Réflexion sur les propos de Gbagbo : « Je dors bien et je mange bien »

Aux Elders, l’ancienne présidente d’Irlande et ex-Haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Mary Robinson, l’ex-secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et l’archevêque sud-africain, Desmond Tutu, Gbago a confié « Je mange bien et je dors bien ». Il leur a aussi dit, « J’insiste (sur la nécessité) qu’il y ait la résurrection économique et sécuritaire. Et après on devra parler de politique». Telles sont les deux phrases capitales que Gbagbo a prononcées devant les Sages à Abidjan. Ces phrases ne sont pas anodines. Elles exigent attention et réflexion. Elles semblent traduire son souci d’apaisement et sa reconnaissance implicite de la victoire électorale d’Alassane Dramane Ouattara, bien qu’il n’aie pas, annoncé explicitement et clairement cette reconnaissance. Mais pour livrer tout son sens, la phrase de Gbagbo, « je dors bien et je mange bien », doit être mise en relation critique avec sa préoccupation quant à la nécessité pour le nouveau gouvernement ivoirien de ressusciter l’économie et la sécurité. Analysons toutes les occurrences qu’ouvre la mise en relation de ces deux phrases.
Isolée de la deuxième phrase portant sur l’urgence économique et sécuritaire, la première phrase « je mange bien et je dors bien » voudrait dire que Gbagbo reconnaît et affirme être bien traité par le nouveau gouvernement, dans sa résidence surveillée. Elle crédibilise la thèse de son éloignement à Korhogo qui serait motivé par sa sécurité. Cela dément les allégations de tortures et de maltraitance et traduit le souci du nouveau pouvoir de placer sa gouvernance sous le signe du respect des droits de l’homme. Bien manger et bien dormir constitue pour l’homme une preuve de sécurité matérielle, physique et morale. Quand on mange bien, la puissance et l’énergie vitales sont entretenues et constamment renouvelées. Quand on dort bien cela signifie que l’on n’est pas habité par des soucis moraux. La conscience n’est pas troublée par des tourments. La raison est en paix. Les facultés intellectuelles s’exercent harmonieusement. Cet équilibre de la conscience morale, de la raison et des facultés intellectuelles, conduit à la sérénité de celui qui en est le siège. Pour l’homme qui vit toujours en commerce avec le monde extérieur et avec autrui cela signifie que les rapports sont harmonieux et équilibrés, dénués de conflits ou que les éventuels problèmes sont intelligemment surmontés par une dialectique de l’empathie, de la compassion, de l’écoute et de la sollicitude. Si Gbagbo a le privilège de retrouver dans sa résidence surveillée ce rare privilège de la sérénité ataraxique qui est celui des moines méditants et des sages, privilège qu’il n’avait sûrement pas durant la stratégie erratique de la conservation du pouvoir ainsi que dans le palais et la résidence présidentiels transformés en armurerie en attendant le déchainement des feux de l’enfer militaire, c’est que le nouveau gouvernement, qui l’entoure des prévenances requises par la bonne éducation et la civilisation, a su lui redonner confiance. Il a su lui prouver que le respect des droits de l’homme est pour lui une véritable conviction. Que Gbagbo annonce spontanément qu’il mange bien et dorme bien est un signe positif qui rassure le peuple ivoirien et démontre aux yeux du monde que Gbagbo n’est pas aux mains de brutes sanguinaires et n’est pas entravé, telle une bête nuisible, comme tendent à le faire croire certains de ses proches et ses avocats qui semblent ne pas intervenir pour assurer l’impartialité du débat judiciaire, mais plutôt pour renverser les rôles en introduisant une instruction à charge contre le nouveau gouvernement ivoirien élu pourtant au suffrage universel ! Les photos de Gbagbo rayonnant de bonne humeur et de santé à Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire, prouvent incontestablement qu’il est très bien traité contrairement aux allégations de Mme Singleton !
La déclaration de Gbagbo « je mange bien et je dors bien », conduit alors le public à s’étonner et à s’interroger sur l’étrange sérénité de l’ancien président qui « mange bien et dort bien » lors même que les ivoiriens, aujourd’hui encore, dorment mal avec la peur au ventre, vivent encore au quotidien dans l’insécurité engendrée par les mercenaires libériens et par la distribution massive d’armes de guerre sans distinction à ses partisans et connaissent la faim provoquée par la désorganisation de l’économie qu’il a systématiquement planifié avant d’être forcé à rendre le pouvoir en étant capturé. Dans un accès de sursaut de la conscience morale, est-ce alors le souci de réparer la faute commise qui conduit Gbagbo à dire « J’insiste (sur la nécessité) qu’il y ait la résurrection économique et sécuritaire. Et après on devra parler de politique »? Est-ce ce souci moral de réparation des torts commis injustement à l’encontre du peuple qui l’amène à déclarer que ce rétablissement est prioritaire devant la politique? Cette reconnaissance de la priorité de l’économie et de la sécurité signifierait-elle qu’il regrette de les avoir subordonnés à la politique et de les avoir instrumentalisés pour servir ses buts égoïstes de conservation du pouvoir ? Ou bien cette accentuation de la priorité économique et sécuritaire, par quelqu’un qui est l’architecte du chaos économique et sécuritaire, est-elle un défi pernicieux lancé à l’économiste Ouattara ?
Abordons donc la deuxième signification possible de ces deux assertions lorsqu’elles sont mises en relation : « je mange bien et je dors bien » ; « J’insiste (sur la nécessité) qu’il y ait la résurrection économique et sécuritaire. Et après on devra parler de politique ». Les deux assertions voudraient dire que Gbagbo est tranquille parce qu’il laisse aux nouvelles autorités le soin d’éradiquer la chienlit qu’il a semée et de réparer le chaos qu’il a consciemment provoqué. Il a la conscience tranquille parce c’était la guerre. Et à la guerre tous les coups sont permis et tous les protagonistes sont responsables de la situation de chaos. L’économiste Alassane Dramane Ouattara, qui a fait de l’économie son cheval de bataille durant la campagne électorale, est donc mis au pied du mur. Gbagbo insiste pour qu’il y ait « résurrection économique et sécuritaire ». Cela ressemble à une injonction ! Alassane Dramane Ouattara est, en réalité, mis en demeure de prouver aux ivoiriens son savoir faire en remettant sur pied une économie déstructurée dans un pays qui sort d’une guerre civile que l’ancien président a consciemment provoqué. Gbagbo lancerait ici une sorte de défis pernicieux à son adversaire après avoir systématiquement pratiqué la politique de la terre brûlée en Côte d’Ivoire. Le « Je mange bien et je dors bien » aurait alors le sens de la tranquillité d’esprit du criminel endurci et retors qui est conscient d’avoir acculé sa victime dans un cul de sac mortel ! Frappée du sceau de l’égoïsme calculateur et pervers cette tranquillité d’esprit de Gbagbo peut nous conduire à y déceler un plaisir et un bien- être qui résultent de la conservation de la vie, ultime bien, dans la défaite et donc du sentiment d’avoir triomphé de l’adversaire en continuant de le vouer aux gémonies dans son cœur et en le maudissant des milles feux de l’enfer. Mais cette sérénité, déterminée par l’assurance de la vie, due à la magnanimité de l’adversaire dont il souhaite cependant en son cœur l’échec et la condamnation judiciaire, peut-être la mort, fait éclater la différence fondamentale qui sépare les deux protagonistes quant à leur caractère et à leur choix politiques respectifs.

