Côte d’Ivoire – La saisine de la CPI est un devoir moral pour le Président Alassane Ouattara

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo par REUTERS/Gonzalo Fuentes

Dr Dieth Alexis , Vienne en Autriche | Connectionivoirienne.net

Notre propos est de montrer qu’en prouvant la hauteur de ses convictions juridiques et morales, du caractère non négociable de ses principes, fut-ce au détriment de ses intérêts politiques immédiats, la saisine de la CPI, sera la victoire morale qui permettra à Ouattara de terrasser définitivement Gbagbo. Il en sera ainsi, même s’il advenait que les enquêtes établissaient que les troupes de Ouattara sont en partie responsables des massacres de Duékoué sur lesquels se focalisent symboliquement l’attention aujourd’hui. « La droiture – disait Emmanuel Kant – est la condition inéluctable de la politique ». Elle est « la meilleure des politiques » et plus encore, elle « vaut mieux que toute politique » Cf Le projet de paix perpétuelle. « Le dieu Terme (Grenzgott) de la morale ne le cède pas à Jupiter (le dieu Terme de la force) ; car celui-ci est encore soumis au Destin ». La politique doit donc plier les genoux devant la morale pour s’élever à la hauteur des principes qui permettent de maîtriser le Destin en suivant « fidèlement le chemin du devoir selon les règles de la sagesse ». Le politicien qui comme Gbagbo se fabrique, à la convenance de ses intérêts politiques, une morale relative, finit toujours dans la faillite morale et dans la déchéance politique ; tandis que le politicien qui engage sa politique dans cette génuflexion devant la morale, l’homme d’Etat qui pratique une politique morale en conciliant les principes de la politique avec la morale, s’élève dans l’estime des peuples en apparaissant comme un homme de justice.

Au-delà des apparences, l’échéance de la Cour Pénale Internationale qui doit juger les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, n’est donc pas une simple échéance juridique. Elle est surtout une échéance morale. Il est question d’évaluer l’engagement du nouveau gouvernement quant au respect des principes absolus qui régissent un Etat de droit dans une communauté humaine mondiale de plus en plus interdépendante et unifiée par des valeurs communes. La saisine de la Cour Pénale Internationale n’est donc pas un impératif hypothétique soumis aux intérêts politiques du moment. C’est un impératif catégorique qui s’impose inconditionnellement. Les crimes contre l’humanité commis en Côte d’Ivoire doivent être punis, au sens du devoir moral (Sollen). Ceux qui ont initié, commandité et commis les massacres ethniques, qui ont professé ouvertement la haine et le meurtre de l’Autre, de l’étranger, haine dont leurs disciples et miliciens se réclament encore aujourd’hui dans la défaite et la fuite en jouissant paradoxalement de l’asile à l’étranger, doivent répondre juridiquement de leurs crimes. C’est pour cela que la saisine de la CPI qui intègre des mandats d’arrêts internationaux pour les coupables est incontournable pour le nouveau Président. L’enjeu de cette échéance judiciaire, qui est de punir les crimes contre l’humanité, est aussi d’établir la réalité de la conviction juridique et morale de l’homme d’Etat. Il s’agit indirectement de fonder la crédibilité de son engagement relativement à la nouvelle éthique politique qui doit régir la vie des Etats en Afrique, à savoir le respect du droit et la fin de l’impunité. En ce sens, la CPI, instance judiciaire la plus haute qui se situe au dessus des Etats et de leurs justices locales, permettra de départager définitivement Gbagbo et Ouattara conformément aux valeurs juridiques et à l’éthique universelle de la communauté humaine. Elle permettra, d’une part, de rendre justice aux victimes en dévoilant et en condamnant l’irresponsable sans foi ni loi qui n’hésite pas à perpétrer des crimes contre l’humanité pour conserver le pouvoir ainsi que ses intérêts particuliers ; de reconnaître le responsable politique qui fait face à ses devoirs et respecte les principes moraux et juridiques suprêmes, fut-ce au détriment de ses intérêts politiques. D’autre part, la saisine de la CPI brisera la logique de la force et de la déstabilisation politique ainsi que la stratégie de l’impunité, actuellement ourdies par le camp Gbagbo.

