Entre Soro et IB c’est qui l’ennemi de la Côte-d’Ivoire du président de la République Ouattara ?

Par ANASSÉ ANASSÉ –

La bataille d’Abidjan fait rage, et risque de durer plus que prévue. Aussi, les dommages collatéraux pourraient-ils être plus considérables que souhaitables. Cela fait maintenant quatre jours que les forces militaires coalisées et/ou ralliées à la cause du Dr. Alassane Ouattara, Président élu par 54% d’Ivoiriens le 28 novembre 2010 et reconnu par la communauté internationale, buttent sur un os dans la capitale économique ivoirienne. Le Président sortant Laurent Gbagbo n’entend pas céder le pouvoir à son rival, quel qu’en soit le prix. Tous les experts, observateurs et spécialistes qui ont prédit une reddition sans coup férir de l’auteur de «Soundjata, le Lion du Mandingue» en ont pour leurs frais. Gbagbo l’avait toujours répété : «Je ne quitterai pas le pouvoir et je ne fuirai pas mon pays au premier coup de fusil» (il faisait allusion au Président Henri Konan Bédié, exfiltré hors de la Côte d’Ivoire dès les premières heures du coup d’Etat du Général Robert Guéi et de ses «jeunes gens» le 24 décembre 1999). Pour une fois, celui qu’on surnomme «le Boulanger de la lagune Ebrié» a tenu parole. Même si on aurait préféré qu’il en soit autrement pour épargner des centaines de vie humaines et des biens publics et privés. Hélas !

Pourtant, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, pro-Ouattara) ont mis autant de jours (quatre, du lundi 28 au jeudi 31 mars 2011) pour conquérir tout le pays, d’Ouest en Est et du Centre-Ouest au Centre jusqu’aux villes du Sud. Est-ce cette guerre-éclair et les ralliements et/ou défections aussi spectaculaires qu’inattendus des Forces de défense et de sécurité (FDS, pro-Gbagbo), qui ont fait penser aux soldats de Ouattara que la partie était gagnée d’avance ? Soro Guillaume, le Premier ministre et ministre de la Défense du nouveau Président ivoirien n’a-t-il pas sous-estimer la capacité de résistance et de nuisance de son ex-partenaire de l’Exécutif ivoirien – les deux hommes ont passé 1320 jours ensemble à la tête de l’Etat – en annonçant, dès le jeudi 31 mars, qu’Alassane Ouattara serait installé dans son fauteuil au Palais présidentiel du Plateau dans les toutes prochaines heures ?

Après quatre jours de combats acharnés à Abidjan, un premier constat se dégage : le risque d’un nouvel enlisement du conflit ivoirien se profile à l’horizon – comme en Libye. Et fait craindre un désastre humanitaire sans précédent dans l’histoire de la jeune nation ivoirienne qui a célébré son cinquantenaire le 07 août 2010. Cette situation profite à Gbagbo, puisqu’elle lui donne du répit et surtout le sentiment d’avoir contenu les assauts de plusieurs forces soutenues militairement, si ce n’est au niveau de la logistique, par la communauté internationale – le Burkina Faso et le Nigeria sont de plus en plus cités comme ayant fourni du matériel militaire aux troupes pro-Ouattara avec la bénédiction de Sarkozy et Obama au mépris de l’embargo sur les armes. Si Gbagbo qui lui aussi a réussi à violer l’embargo en achetant de l’armement en masse, arrive à tenir tête encore quelques jours, le doute pourrait s’installer dans le(s) camp(s) adverse(s) et semer la zizanie dans les troupes pro-Ouattara. La menace est donc grande de voir cette sorte d’union sacrée autour d’un objectif commun («chasser Gbagbo du pouvoir de gré ou de force») faire place à l’émergence de forces centripètes aux intérêts divergents. Et, mettre au grand jour des agendas secrets des différentes têtes de pont des forces ouattaristes.

Le statu quo, un danger pour la cohésion des forces pro-Ouattara

Qu’est-ce qui peut expliquer un tel statu quo sur le théâtre des opérations, au point où des unités spéciales fortes d’environ 5.000 hommes (Garde républicaine, FUMACO, Marine de guerre, Camp de la Gendarmerie d’Agban, une infime partie de l’armée de l’air et la garde prétorienne de Gbagbo, le GSPR) puissent neutraliser et repousser – certains disent même mettre en déroute – une coalition militaire puissamment armée.

Plusieurs hypothèses s’entrechoquent. Primo, il s’agirait d’une stratégie pour pouvoir porter l’estocade. Vu la résistance farouche opposée par Gbagbo et son dernier carré de fidèles prêts-à-mourir avec leur Chef, les différents états-majors pro-Ouattara (FRCI, FAFN, Commando invisible et les FDS ralliées de la 25ème heure) auraient ordonné un repli tactique à leurs éléments pour mieux coordonner les actions en vu de l’assaut final. On annonce même un renfort de 1500 à 2500 soldats qui sont descendus samedi de Korhogo, Bouaké, Man et Bouna via Bondoukou. Du côté des FRCI donc, la chute de Gbagbo est imminente. Ce n’est qu’une question d’heures, sinon dans trois jours tout au plus si l’on s’en tient au dernier communiqué du porte-parole militaire de Soro Guillaume, le capitaine de Gendarmerie Alla Kouadio Léon.

