La Côte-d’Ivoire ne doit pas être divisée – Par dr. Dieth Alexis


La Côte d’Ivoire multiethnique doit devenir un Etat-nation

Dans son édition du mercredi 9 février dernier, Fraternité-Matin, s’inspirant de l’exemple du séparatisme soudanais, reprenait en écho l’idée de la partition qui trotte dans le camp du président sortant et qui s’accorde avec sa conception ethnique de la nationalité. Ce dernier y voit la panacée qui permettrait de résoudre définitivement son problème existentiel : La conservation du pouvoir présidentiel. Nous aurions souhaité que soient proposés à la Côte d’Ivoire des exemples hautement plus progressistes, plus consistants et plus républicains : les exemples tunisien et égyptien qui ont l’avantage de donner l’image d’un président qui abandonne le pouvoir de son plein gré parce qu’il est contesté par la majorité de son peuple. L’exemple qui a l’avantage de conserver l’intégrité du territoire de l’Etat et de ne pas mutiler le corps du peuple souverain est celui qui convient à l’Etat multiethnique ivoirien capable de devenir une nation indivisible fondée sur une conception démocratique et citoyenne de la nationalité. A la différence du Soudan, la partition ne saurait convenir à la Côte d’Ivoire multiethnique et multiconfessionnelle aux populations imbriquées les unes dans les autres. Nous voudrions ajouter avant d’en faire la démonstration que l’espérance de conserver le pouvoir dans le Sud du pays, espérance qui sous-tend en sous main la proposition de la partition, est une dangereuse illusion. La balkanisation qui est contenue dans la conception ethnique de la nationalité qui est celle du camp du président sortant, n’épargnera pas le Sud de la Côte d’Ivoire qui sera découpé en une mosaïque de petits Etats-nations ethniquement purs concentrés sur les richesses portuaires, gazières, et pétrolières. Notre souci dans cette contribution est de présenter concrètement aux sens le processus de la balkanisation et de justifier ensuite la nécessité de construire un Etat-nation en Côte d’ivoire.

Nous allons démontrer en plusieurs points cette évolution inéluctable vers la balkanisation dès que la partition sera devenue effective, l’unique moyen d’éviter cette catastrophe étant que la Côte d’Ivoire multiethnique devienne un Etat-nation fondée sur la conception démocratique et citoyenne de la nationalité. Il faut donc commencer par dénoncer l’imposture du nationalisme actuellement en cours en Côte d’Ivoire qui se donne pour un nationalisme citoyen. Il faut aussi dénoncer l’imposture de la sorte de « patriotisme » tapageur qui se donne pour un patriotisme citoyen d’Etat. Le nationalisme et le patriotisme ivoiriens actuels sont en réalité un nationalisme ethnique et loyalisme ethnique à des coutumes et à un Etat ethnique. La différence est essentielle, comme nous allons le montrer plus loin, et il ne faut pas s’y tromper. Dans le nationalisme ethnique, l’identité individuelle est déterminée par l’appartenance ethnique. On s’y reconnait à partir de cette appartenance. On se sent proche et on se lie de préférence aux personnes qui sont de la même ethnie que nous en excluant les étrangers c’est-à-dire tous ceux qui ne sont pas de notre ethnie, ne partagent pas nos langues vernaculaires, nos coutumes et traditions. Les liens s’y fondent sur la communauté des mœurs et des liens sanguins et ancestraux. L’ethnie est donc une force centripète dans le nationalisme ethnique. Il s’ensuit donc que, dans un Etat multiethnique comme l’est la Côte d’Ivoire, le nationalisme ethnique conduit nécessairement à des regroupements par affinité ethnique et à l’exclusion des étrangers c’est-à-dire « ceux qui ne sont pas nous » et qui, du fait de leur état même d’étranger, sont des ennemis. On peut en déduire aisément que le mouvement des regroupements ethniques sera accentué par la partition dans le contexte d’un Etat discrédité et désormais impuissant ayant inauguré l’acte de la partition ethnique. Venons en maintenant aux points de notre démonstration.

