Abobo, Treichville, Koumassi: communes de la résistance, couveuses afropolitaines de CI

Abobo, Treichville, Koumassi : communes de la résistance, couveuses afropolitaines de Côte d’Ivoire

Aux vies sacrifiées de la Révolution Ivoirienne en cours

A tous mes anciens voisins d’Abobo et aux abidjanais

A tous ceux qui croient encore en la Côte d’Ivoire

Par Franklin NYAMSI

Agrégé et Maître de Conférences des Universités Françaises

Docteur en Philosophie de l’Université de Lille 3.

Pourquoi les quartiers les plus métissés de nos villes africaines paient-ils le plus lourd tribut en termes de vies humaines sacrifiées par les régimes despotiques d’Afrique ? Pourquoi les communes les plus expressives de la diversité africaine sont-elles les quartiers naturels de la désobéissance civique en temps de dictature ? La longue liste des personnes civiles assassinées dans les communes d’Abobo, Treichville et Koumassi, en la présente crise postélectorale ivoirienne nous impose de nous interroger sur le lien étrange qui se dessine ainsi entre les types citadins d’une ville et la relation des citoyens qui y vivent avec les formes abusives et arbitraires du despotisme local. Pourquoi tant de crimes du régime Gbagbo dans ces communes spécifiques ? Y a-t-il un lien entre le pluralisme politique cultivé par ces laboratoires citoyens à ciel ouvert et l’acharnement criminel dont ces espaces font l’objet dans le temps désormais long et observable du conflit politique ivoirien contemporain ? La question peut aussi s’inverser. Pourquoi Abobo, Treichville et Koumassi sont-elles désormais si réfractaires aux pontes de la Refondation alors qu’ils y bâtirent de sérieux bastions dans les années 90 ? Au fond, ancien exilé camerounais dans le quartier populeux d’Abobo-Avocatier, j’aimerais comprendre pourquoi l’usurpation anti-démocratique orchestrée par le FPI de Laurent Gbagbo pour le contrôle de l’Etat de Côte d’Ivoire rencontre ses ennemis les plus acharnés dans les quartiers les plus expressifs de la diversité ivoirienne et de la diversité africaine dans la ville d’Abidjan.

I Temps et espaces de vie africains : foyers de pluralisme esthétique et politique

Le temps de l’Afrique se lit dans l’histoire des espaces de vie des africains. Or l’histoire de l’urbanisation des villes africaines est enchevêtrée de plusieurs facteurs. A l’occupation clanique, tribale, voire « ethnique » de l’espace, s’est progressivement ajoutée l’occupation économique par les contraintes du commerce, l’occupation administrative par les réquisitions étatiques pour les routes et bâtiments publics, l’occupation volontariste des nouveaux citoyens épris de cosmopolitisme, l’occupation opportune des exilés africains en quête de ré-immersion sociale, l’occupation informelle du grand nombre sous la pression de l’exode rural et de la prolétarisation massive des banlieues de villes, etc. Les quartiers ou communes des villes africaines n’ont donc pas la même forme architecturale, la même composition de populations, les mêmes besoins et désirs, les mêmes arts de vivre, les mêmes traditions sociales, économiques ou politiques. En fonction des facteurs d’urbanisation qui les composent, ils affrontent différemment les problèmes liés à la rareté, à l’emploi, à la civilité, à la convivialité, à la citoyenneté, à la vie et à la mort. Nous appellerons donc quartiers et communes afropolitains, ceux et celles dans lesquels le métissage humain qui prépare le Tout-Monde – concept d’Edouard Glissant – africain de demain, est poussé à l’extrême, jusqu’à se faire proposition originale de manières fécondes d’être humain.