En distribuant ouvertement, par containers entiers, des armes de guerre à ses miliciens et à la jeunesse désœuvrée, au vu et au su de tous, et en initiant les massacres ciblés et à grande échelle à caractère ethnique à Abidjan dans ses bastions du Sud et de l’Ouest, Gbagbo voulait-il seulement usurper le pouvoir par la terreur ou voulait-il pousser Ouattara à la faute en excitant dans les troupes de ce dernier un sentiment irrésistible de vengeance par l’ampleur de ses crimes afin de parer à toute éventualité quant à la poursuite judiciaire de tous les coupables d’exaction en cas de défaite ? Gbagbo a en effet manifestement poursuivi ses deux objectifs en visant l’amnistie et l’impunité dans le deuxième volet de l’alternative. En l’absence d’une Haute Cour de Justice en Côte d’Ivoire et en raison de l’implication des deux parties dans l’éventualité d’une saisine de la CPI, le pragmatisme politicien et les besoins de la réconciliation plaideraient pour l’amnistie de tous les crimes ! Est-ce délirer que de soupçonner que l’instrumentalisation évidente de l’épisode de Duékoué par les propagandistes de Gbagbo, qui cherchent clairement à dissuader Ouattara de recourir à la Cour Pénale Internationale pour juger les crimes de guerre, les massacres de civils et les crimes contre l’humanité, prouve que telle était l’intention de Gbagbo ? N’est-il pas étrange que la libération de Gbagbo et de ses complices constitue la musique de fond qui accompagne le problème de la réconciliation nationale dans un contexte où le drame de Duékoué et les éventuelles exactions des FRCI sont quotidiennement montés médiatiquement en épingle, éclipsant le drame récent des charniers et des fosses communes de Yopougon ainsi que les innombrables crimes qui parsèment le parcours sanglant de Gbagbo ? Recherchant clairement l’amnistie, Yao N’dré ne parlait-il pas d’une justice d’équité en invoquant la culpabilité collective de tous les Ivoiriens dans la crise post-électorale?

C’est pour parer à ces manœuvres dont l’objectif final est de discréditer le nouveau pouvoir ivoirien en le poussant à des solutions motivées par des intérêts particuliers qui font peu de cas de la justice et du droit que le recours à la Cour pénale est une exigence fondamentale, un impératif catégorique qui doit consacrer la victoire finale de Ouattara sur Gbagbo au plan moral. Traîner Gbagbo, Simone et leurs complices devant la CPI et obtenir leur condamnation au niveau de l’instance judiciaire la plus haute, qui juge aussi conformément aux exigences morales suprêmes qui préservent l’humanité de la barbarie, c’est les vaincre définitivement au triple plan judiciaire, politique et moral. C’est se démarquer d’eux et les terrasser en les abaissant par la rigueur de la Loi universelle qui juge au nom de l’Humanité. C’est permettre au Tribunal de rendre justice aux victimes tout en distinguant l’honnête homme de la crapule.

L’Inter écrit dans l’un de ses articles récents repris par le Courrier international que « la Cour pénale internationale souhaite engager une procédure sur les crimes commis pendant la crise ivoirienne de 2010-2011. Une décision qui inquiète le président Ouattara, qui aurait préféré que cette question se règle en interne ». Le contenu de ce message subliminal c’est : Alassane Dramane Ouattara a quelque chose à se reprocher donc il souhaite régler cette question en interne parce qu’il se sait indirectement coupable de crime contre l’humanité. Pourquoi le président Ouattara préfère-t-il que cette question se règle en interne ? Réponse suggérée implicitement : c’est pour organiser l’impunité de ses troupes et appliquer une justice de vainqueur. Par ces suggestions subliminales, on jette le discrédit sur le nouveau président. On sape son autorité et on légitime ainsi les futures manœuvres de déstabilisation du nouveau pouvoir, orchestrées et organisées à partir de l’étranger, par les caciques corrompus et criminels en fuite de l’ancien pouvoir qui se transforment ainsi en opposants politiques entrés en résistance contre une nouvelle dictature irrespectueuse des droits humains. En établissant la crédibilité morale du nouveau pouvoir, la saisine de la Cour pénale Internationale briserait ces manœuvres. Car il est faux de penser, comme l’orchestrent les propagandistes du camp Gbagbo et comme l’écrit l’Inter que « le recours à la CPI pourrait se retourner contre le camp Ouattara » ! Si ce cas se produisait, cela consacrerait, au contraire, la victoire morale de Ouattara qui serait résolument allé au bout du processus judiciaire par pur respect du droit sans calcul politique. Son autorité en sortirait confortée car cette démarche serait l’attestation de sa conviction morale, de son souci de respecter le droit et les principes moraux même si ce respect est contraire à ses intérêts politiques immédiats. Quelle qu’en soit l’issue, la saisine de la CPI augmentera donc moralement le nouveau pouvoir ivoirien. En saisissant la CPI, le nouveau pouvoir ivoirien brisera le cycle de l’impunité, sanctionnera les crimes contre l’humanité et rendra justice aux innombrables victimes du chaos ivoirien voulu et organisé par Gbagbo et ses complices. Il administrera alors la preuve de ses engagements moraux et juridiques qui sont les fondements de la bonne gouvernance politique et du développement économique.