Mais certains observateurs bien avisés du bourbier (ou «poto poto») politique ivoirien penchent plutôt pour une autre analyse. Et si c’étaient des dissensions entre Soro Guillaume et l’ex-Sergent chef de l’armée régulière ivoirienne Ibrahim Coulibaly alias IB qui ralentissent la prise de la «Résidence de Cocody» et du Palais présidentiel du Plateau ? Une sorte de guerre dans la guerre. Le jeudi 31 mars aux environs de 22H30, la Radiodiffusion Télévision ivoirienne (RTI, chaîne de propagande pro-Gbagbo), située à Cocody, avait été occupée par les forces alliées à M. Ouattara. Mais curieusement le lendemain en milieu de matinée, les forces fidèles à M. Gbagbo annonçaient la reprise de la télévision nationale. Renseignements pris, IB dont les hommes occupaient ce puissant média d’Etat, n’aurait pas apprécié le fait que Soro ait voulu mettre la RTI sous sa coupole en faisant la jonction avec la Télévision de Côte d’Ivoire (TCI), la télévision qui émet depuis l’hôtel du Golf d’Abidjan. Où était retranché le nouveau président élu et son gouvernement ainsi que la plupart de ses proches, soutiens et alliés dont le président du PDCI-RDA Henri Konan Bédié. Fâché contre une telle initiative qu’il a qualifiée d’unilatérale, «Djibilan» (c’est le 3ème alias de IB, qui signifierait en langue Koyaka son ethnie, «celui qui disparaît ou l’invisible») aurait donc ordonné le retrait de ses troupes de la RTI.

Résurgence du conflit Soro-IB : la «rébellion» va-t-elle à nouveau manger ses propres enfants ?

Il y a quelques jours, avant le lancement de la croisade militaire des FRCI à travers tout le pays, Connectionivoirienne.net anticipait sur les possibles dissensions entre les multiples têtes des forces pro-Ouattara. Le journal en ligne publiait courant mars 2011 (ndlr le 2 mars), sous le titre «Côte d’Ivoire : ADO s’émancipe militairement de Soro», une analyse dont nous vous reproduisons quelques extraits : «Aujourd’hui, trois factions armées se reconnaissent certes dans le Président Alassane Ouattara : il s’agit des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) commandées par le Général Soumaïla Bakayoko avec comme chef politique Soro Kigbafori Guillaume ; du «Commando invisible» dont on attribue la paternité à l’ex-sergent-chef de l’armée ivoirienne, Ibrahim Coulibaly dit «IB» ; et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Ces trois armées ont un objectif commun : chasser Gbagbo du pouvoir par la force – le plus tôt serait le mieux pour la Côte d’Ivoire. Mais des craintes subsistent quant à la collaboration ou la fusion de ces différentes forces après l’atteinte de cet objectif. Le lourd contentieux entre IB et Soro est loin d’être vidé. «Major» – c’est le deuxième alias de IB – garde une dent très dure contre son jeune frère qu’il accuse de l’avoir trahi et volé «sa» rébellion. Qu’adviendra-t-il si chemin faisant, Soro se brouillait avec son mentor ADO dont il connaît la préférence pour IB ? L’expérience des chefs de guerre Charles Taylor et Prince Johnson au début de la guerre du Liberia est encore vivace dans les esprits».

Même si ce n’est pas encore le scénario catastrophe, le pire est à redouter. Car on annonce également le retour de Koné Zakaria, le proscrit de Séguéla, au front aux côtés de IB. On se souvient qu’entre 2003 et 2006, les querelles de leadership au sein de la rébellion des Forces nouvelles avaient viré à une véritable épuration des pro-IB. Avec les disparitions tragiques des Adam’s, Kass, Mobio et consorts. La «rébellion» va-t-elle à nouveau manger ses enfants ? Y-a-t-il une querelle ente la tête politique conduite par Soro et l’aile militaire de l’ex rébellion originelle conduite par IB, qui bloque la portée de l’estocade finale à Laurent Gbagbo ?

Ce n’est certainement pas fortuit de voir l’armée française stationnée en Côte d’Ivoire depuis 2003 monter en première ligne ces dernières heures. La force Licorne a pris position à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan de Port-Bouët, en remplacement des Casques bleus de l’ONUCI. Et, poursuit ses mouvements de troupes et de blindés en vue de quadriller Abidjan. Officiellement, Paris dit procéder à l’exfiltration rapide de ressortissants français et étrangers. Mais officieusement, c’est un message fort que les autorités françaises lancent à Laurent Gbagbo. Alain Juppé, le ministre des Affaires et étrangères de l’Hexagone et l’actuel numéro 2 du gouvernement de Nicolas Sarkozy, n’a-t-il pas martelé que «Gbagbo vit ses dernières heures en tant que chef d’Etat ?»

Selon des informations de dernières minutes à nous parvenues, Alassane Ouattara serait en train de tout mettre en œuvre pour «laver le linge sale en famille». Le nouveau chef de l’Etat ivoirien devrait recevoir dans les toutes prochaines heures – si ce n’est déjà fait ou en cours – le deux ex-frères ennemis Soro et Major (le 2ème alias de IB) – pour tenter de désamorcer la bombe. ADO est lui-même pris entre deux feux…

Anassé Anassé, Rédacteur en Chef,
Représentant permanent de connectionivoirienne.net à Abidjan

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