Dans les villes africaines, il est ainsi des quartiers et des communes plus africains que les autres, parce qu’en ces espaces, s’opèrent les brassages d’hommes et d’idées qui préparent l’humanité de demain. Ces parties de villes africaines qui sont ces villes africaines en miniature inventent, anticipent, créent les formes de vie dont bénéficiera l’Afrique qui vient. C’est aussi dans ces parties microcosmiques, où l’Afrique se donne en synthèse et en perspective, que se prépare la proposition cosmopolitique de l’Afrique à toute l’humanité. Ce qui compte dans ces parties de villes africaines, ce n’est plus ce que l’on est, ce que l’on a, mais d’abord ce que l’on y fait. L’humain s’y définit avant tout par la plastique de son œuvre. Dans le brassage d’espaces, de temporalités, de langages, de couleurs, d’espérances, de fêtes et de deuils qu’impose la vie dans ces quartiers, émerge une conception détribalisée de l’individu, que cerne désormais une conception plutôt esthétique. La question « tu es d’où ? » perds désormais sa valeur, en lieu et place de la question « tu fais quoi ? ». Le problème de l’origine est supplanté par celui de la destination et du projet. Le pluralisme ethnique ou nationalitaire cède alors le pas au pluralisme esthétique et éthico-politique. On passe d’une pensée du Même à une pensée de l’Autre. Les thèses du philosophe de l’art Yacouba Konaté n’incitent pas à penser autre chose, lui qui, à partir des figures de Christian Lattier et d’Alpha Blondy, saisit l’invention moderne de soi de l’africain à partir de la catégorie de projection, et non plus celle, stérile de l’identité. On trouve de même, dans l’œuvre du philosophe Augustin Dibi Kouadio, une pensée de la différence libérée[1], qui ne fait pas moins signe vers la même orientation, puisque le penseur veut dé-figer la problématique identitaire à partir d’un réinvestissement de la vocation métaphysique de l’homme universel, à faire sens à partir d’une reprise dialectique de son autonomie.

Tel par exemple est le sort spécifique des quartiers d’Abobo, de Koumassi et de Treichville à Abidjan de Côte d’Ivoire. Tel est le sort des quartiers de New-Bell, de New-Deido, de Nkongmondo ou de Bépanda à Douala du Cameroun : on y trouve, vivant comme spontanément ensemble, des gens de toutes sortes d’origines et de conditions socioéconomiques, des gens vivant du salariat, des petits métiers et des gens vivant de l’art. On y rencontre l’intellectuel, l’exilé, l’artiste, comme le petit débrouillard tenant son bout de cirage, son petit tabouret et sa brosse de fortune. On peut aisément y passer d’une discussion banale à l’écoute d’un groupe de créateurs musicaux où à la dégustation de l’inouï d’un livre acheté au hasard. Celui qui y vit apprend, rien qu’en sortant de chez soi, que le monde est un chantier symbolique ouvert, que l’avenir s’invente chacun pour soi avec les autres, au quotidien. Comment s’étonner dès lors que ces quartiers soient les cibles favorites du monolithisme politique ? Il n’est finalement pas étonnant que la violence identitaire de régimes reclus dans une conception chauvine de la nation et de la citoyenneté s’abatte exceptionnellement contre les lieux et espaces de vie qui démentent cruellement les expectatives de ces despotes. En effet, on peut dire sans risque de ce tromper que l’ivoirité se brise en mille morceaux au mur de la réalité cosmopolitique d’Abobo, de Koumassi et de Treichville. En ces quartiers, l’ethnicité est transcendée par la cosmopoliticité. La fermeture identitaire est destituée par l’ouverture altéritaire. Quartiers exclus de l’équation identitaire, ils sont pourtant les pierres angulaires de la démocratie africaine qui s’annonce radicale, féconde et résolue dans sa quête d’universalité et de concrétude.

II Abobo, Koumassi, Treichville : démentis vivants de l’ivoirité

Des ivoiriens originaires de toutes les régions du pays vivent en grand nombre dans la commune d’Abobo : non seulement en raison de l’accessibilité économique des terres et du loyer, mais aussi du fait de l’ouverture de l’espace, qui n’offre par de résistance notoire aux projets urbanistiques. Commune plate, Abobo s’offre comme le désert à l’exploration de la vue et du désir. Abobo appelle au parcours, au voyage et offre charnellement au nouveau venu, cette vue de l’horizon qui rassure quant aux possibilités de sédentarisation. De même, Treichville et Koumassi, communes traversées de nombreuses places commerciales, suggèrent par la présence du négoce, la possibilité de se faire une place, de faire affaire ou de trouver affaire, de négocier et de rentabiliser, d’acheter ou de revendre, d’emprunter ou de prêter avec succès. Ces communes sont entièrement bâties sur le principe du sol et récusent, mètre par mètre, les liens claniques obscurs du sang. La citoyenneté de projet s’impose en lieu et place de la citoyenneté de rejet. La Côte d’Ivoire sort de l’ivoirité pour retrouver son désir d’altérité, sa volonté de se projeter dans l’Infini à partir de sa vraie substance de générosité, d’hospitalité, d’humanité : « Salut, ô terre d’espérance, pays de l’hospitalité… », quel démenti cinglant cette première ligne de l’hymne de Côte d’Ivoire inflige aux doctrines africaines du repli dans la gadoue de l’auto-satisfaction identitaire !