Dès son adoption, l’acte de la partition fera d’abord jurisprudence dans une société multiethnique ou l’ethnie est désormais devenue un critère de nationalité. Dans la conception ethnique de la nationalité, qui a conduit au choix de la partition, les coutumes, les liens de sang et de parenté, les liens ancestraux, les traditions et les langues vernaculaires communément partagées avec les congénères lignagers et tribaux, sont des critères d’appartenance commune et d’identité. Ces éléments représentent la source de la loi comme en témoigne la dangereuse réactivation des chefferies traditionnelles. Dans ce sens, une ethnie est une nation en miniature car, dans l’acception ancienne du terme, la nation est une unité ethnique et coutumière. Une nation, c’est l’ensemble des membres d’une même ethnie qui ayant des liens de sang, de parenté, des coutumes et des ancêtres communs ont un sentiment d’appartenance commune.

Ayant donc un sentiment d’appartenance commune et de reconnaissance réciproque, les membres de la nation forment en tant que nation un peuple. Dans le contexte qui est le nôtre, le contexte de la menace de la partition, il est très important et même impératif de savoir qu’une ethnie est à la fois une nation et un peuple. Elle n’est ni une réalité exotique, ni une survivance tribale connotée péjorativement ! Une ethnie est d’abord un peuple. Or l’un des principes fondamentaux de la déclaration des Droits de l’homme est « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et à se donner les chefs qu’ils veulent se choisir c’est-à-dire, en fait, à constituer leur propre Etat.

S’il en est juridiquement ainsi, et que les groupes ethniques sont des nations et donc des peuples, il en découle qu’ils peuvent se donner chacun un Etat qui soit l’expression de leur existence politique territoriale.

En conclusion, les soixante huit ethnies ou les plus grands groupes ethniques de la Côte d’Ivoire, dont le gouvernement sortant vient de donner l’exemple de la partition, sont légitimement en droit de se donner chacun un Etat dans la mesure où ils en ont la possibilité matérielle et où s’ils sont assez forts pour pouvoir se défendre . Devenu la loi par laquelle se règlent les conflits territoriaux concernant la représentation politique des groupes ethniques, le paradigme de la partition et du séparatisme, va alors générer la logique de la balkanisation. On ne peut alléguer ici que les plus petits groupes ethniques seront dans l’incapacité d’exercer « leur droit à disposer d’eux-mêmes » à constituer et à défendre un Etat indépendant. Forte est en effet la tendance au séparatisme lorsque prévaut, le tribalisme, la logique de l’exclusion de la différence, de la division, et de la stigmatisation de l’étranger, dans un contexte où l’ethnicisme est devenu un critère de nationalité.

Présentons maintenant les conséquences concrètes de la partition dès lors qu’elle serait devenue la règle d’existence territoriale et politique des groupes ethniques. Dans la mesure où les groupes ethniques sont des nations et des peuples, les plus grands d’entre eux et ceux qui sont situés sur les Côtes ou les frontières peuvent, dans une Côte d’Ivoire déjà partitionnée, chercher à devenir indépendants à leur tour avec des appuis extérieurs. Les politiques de répression contre ces divers mouvements indépendantistes par un Etat internationalement contesté, discrédité et affaibli ne seront guère efficaces. Concrètement, cela veut dire qu’au Sud, un Etat-nation Agni peut être créée de Tanda à Adiaké sur la Côte en passant par Bongouanou et Abengourou. Un séparatisme Agni n’a-t-il pas d’ailleurs été tenté par le passé ? On peut aussi concevoir une création d’Etat-Nation Attié, entre Adzopé et Alépé. Un autre Etat-nation Ebrié peut naître à Abidjan et ses proches régions. Les Atchans, tribu Ebrié, qui, badigeonnés de kaolin, manifestent ces jours-ci pour soutenir Gbagbo, pourraient demain dans une Côte d’Ivoire partitionnée en laquelle règne le nationalisme ethnique, entreprendre des manifestations publiques en association avec toutes les tribus de l’ethnie Ebrié, pour réclamer l’autonomie économique et politique de leur territoire ancestral. De Jacqueville à Dabou un Etat-Nation Alladian et Adioukrou pourrait voir le jour. On peut imaginer un autre Etat-nation sur la côte sud-ouest de Sassandra Tabou en passant par San-Pedro et Grand-Béréby regroupant les Kroumènes et les Neyo. On peut aussi concevoir un Etat-nation Wè et Guéré, de Man à Guiglo, en passant par Danané Toulepleu et Duékoué. On pourrait de même concevoir un Etat-nation Agni dans la boucle du cacao et un Etat-Nation baoulé, de Bouaké à Toumodi, en passant par Yamoussokro. On pourrait finalement, pour clore provisoirement le tableau non exhaustif de ces divers séparatismes, concevoir un Etat-Nation Bété et Dida, de Daloa à Divo, en passant par Issia, Gagnoa et Ouragayo. Le président du Sud de la Côte d’Ivoire, le jour de la partition de la Côte d’Ivoire, se retrouverait finalement, au fil de la balkanisation, président d’un Etat-nation Bété constitué de trois (3) chefs-lieux de Région et de trois chefs-lieux de département.