Gbagbo souhaite que de son adversaire nettoie, tel Hercule, les écuries d’Augias. Il aspire aussi, comme ses avocats tentent de le faire croire, à montrer que le nouveau Président est une brute sanguinaire rompue aux roublardises des politiciens oppresseurs africains qui est lui aussi coupables de graves exactions constituant des crimes contre l’humanité ! Ce dernier objectif ne peut-il pas cependant être démenti par le fait que Alassane aie choisi de le conserver en vie et de le traiter avec tous les égards requis ainsi que les membres de son gouvernement alors que, lui Gbagbo, donnaient systématiquement la mort à tous ses ennemis ? Le nouveau Président savait que l’ancien président aime par-dessus-tout la vie et ses jouissances. Il a accédé à ce souhait de son adversaire. Pour l’opinion publique ce consentement symbolise sa conviction du respect de la vie et de la dignité humaine et sa croyance au droit et au dialogue comme médiations du traitement des différents politiques. Il a toujours proclamé qu’il fallait faire l’économie de la guerre en préférant le dialogue pour résoudre la crise électorale afin de préserver des vies humaines. On pourrait alors présumer que les exactions qui ont été commises par ses troupes pourraient être accidentelles et résulteraient des contraintes de la guerre. Par contre Gbagbo qui aime personnellement la vie, a choisi la violence la guerre et l’assassinat comme moyens de résolution du problème électoral. S’étant surarmé et ayant planifié le chaos comme méthode de la guerre totale qui impliquait la destruction du pays, ses armés, ses mercenaires et ses milices avaient reçus l’ordre d’être sans pitié pour l’adversaire et de tuer l’ennemi en faisant fi de sa dignité et de son souci de vivre. Si Gbagbo dort bien l’on peut donc penser que cela résulte de la pleine satisfaction de son vœu personnel de survie et de ses désirs de jouissance de la bonne chère. Malgré la défaite, « je mange bien ». Mais cette satisfaction est aussi de l’ordre de l’entendement c’est-à-dire de l’intelligence instrumentale dans le contexte de la guerre perdue qui doit cependant confirmer la réalisation de ses sombres prédictions et d’une certaine victoire : le plaisir résulte de la satisfaction de l’accomplissement du but égoïste. Le chaos planifié a été réalisé. Et il est lui-même devenu incontournable comme porteur de la solution. Dans sa défaite, il est encore l’alpha et l’oméga de la résolution du problème ivoirien. Ce n’est pas Ado qui est la solution. C’est Gbagbo qui est la solution. A l’ « Ado solution » de la campagne électorale, il faut maintenant substituer le « Gbagbo solution » de l’après crise post-électorale. Le baroud d’honneur que livraient ses milices et mercenaires à Yopougon, au moment même où les Sages le rencontraient à Korhogo, était censé confirmer son poids politique intact dans la défaite. N’est-ce pas finalement la raison pour laquelle Gbagbo prévient qu’ « on devra parler de politique » après avoir résolu le problème de l’urgence économique et sécuritaire ?