L’ivoirité, par petites touches venues de la gauche et de la droite politiques des années 60 à 2000, fut élaborée par une clique de politiciens qui espéraient ainsi confisquer les rentes assurées par une citoyenneté ivoirienne préférentielle et exclusive. Elle fut définie comme garantissant des droits régaliens aux individus supposés appartenir de souche multiséculaire à l’Etat-Providence issu de la colonisation. Les dividendes du café et du cacao, du bois et du pétrole, etc. couleraient tranquillement vers leurs coffres-forts privilégiés. Les autres n’auraient qu’à rentrer chez eux. Hélas. La comédie bouffonne d’une élite de jouisseurs a tôt fait de tourner, sous les effets conjugués de la crise économique et des revendications démocratiques, en une tragédie de pitres. La doctrine infâme de l’ivoirité fonde la citoyenneté dans une biologie suspecte, dans une généalogie surfaite et dans un passé sclérosé. Si en effet, est véritablement ivoirien, celui dont le passé ne témoigne d’aucune trace de croisement génétique avec des gènes extérieurs au territoire de Côte d’Ivoire, il va de soi qu’il n’y a pas d’ivoirien, comme il n’y a ni camerounais, ni malien, ni burkinabé, etc. Les nationalités ne sont pas des essences, mais bel et bien des constructions juridiques visant à aménager des sphères de vivre-ensemble entre les humains. Faire des politiques dans l’ignorance de ce principe/limite, c’est faire prospérer la violence et la mort. Car de longue date, les hommes de tous les pays viennent nécessairement d’ailleurs. Remonter indéfiniment dans les millions d’années d’évolution anthropologique qui ont conduit à l’homo sapiens qui peuple toute la planète ne prouverait pas le contraire. Le droit du sang ne pouvant servir de critère suffisant à la nationalité, c’est résolument dans le droit du sol que celle-ci s‘émancipe des catégories primitives et obscurantistes de la pureté raciale.

Dans ces conditions, Abobo, Treichville et Koumassi deviennent alors les quartiers-phares de la Côte d’Ivoire qui vient. Ces quartiers se dressent, avec leurs citoyens résistants, comme des démentis vivants à l’opium de l’ivoirité qui nivèle les esprits par les passions identitaires. Verticalité de la différence libérée contre horizontalité de la différence écrasée. Démentir l’ivoirité, c’est pour Abobo, Treichville et Koumassi, se définir à partir du projet d’une Côte d’Ivoire nouvelle, où l’œuvre du futur importera plus que les stigmates du passé. Démentir l’ivoirité, c’est construire la citoyenneté ivoirienne à partir de ce qu’on veut en faire, à partir de ce qu’on veut faire de ce que les autres et les circonstances ont fait des hommes. Car « le plus important ce n’est pas ce que les autres ont fait de nous, mais ce que nous faisons de ce que les autres ont fait de nous » (Sartre). Et c’est donc dans Abobo, Koumassi et Treichville que se donne à voir la résistance à la citoyenneté du sang, du clan, de l’ethnie et du chauvinisme. En ces quartiers, les citoyens ont appris davantage à s’inquiéter de ce que vous faites, de ce que vous voulez faire que de ce que vous dites ou de ce que vous prétendez avoir fait. On ne survit pas dans ces quartiers en dormant sur ses lauriers. La vie et l’avenir appartiennent à ceux qui savent se transcender. Du mendiant d’Abobo qui connaît les couleurs de l’aurore au professeur qui corrige ses copies au crépuscule, sous les effluves de poissons braisés de l’avenue Casa, Abobo, comme tous les quartiers cosmopolitains d’Afrique, invite sans cesse au voyage. Non pas au sens de la fuite, mais de la réinvention continuelle de soi. Du courage de susciter des possibles.