Démontrons, pour finir, que loin d’être une vue de l’esprit, la balkanisation de la Côte d’Ivoire est matériellement faisable. Ces divers séparatismes, juridiquement légitimes, seront donc conceptualisés par les élites respectives des groupes ethniques soutenus par les chefs coutumiers et bénéficieront d’aides extérieures en financements et en armements. Diverses puissances étrangères, en quête de monopoles et de marchés portuaires pétroliers, miniers, cacaoyers ou caféiers appuieront et soutiendront leurs clientèles et poulains respectifs avec des mercenaires, des trafiquants en tout genre et de l’argent. Il s’en suivra une meurtrière guerre civile dont les prémices s’annoncent clairement, qui sera faite de déportation, d’épuration ethnique, de tueries massives que ne parviendra pas à arrêter l’intervention de la force régionale qu’est l’Ecomog, intervention si peu désirée et tant décriée aujourd’hui, mais qui serait fortement souhaitée à ce moment-là. Il faut se souvenir, à ce propos, de l’appel désespéré de la Sierra Léone à la Grande-Bretagne, l’ex-puissance colonisatrice, durant la terrible guerre civile sierra-léonaise, pour imaginer que la Côte d’Ivoire déchirée pourrait alors, buvant la coupe de l’amertume jusqu’à la lie, en appeler à l’intervention de la France, l’ex-puissance colonisatrice. Ce serait le comble de l’ironie.

Il faut donc conclure que le séparatisme est la pire des solutions. Avancée aujourd’hui à la fois avec légèreté et conséquence puisque, dans le cadre d’un Etat multiethnique, il est inclus comme conséquence dans l’axiome du nationalisme ethnique du camp Gbagbo, le séparatisme est une gangrène qu’il importe d’éviter à tous les prix.
Le nationalisme ethnique doit être rejeté et la Côte d’Ivoire multiethnique doit se reconstruire en devenant un Etat-nation par le chemin du nationalisme citoyen et démocratique. En quoi consiste ce type de nationalisme qui est radicalement différent du nationalisme ethnique et porteur de vie, de progrès et d’émancipation collective et individuelle?

Dans le nationalisme ethnique, la nation est constituée par les gens qui parlent la même langue, partagent des ancêtres communs et un ensemble de coutumes de mœurs et de loi. Ils constituent par cela même un peuple, une communauté naturelle de sang qui se distingue des étrangers implicitement exclus. Dans le nationalisme démocratique moderne, au contraire, le peuple est une communauté politico-historique et non pas naturelle. Il se définit par la volonté de vivre ensemble et d’obéir à une loi commune. Les membres d’une même nationalité sont ceux qui désirent vivre sous le même gouvernement et désirent être gouvernés par eux-mêmes ou exclusivement par une partie d’eux-mêmes. Ce ne sont pas les membres de la communauté naturelle qu’est l’unité existentielle de l’ethnie. Comme le montre Hobsbawm : « La nation dans ce sens c’est le corps des citoyens dont les droits en tant que tels leur donnent un rôle dans le pays et font de l’Etat en quelque sorte le leur ». Dans le sens moderne de la nation, sens qui émane de la Révolution française, la nation est instituée par le choix délibéré de ses citoyens potentiels. L’ethnie, la langue ou le patois n’ont aucune incidence sur la définition moderne de la nation. Le nationalisme moderne citoyen est pluriethnique parce qu’il traverse les groupes ethniques et linguistiques, les coutumes et les traditions. La langue que parle x ou y est sans rapport avec son statut de membre du peuple z. Quoique l’ethnie, la langue, la coutume pussent être des indications d’appartenance collective, elles ne définissent pas ce qui est partagé en commun dans le sens politique et moderne de la nation. Ce qui caractérise le peuple-nation est précisément qu’il représente l’intérêt commun contre les intérêts particuliers, le bien commun contre les privilèges. Dans l’acception moderne de la nation constituée par la volonté délibérée de vivre ensemble sous les mêmes lois et sous un gouvernement autonome, la valeur absolue qui est partagée en commun est donc le bien commun, l’intérêt général. A cette conception de la nation, comme nation créée par le choix politique délibéré de ses membres, comme « nation consentie et voulue par elle-même » selon Lavisse, s’oppose la conception de la nation comme « unité existentielle préétablie » partageant en commun des coutumes des mœurs et des ancêtres communs.