Pour le regard soupçonneux de la critique réflexive, cette stratégie de la violence continuelle dans le contexte de la « commission vérité-réconciliation » permet de douter de la conversion de Gbagbo et de son clan, de la sincérité de son appel à l’apaisement et au dialogue pour aider à sortir de la crise post-électorale. Du fond de sa résidence surveillée, entouré des prévenances de la civilisation qui veut que sa dignité et le respect dû à l’être humain soient conservés au prisonnier, fut-il un prisonnier sur lequel pèsent des soupçons de crime contre l’humanité, Gbagbo semble ne pas s’être converti au principe de l’alternance démocratique et aux vertus du dialogue. Pour Gbagbo la force continue de faire le droit. Il poursuit la logique de la guerre selon laquelle il faut toujours négocier en position de force. Lorsqu’il annonce aux Sages, qu’il est important de rétablir la sécurité et l’économie, sa sérénité provient-elle de l’assurance que ses partisans armés comprendront le message en renversant de manière orwellienne son sens véritable ? Ils répondront en effet par l’ouverture du feu à sa déclaration de la fin de la belligérance à sa demande de déposition pacifique des armes. C’est ainsi que Gbagbo espère renforcer son importance et son poids politique pour peser dans les joutes judiciaires qui s’annoncent en oubliant que Milosevic n’a pas pu échapper à son destin judiciaire malgré ses indéfectibles soutiens dans la population serbe. La multiplicité des fronts d’attaque du camp gbagbo contre Ouattara et son camp, traduit une stratégie préméditée et réfléchie, qui, certes ne parviendra pas à renverser le cours de l’histoire mais exprime cependant une insincérité intéressée, soucieuse d’empoisonner le mandat du nouveau Président ivoirien. Après avoir déposé une plainte contre X pour crime contre l’humanité commis en Côte d’Ivoire contre les troupes d’Ouattara, Vergès et Dumas introduisent une plainte pour crime contre l’humanité contre Ouattara au moment même où le gouvernement de celui-ci n’en est qu’au stade d’une ouverture d’enquêtes contre les membres du gouvernement sortant. Pour brouiller les cartes et alimenter la stratégie du « nous sommes tous coupables donc il faut amnistier tout le monde » et lui donner une crédibilité internationale, au moment où le camp Gbagbo est fortement soupçonné de crimes contre l’humanité et est soupçonné d’avoir fait disparaître les deux Français du Novotel d’Abidjan et leurs associés Béninois et Malaisien il est tactiquement important de clamer haut et fort, dans les journaux, qu’une française à déposé plainte le 02-Mai à Paris contre le nouveau Président ivoirien pour crime contre l’humanité. La stratégie du camp Gbagbo semble ici se calquer sur le jeu enfantin du « je t’accuse de ce dont tu m’accuses » « je t’attribue les tares que tu m’attribues ». Ainsi tous les chats seront gris et il sera impossible d’incriminer qui que ce soit. C’est la stratégie de la déresponsabilisation ou plus exactement de la dilution du crime dans la responsabilité collective, caractère insigne du camp gbagbo. A cette offensive judiciaire s’ajoute donc une offensive médiatique. Elle doit faire croire à l’opinion publique mondiale que le nouveau Président Ivoirien a les mains dans le sang jusqu’aux coudes, si ce n’est jusqu’à la poitrine, et qu’une partie de la population ivoirienne, même dans la défaite militaire, n’est pas prête de l’accepter comme président de la république. En réponse à l’appel de Gbagbo au dépôt des armes, la continuation du combat et la résilience des poches de résistance doivent exprimer cette révolte ultime. Il y a bien ici un refus du principe de la majorité du suffrage universel et de l’alternance démocratique par la voie des urnes et une négociation de la solution de l’amnistie collective par la voie de la violence de la part du camp gbagbo! Mais la violence à laquelle l’armée républicaine sera obligée de recourir pour éliminer les dernières poches de résistance milicienne pourra être brandie aux yeux du monde comme une preuve de la brutalité du nouveau régime. Gbagbo peut donc « bien manger et bien dormir » en rêvant que les embûches et les entraves judiciaires que son camp s’échine à dresser sur le chemin du nouveau président finiront par le faire trébucher et le faire s’écrouler en emmêlant ses troupes dans les rets de la justice. Il est maintenant possible d’en venir à la troisième hypothèse qui conclut cette dialectique de la déresponsabilisation et de la ruse.