Dans ces quartiers, la vie appartient à ceux qui « sont devant », aux gens de « devandougou », gens du « village de l’avenir », ceux qui ne sont pas venus à Abidjan pour « dormir seulement ». Les « dormeurs » ce sont ceux qui, sûrs d’êtres de « vrais » ivoiriens, attendent tranquillement leur part du gâteau national, leur poste, leur rente, leur salaire, leur nomination, leur bureau. Ils sont assis sur le coussin enivrant de la certitude païenne des dieux de leur sol. Ils croient avoir impunément le droit de vie et de mort sur les autres et s’étonnent de rencontrer une résistance farouche et digne. L’enracinement dans la terre de Côte d’Ivoire est pour eux naturalité, enfoncement et embourbement dans l’autoglorification des âmes dites bien nées dont le bonheur vit de la chasse aux damnés. La guerre du régime FPI contre les citoyens révoltés d’Abobo, de Koumassi et de Treichville est donc résolument une guerre menée contre la cité afropolitaine, celle où s’esquissent les schèmes de l’offre africaine de sens au 21ème siècle global en émergence. La guerre de Gbagbo contre les gens d’Abobo, de Treichville et de Koumassi est une guerre des forces de l’immanence identitaire contre celles de la transcendance altéritaire. Tels sont les dieux invisibles qui s’affrontent dans toutes les grandes cités africaines du 21ème siècle.

III L’afropolitanité[2] : une éthique cosmopolitique africaine

Les villes africaines, par les brassages matériels et symboliques qu’elles suggèrent et provoquent, sont les lieux de naissance résolue d’une nouvelle conception africaine de la démocratie, où le local s’articule de manière extraordinaire avec l’universel. Quelque chose de nouveau se dessine sous nos yeux, telle une conversion qualitative, dans ces quartiers métissés des villes africaines, que nous appelons « couveuses afropolitaines ». Nous nommons par là, la naissance dans ces lieux-foyers de diversité africaine, au cœur des grandes métropoles africaines, d’une nouvelle alchimie entre la ville, la citoyenneté nationale et la citoyenneté mondiale. Cette nouvelle alchimie, cette nouvelle recomposition de la relation de l’homme africain à ses concitoyens et au reste de l’humanité comporte trois actes de transcendances – d’auto-dépassement – qu’il nous paraît nécessaire de thématiser à titre schématique, au vu du cadre purement prospectif du présent article : 1) Une transcendance par rapport aux liens du sang et du sol et donc aussi de la race ; 2) Une transcendance par rapport aux appartenances culturelles, et donc aux traditions et coutumes ; 3) Une transcendance par rapport au phénomène humain mondial, tel que les médias de la révolution cybernétique et la mobilité exceptionnelle des personnes et des biens le restituent. Qu’on nous permette d’analyser brièvement chacun de ces phénomènes de transcendance, dont la vocation est de briser le signe indien de l’enrégimentement ethnique des consciences par la manipulation coloniale et néocoloniale.

Le citoyen lambda d’Abobo, de Treichville ou de Koumassi existe dans son espace en vertu du droit moderne. Il est possible d’habiter tranquillement ces lieux comme un chez soi, sans être originaire de l’ethnie atchan ou de quelque autre groupe de Côte d’Ivoire. La commune est d’abord un espace pour locataires. On a l’espace que nos ressources nous permettent. L’établissement sur le sol étant lié au contrat de bail, c’est bien souvent sous les auspices du droit moderne qu’on trouve un toit dans la commune. Le voisinage, en cour commune, en immeuble à appartements ou en quartiers résidentiels, est déterminé par le même principe. Chacun est là pour « se chercher et se trouver », par spécialement pour s’accrocher, s’enraciner ou s’ennoblir dans quelque appartenance exceptionnelle. Le bailleur, le voisin, le chef de quartier, les commerçants du quartier, les petites places publiques consacrées aux jeux, aux fêtes et aux dégustations de mets et vins locaux sont des lieux de chaude luxuriance. La circulation des biens, des personnes et des paroles est pratiquement sans entraves. On peut y commercer avec n’importe qui, jouer avec n’importe qui, nouer des relations utiles ou chaleureuses avec n’importe qui. Dans les quartiers cosmopolitiques, on ne s’inquiète pas de vos origines pour vous introduire dans des relations humaines. Non pas qu’on ignore absolument les origines des uns et des autres. Mais elles comptent moins que ce qu’ils ont à faire ou veulent faire, ou font. Le sol, le sang, la race, l’origine, sont soumis au droit et au projet d’existence. Il existe bien sûr des exceptions fâcheuses, et des épisodes de repli chauviniste émaillent parfois le quotidien, bien souvent accélérés par la manipulation d’élites corrompues. Mais tel n’est pas l’enseignement majeur du commerce quotidien des hommes et des idées.