Comme corps de citoyens ayant en partage le bien commun dans le cadre d’un Etat, la nation se nomme la patrie. La patrie est la nation qui est créée par le choix de ses membres qui donnent en conséquence de l’amour au pays, qui est né de leur volonté, en rompant avec le loyalisme naturel envers leur ethnie. La patrie n’est pas l’unité ethnique qui existe, elle, naturellement et à laquelle s’adresse une fidélité naturelle. Il n’y a donc pas de patriotisme dans la nation ethnique à laquelle les membres sont naturellement attachés par les liens du sang.

En ce sens, les patriotes sont tout le contraire de ceux qui sont fidèles au pays ethnique. Dans le sens original du mot, « les patriotes » sont, comme l’écrit le Dr Johnson cité par Hobsbawm, « des trublions factieux s’opposant au gouvernement ». Ainsi, dans le cas qui concerne la Côte d’Ivoire, les patriotes seraient les rebelles et les résistants au gouvernement contesté dans les urnes et non pas les miliciens de Blé Goudé qui sont plutôt un regroupement de gens qui proclament leur loyauté à une nation de type ethnique. Ne désignent-ils pas d’ailleurs les institutions étatiques et le président sortant comme étant leur fétiche auquel il ne faut pas toucher ? Cette fidélité ethnique n’est pas du patriotisme. Le patriotisme désigne originalement la révolte du citoyen voulant améliorer les institutions sclérosées et défaillantes. Le patriote est celui qui rompt avec le loyalisme traditionnel envers l’ethnie pour construire une nation citoyenne. C’est dans ce sens que le mot est utilisé durant la Révolution française en 1789 par les révolutionnaires français. Les révolutionnaires considéraient les patriotes comme étant « des gens qui montraient leur amour pour leur pays en souhaitant le renouveler par des réformes ou par une révolution ». La patrie à laquelle ils étaient fidèles était la nation créée par le choix de ses membres qui, se faisant, rompaient avec leur ancien loyalisme, envers la nation ethnique préétablie.
Quel est le type de nationalisme et de patriotisme correspondant donc à l’Etat multiethnique ivoirien légué par la colonisation ? Légué par la colonisation, l’Etat n’a pas été le produit d’une nation voulue et créée à partir du consentement exprès et délibéré de tous membres ethniques qui n’ont pas rompu ou du moins ne se sont pas écartés des unités existentielles préétablies que constituaient leurs ethnies respectives. Certes, on parle souvent de la nation ivoirienne. Mais la nation dont il s’agit alors n’est rien d’autre que la nation au sens d’Etat territorial et non pas la nation en tant que communauté citoyenne créée par la volonté délibérée de vivre ensemble. La conception ethnique de la nation a donc prévalu et la nation ethnique est demeurée l’entité à laquelle s’adressait en fait exclusivement l’amour des membres des Etats multiethniques africain. Le nationalisme ethnique, en cours actuellement en Côte d’Ivoire, et qui se présente frauduleusement comme un nationalisme citoyen résulte de cette absence d’un nationalisme citoyen qui naît toujours d’une nation consentie et voulue et d’un Etat qui en est l’expression politique. Les fidélités, les allégeances et les loyautés ethniques qui se présentent frauduleusement comme étant l’expression du patriotisme d’Etat ivoirien naissent de l’absence d’une nation créée par le choix de ses membres. C’est la prééminence de la nation ethnique et l’amour exclusif adressé par ses membres à cette unité existentielle préétablie qui ont institué naturellement l’exclusion de l’étranger dans le tissu social ivoirien et fini par générer la menace de la partition. Que faire donc pour reconstruire la Côte d’Ivoire et pour éliminer le spectre du séparatisme et de la désintégration?

