferons l’amer constat de cette tension quelques minutes seulement après notre arrivée dans la cité. Deux dames lancées dans une dispute très frontale étaient au bord de l’affrontement. Morceaux choisis : « Nous sommes chez nous ici, on vous a tout donné, vous occupez la majorité des places au marché, en plus vous voulez nous tuer (…) Nous sommes chez nous également en Côte d’Ivoire, vous ne pouvez pas nous empêcher de faire ce qu’on veut même si vous êtes sur la terre de vos ancêtres ». A en croire Akpa B., originaire de Dabou et venu s’interposer entre les deux dames, c’est ce climat délétère qui règne depuis un moment dans cette localité. A les entendre, les femmes autochtones et allogènes (Femmes malinkés et les ressortissantes des pays frontaliers) se regardent aujourd’hui en chiens de faïence dans les marchés de Dabou. Pareil au niveau de la jeunesse où les originaires sont en proie régulièrement à des heurts avec des jeunes allogènes et autres allochtones, ce qui généralement n’est pas loin de conduire au chaos. Ne maîtrisant pas véritablement le trajet devant nous conduire à notre destination finale, à bord d’un taxi communal de la ville, nous faisons le choix de nous renseigner auprès du chauffeur du véhicule plutôt que de raser les murs. Un geste qui conduit ce dernier à mettre le pied dans le plat par rapport à la situation qui prévaut à Dabou. Profitant que nous soyons seulement deux dans le véhicule, le conducteur du ‘’ Worô Wôrô’’, sans détours, dit sa part de vérité sur la tension qui règne dans la localité. «Je vous demande de faire très attention parce que nous vivons ici au rythme d’une tension sans précédent », averti Sanogo M. Et de poursuivre : « Pendant des manifestations politiques, quand nous refusons de rouler pour cause de prudence, on nous traite de composer pour un camp. Et les ressortissants nous en veulent. Pis, on veut nous chasser de la ville ». A l’écouter, les faits sont à prendre au sérieux. Surtout qu’il a renchéri que des allogènes, propriétaires de maisons, sont en proie à des difficultés face à des locataires autochtones, qui refusent de payer leur loyer. « Ces locataires disent s’offusquer que des populations, à qui ils ont tout donné même des espaces pour construire des habitations puissent contribuer à une quelconque attaque contre leur ville », ajoute-t-il.

Le tract accusant

le maire Tiapani et qui veut embraser Dabou

A l’origine de cette crise entre les communautés autochtones et allogènes qui, naguère, vivaient en parfaite symbiose, la diffusion d’un tract, annonçant une attaque de Dabou par « des rebelles » avec la complicité des populations allogènes de la localité. Le maire de la ville, cité dans ce tract comme l’un des collabos des « assaillants », s’est indigné au cours d’une rencontre de crise sur cette situation, contre les personnes qui contribuent par la distribution de ce tract à envenimer la situation. « On distribue des tracts dans les maisons et dans la ville qui indiquent que l’ONUCI (Ndlr : Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire) a remis des armes à des rebelles qui sont dans la ville, avec ma complicité, pour attaquer Dabou. Toutes ces actions risquent de conduire à un embrasement de notre cité », a déploré le premier magistrat de la commune. Avant de regretter que des rumeurs « non fondées » sont entretenues par des oiseaux de mauvais augures pour créer la chienlit dans le pays Adjoukrou. Récemment, à en croire le maire Tiapani, ces informations ont occasionnés la mort d’un chauffeur de car, soupçonné de transporter des armes pour les remettre aux « rebelles de la ville ». « Pourtant son camion ne contenait que des conteneurs vides», précise-t-il. Pour lui, cette atmosphère teintée de suspicion de part et d’autre, de rumeurs, ne résultent que des mauvaises intentions de certains responsables politiques. «Et d’El Hadj Ouattara Kassoum, porte-parole de la communauté musulmane, par ailleurs, président du Conseil national islamique de Dabou. Déplorant que populations malinkés et Adjoukrou se regardent aujourd’hui avec hostilité, l’homme de Dieu estime que c’est la politique qui est en train de diviser tout le Léboutou. « C’est la nouvelle politique qui est entré entre nous », dit-il pour indiquer que la politique marquée par les rumeurs non fondées, par la manipulation, le tribalisme , est en train de semer la division entre les populations. Même son de cloche pour le Pasteur Isaac Aka, surintendant de l’Eglise Méthodiste unie du district de Dabou, qui pense que les uns et les autres ont tourné le dos à la vérité de Dieu, qui est l’amour, le pardon et ont fait le choix de celle de l’homme, caractérisée par les manipulations, les incitations à la haine et à la division. « La recherche de la liberté a conduit à un libertinage. Aujourd’hui, il y a une grave crise morale. Les jeunes n’écoutent plus les vieux. Toute autorité installée n’est plus respectée », fait-il remarquer.

Le ministre René Dibi interpelle…

Le Chef du village de Lopou à Dabou, le ministre René Dibi, abonde également dans le même sens.

« Aujourd’hui les jeunes n’écoutent plus les parents, les femmes s’élèvent, elles font ce qu’elles veulent. Il y a un véritable amalgame. Il faut faire une rétrospection pour que nous reprenions le bon chemin», s’est-il indigné l’ex-ministre des Sports. Rappelant que les autochtones et les allogènes ont toujours vécu en bonne intelligence, il dit être surpris que la politique puisse semer aujourd’hui la division entre les communautés. « Chez les Adjoukrou, chacun peut s’exprimer.

Nous sommes un peuple démocratique au vrai sens du mot puisque nous régnons par classe d’âge. Après huit ans, une nouvelle classe d’âge prend le pouvoir. Voilà une démocratie ancestrale qui n’a pas besoin de démocratie importée qui nous divise », s’offusque le Chef du village de Lopou. Avant d’exhorter les uns et les autres à œuvrer pour le rétablissement de la cohésion sociale. « Les allogènes ont toujours leur place à Dabou, parce qu’ils nous aident beaucoup. Toutefois, ils doivent faire en sorte pour ne pas donner tomber dans la provocation.

Les Adjoukrou, pour leur part, doivent comprendre que dans aucune ville au monde, on ne peut vivre en autarcie», conseille le ministre René Dibi. Populations, chefs de communautés, responsables religieux, autorités administratives et politiques, tous reconnaissent qu’il y a du feu à la maison. Raison pour laquelle, ils multiplient les rencontres pour éteindre ce feu. Et en première ligne de ce processus de réconciliation locale, Zogbo Ahipeau Léon, Préfet du département de Dabou qui a mis en place, pour la circonstance, un comité de crise pour passer au peigne fin tous les problèmes postélectoraux qui fragilisent l’unité de la cité. « Les rumeurs ont créé trop de suspicions. Ce qui a conduit à un climat de méfiance entre les populations. Mais j’ai foi, avec les réunions que nous tenons depuis la mise sur pied de ce comité de crise, où les populations se retrouvent pour discuter sans faux fuyant, que nous n’arriverons pas au chaos. Je pense que ça ira », a-t-il rassuré.

Envoyé spécial, Raymond Dibi

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