Gbagbo « mange et dort bien » parce qu’il ne se sent aucunement responsable de la situation actuelle de la Côte d’Ivoire. Tout ce qui est arrivé est arrivé par la faute de Ouattara. A Ouattara de s’arranger pour réparer le chaos qu’il a semé et provoqué en refusant le recomptage des voix tel que lui Gbagbo, le lui a proposé pour sortir pacifiquement de la crise électorale qui est le résultat lointain de la rébellion initiée, d’après lui, par Ouattara. Les ultimes concessions qu’il accorde devant les Sages de la commission vérité-réconciliation en ne refusant pas de reconnaître la victoire de Ouattara, sans toutefois l’avouer clairement, et son appel à la cessation des combats à l’adresse de ses miliciens et partisans, sont les gestes magnanimes ultimes que peut accorder un homme de paix injustement traité qui n’est nullement l’auteur des morts et du chaos qui a ensanglanté la Côte d’Ivoire. Mais pour le regard soupçonneux de la critique, cette acceptation finale de son sort, par l’ancien président, peut aussi avoir le sens d’un consentement à la retraite après la découverte et la reconnaissance de son écrasante responsabilité dans la catastrophe vécue par la Côte d’Ivoire. Dans la solitude de son for intérieur durant la retraite, il aurait retrouvé in foro interno l’apaisement que confère une méditation sérieuse sur les dangers de l’égoïsme dans la gestion du pouvoir d’Etat et sur l’exigence de l’humilité et de l’abnégation dans le service de l’intérêt public. Gbagbo mange bien et dort bien, parce qu’il s’est réconcilié avec lui-même et avec sa propre volonté intérieure du droit, du respect de la dignité humaine et de la liberté qu’il a tant violé par pure faiblesse humaine. Il estime alors qu’il doit payer judiciairement sa faute devant le tribunal des hommes et devant le tribunal de Dieu et qu’il n’a plus de rôle à jouer dans la nouvelle Côte d’Ivoire. Si cette occurrence n’était pas la bonne, comme semble le laisser supposer son souci de mettre entre parenthèse la politique pour parer aux urgences afin d’y revenir en puissance « J’insiste (sur la nécessité) qu’il y ait la résurrection économique et sécuritaire. Et après on devra parler de politique », le « je mange bien et je dors bien » de Gbagbo aura été la dernière esbroufe que Gbagbo nous aura servi avant de quitter la scène en espérant y revenir. Dans tous ces cas de figure, la conclusion catastrophique de ces décennies de souffrance et de terreur nous appelle au maintien de la vigilance critique pour qu’une telle forfaiture ne puisse plus jamais se reproduire.

L’objet de la présente réflexion n’est donc pas de remuer le couteau dans la plaie et de nous amener à gémir sur notre chagrin. Cette réflexion veut humblement mettre l’accent sur la nécessité, pour le peuple ivoirien de conserver sa veille critique et sa vigilance citoyenne pour parer aux éventuelles menaces du futur et immédiatement aux manœuvres du camp Gbagbo et de ses propagandistes internationaux qui ne se résolvent pas à la perte d’un pouvoir qui était pour eux si juteux au détriment du peuple. La boussole de la raison commune du peuple ivoirien à conservé son aiguille dans la bonne direction du nord, malgré les années d’abrutissement collectif. En témoigne la qualité critique des discussions des internautes et des interventions dans ce journal et dans bien d’autres. L’objet de la présente réflexion est donc de faire ressortir l’exigence de la continuité de la réflexion et de la vigilance critiques, indispensables ainsi que de l’engagement personnel fondamental pour la démocratie. Le développement de cette vigilance critique vitale et de cette éducation à la responsabilité citoyenne, assurances d’une société civile forte, et d’une communauté politique centrée sur la promotion de l’intérêt général, devront constituer le programme prioritaire du nouveau gouvernement ivoirien pour le bien-être de la nouvelle nation ivoirienne à construire dans une société démocratique conquise aux forceps.

Dr Dieth Alexis Vienne. Autriche

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