Il est d’abord impératif de se convaincre que les groupes ethniques des sociétés multiethniques sont destinés à vivre ensemble quels que soient les rêves d’un retour à une nation ethniquement pure. Le meurtre de masse et les tueries lors des ratissages, les expulsions et les rapatriements, autrement dit la barbarie, n’ont jamais réussi à supprimer la complexité ethnique que les mouvements des peuples finissent toujours par restaurer. Il faut donc que la Côte d’Ivoire multiethnique devienne un Etat-nation fondé sur la conception citoyenne de la nationalité.

Pour créer une nation ivoirienne il faut, par delà les langues les coutumes et mœurs, vouloir obéir à une loi commune, vouloir vivre sous des lois communes en résiliant ou en s’écartant des loyalismes envers l’unité existentielle de l’ethnie. L’identité nationale doit être citoyenne et démocratique. Les identités ethniques doivent demeurer des identités régionales, non pas devenir des identités nationales. Pour ce faire, il faut éliminer la force centrifuge du nationalisme ethnique en créant une nation citoyenne en lieu et place de la nation ethnique. Il faut qu’un patriotisme citoyen d’Etat se substitue aux divers loyalismes envers les coutumes ancestrales et les ethnies. Il faut, pour ce faire, créer une nation voulue et consentie. Les différents groupes ethniques doivent choisir délibérément et expressément de vivre ensemble dans l’Etat multiethnique, d’y constituer une même nation et un même peuple. Il est ici question de réaliser l’unité du multiple et de la diversité par le choix et la volonté. Il faut donc réparer la blessure qu’a constituée le regroupement forcé des nations ethniques dans un territoire commun sous la contrainte coloniale. Il faut combler ce hiatus de l’assemblée populaire volontaire par « des états généraux des peuples », comme l’a si bien suggéré Yves Lacoste, et des conférences nationales où les divers peuples de Côte d’Ivoire déclarent leur volonté de vivre ensemble sous des lois communes en partageant en commun le bien commun et le respect de l’intérêt général dans l’Etat. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : bâtir un Etat-nation fondé sur la défense et le partage du bien commun et de l’intérêt général dans un Etat multiethnique démocratique. La véritable gageure est donc de construire une nation en substituant un Etat multiethnique démocratique à un Etat dictatorial.
Mais comment parvenir à réaliser un tel programme dans la mesure où la nation et le peuple semblent préexister à l’Etat et en constituer le fondement ? Comment créer une nation à partir de l’Etat territorial multiethnique ivoirien ? Cet obstacle n’est cependant pas infranchissable car, comme le montre Hobsbawm, « les nations sont plus souvent la conséquence de l’établissement d’un Etat qu’elles n’en sont le fondement. Les Etats-Unis et l’Australie sont des exemples évidents d’Etats- nations dont toutes les caractéristiques nationales spécifiques, et tous les critères de nationalité, n’ont été établis qu’à la fin du XVIIIe siècle, et qui n’auraient de fait pas pu exister avant la fondation de l’Etat et du pays ». Cependant, précise-t-il, « la simple fondation d’un Etat ne suffit pas, en elle-même, à créer une nation ». La fondation de l’Etat postcolonial ivoirien n’a pas, pour plusieurs raisons, donné lieu à la construction d’une nation. Les diverses nations ethniques vivant sur le territoire, ne se sont pas unifiées de manière volontaire et consentie en une nation ivoirienne en faisant du principe de la citoyenneté le critère de la nationalité. Les récentes tentatives de construction d’une nation ivoirienne ont plutôt reconduit l’appartenance et le loyalisme ethniques respectivement comme caractéristique nationale et comme critère de nationalité. Il est donc indispensable de construire la nation ivoirienne en faisant du principe démocratique de la citoyenneté sa fondation. Mais ce n’est que dans un Etat démocratique que le principe de la citoyenneté peut être adopté comme critère de nationalité. C’est ce que prouve l’exemple des Etats-Unis et de l’Australie. En Côte d’Ivoire, l’acte initial qui pourra inaugurer cette construction est donc la reconnaissance de la Souveraineté du peuple et le respect de sa voix, respect qui instituera un Etat démocratique. Dans les Etats multiethniques africains, l’institution d’un Etat démocratique est la condition sine qua non de possibilité de la création d’une nation. Les Etats multiethniques africains ne peuvent devenir des Etats-nations qu’à travers la médiation de la démocratie.

Par Dr. Dieth Alexis Vienne Autriche

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