Nous parlons ensuite de transcendance culturelle, pour désigner cette possibilité de s’inventer une nouvelle culture, soit par le renoncement aux anciennes, soit par leur modification, soit encore par leur remplacement par des nouvelles cultures. Il y a ainsi comme une commune prise de distance des habitants des communes cosmopolitiques envers les mœurs de leurs communautés tribales ou nationales originelles. L’adoption de nouvelles modes vestimentaires, de nouveaux types d’investissement décoratifs de l’espace, de nouvelles idoles artistiques, de nouvelles références religieuses, intellectuelles ou politiques découvertes dans la ville, sont autant de phénomènes qui divertissent et extravertissent les intelligences en leur insufflant l’appel du large, l’inspiration du lointain. Les musiques du Reggae et du Zouglou, les variantes du christianisme et de l’islam des villes par exemple, offrent le modèle de ce type de nouvelles réappropriations culturelles qui modifient, relativisent, et parfois affranchissent carrément le sujet urbain africain de l’unilatéralisme récurrent des cultures claniques, tribales ou ethniques.

Nous parlons enfin de transcendance anthropologique tout court, car les quartiers métissés des métropoles africaines font voyager sur place, héberger la différence humaine dans le quotidien. Une sorte de capacité de compénétration, mais aussi de surplomb du phénomène humain se généralise parmi les individus. Il y a une sorte d’accoutumance à l’être chez-soi avec les autres. Par ailleurs, les mœurs et coutumes, images, idées politiques et religieuses des habitants d’ailleurs se conjuguent originalement pour faire de chacune de ces communes, une esquisse en concentré du village planétaire que révèlent désormais les projecteurs de la révolution cybernétique transcontinentale, par le web et la télévision. L’homme, dans son identité dépareillée, se donne à voir et à vivre exemplairement dans Abobo, Treichville et Koumassi, comme le prochain, le semblable, l’autre moi qui sans être moi, me rappelle à moi. Non point que les relations humaines soient exceptionnellement bonnes et chaleureuses dans ces quartiers comme nulle part ailleurs dans Abidjan ! Je veux dire que ces quartiers induisent consciemment ou inconsciemment, une plus grande capacité de commerce avec l’altérité humaine que ceux qui ont conservé une identité close sur des bases claniques, tribales, ethniques, culturelles, politiques ou socioéconomiques.

L’afropolitanité, la capacité citoyenne africaine, s’asseoit donc sur une triple transcendance qui en fait non seulement l’opposée, mais le dépassement de la logique identitaire de l’ivoirité. C’est la citoyenneté africaine de l’avenir, celle qui élèvera l’homme africain à sa plus légitime prétention d’universalité et fécondera des démocraties africaines bâties sur son triple principe d’altérité à soi, d’altérité à autrui et d’altérité à l’espèce humaine. Abobo, Koumassi et Treichville sont martyrisées par le pouvoir de la Refondation Idenitaire, car elles sont justement les foyers de l’Afrique que Gbagbo déteste : l’Afrique démocratique, panafricaine, assise sur la pratique disciplinée d’un anticolonialisme critique. Pas fondée sur l’unique diabolisation de l’autre africain ou de l’impérialisme occidental, mais doublement fondé sur la lutte pour la souveraineté des peuples africains et contre les ogres africains qui profitent de l’alibi de cette lutte légitime pour maintenir, en sous-main, les africains dans les fers des africains. Afropolitanité, nouvelle perspective éthique, filon de réflexions à venir, affaire à suivre…

Pr. Franklin NYAMSI, ce 25 février 2011.

[1] Augustin DIBI KOUADIO, L’Afrique et son autre : la différence libérée, Abidjan, Strateca Diffusion, Collection « penser l’Afrique », 1992.

[2] Nous nous inspirons en partie ici du Chapitre 6 du dernier livre de Jean Achille Mbembé, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, « Circulation des mondes : l’expérience africaine. », où il développe le concept d’afropolitanisme. Nous essayons quant à nous ici de fixer spéculativement les catégories essentielles du phénomène que Mbembé étudie surtout historiquement.

Franklin NYAMSI
Agrégé et Maître de Conférences des Universités Françaises
Docteur en Philosophie de l’Université de Lille 3
Académie de Rouen- FRANCE
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