Ouattara risquerait par contre d’être moralement défait s’il évitait de saisir la CPI par calcul politique. Il consacrerait la stratégie du « nous sommes tous pourris » « nous avons tous commis des crimes » que le camp Gbagbo est en train d’ourdir. La stratégie des propagandistes et des défenseurs de Gbagbo est en effet de porter le conflit sur le plan moral du « nous sommes tous pourris » ; de le transférer au niveau de l’argument de la corruption interne de tous les acteurs de la scène politique ivoirienne qui ayant commis des crimes contre l’humanité fuient, sans distinction, leur responsabilité devant une Cour Pénale Internationale. Il s’agit de discréditer moralement l’adversaire devant la plus haute instance juridique internationale. En reculant devant l’échéance de la CPI, Alassane admettrait sa culpabilité et prouverait que ses intérêts politiques particuliers priment sur le droit international et la morale universelle. Tel est le « plan communication » des officines de Gbagbo qui montent en épingles les massacres dont sont soupçonnés certains éléments des forces armées de Ouattara tout en étalant les risques courus par Ouattara devant une CPI. Il faut dissuader le nouveau pouvoir de saisir la CPI afin de faire de l’irresponsabilité et de la criminalité politique un défaut partagé en commun par Gbagbo et par Ouattara. On fait alors d’une pierre deux coups. On salit moralement le nouveau pouvoir ivoirien et on en retire un bénéfice juridique et politique consistant en l’amnistie. Dans le compromis avantageux qui consisterait à annuler la saisine de la CPI, Gbagbo et ses complices bénéficieraient de l’amnistie et de l’impunité tandis que Ouattara échapperait au danger d’une implication dans les crimes qui compromettrait sa présidence ! Mais pour Ouattara et le nouveau pouvoir, qui écarteront le danger de cette implication au prix du discrédit moral et politique, ce serait un marché de dupes. Pour conforter cette solution avantageuse pour Gbagbo et ses complices mais sournoisement calamiteuse en termes d’image pour le nouveau pouvoir ivoirien, certains journaux rappellent avec insistance, que le recours à la CPI comporte des dangers pour Ouattara tout en soulignant que l’inexistence d’une Haute Cour de Justice en Côte d’ivoire rend impossible la traduction de Gbagbo et de son équipe devant les tribunaux ivoiriens.

En clair, il s’agit donc de présenter l’amnistie comme étant la solution d’équité dont parlait Yao N’dré lors du discours de l’investiture du nouveau Président lorsqu’il a accusé tous les Ivoiriens d’être responsables du chaos ivoirien. Du fond de sa prison de Korhogo Gbagbo n’a-t-il pas, lui-même, réclamé d’être jugé par une Haute Cour de Justice en sachant pertinemment que la Côte d’Ivoire n’en disposait pas ? On se situe donc toujours dans la technique du chantage et de la ruse chère au FPI qui cherche à prendre l’adversaire au piège ou à le compromettre dans des négociations douteuses! Ouattara risquerait en effet la défaite morale en choisissant la solution d’une justice du vainqueur ou en choisissant la solution de l’amnistie des crimes, solution qui sera prestement présentée comme une amnistie des crimes dont sont soupçonnées ses forces armées. Ses adversaires, qui sont loin d’avoir désarmés, auraient alors réussi à le classer sous l’étiquette de l’ignominie et de la défaite morale qui constitue leur propre caractère.

Etre moralement défait c’est sacrifier les principes moraux et juridiques à la satisfaction de ses intérêts particuliers et de ses passions. C’est généralement la condition de l’homme qui cède à la satisfaction de ses passions brutales. Dans la vie sociale et politique être moralement défait c’est perpétrer contre autrui l’acte ignominieux contre lequel on se dresse quand il s’exerce contre soi-même. C’est la condition de l’opposant politique qui lutte contre la corruption, l’oppression et l’injustice et qui se transforme lui-même en oppresseur corrompu et injuste une fois parvenu au pouvoir. C’est la condition de l’exploité qui se transforme en exploiteur ; de l’esclave qui devient lui-même esclavagiste ; du colonisé qui devient à son tour un colonisateur ; de l’opprimé qui devient un oppresseur. C’est la condition de celui qui transforme l’impératif moral du respect de la dignité ainsi que l’impératif juridique du respect de la liberté dont il avait reconnu le caractère catégorique quand il était dans la situation de la victime et de la défaite, en impératif hypothétique quand il se trouve dans la situation du dominateur et du vainqueur. La défaite morale est la condition de celui qui se laisse vaincre par ses propres pulsions et qui fait à autrui ce qu’il ne voudrait pas qu’il lui soit fait. La faillite morale suit toujours la défaite morale quand cette violation du droit et de la morale n’est plus occasionnelle et circonstancielle mais devient un principe de vie. Ce fut la condition de Gbagbo. Et c’est en refusant de s’inscrire dans cette condition de la défaite morale, dans la continuité de l’injustice et de la primauté des intérêts particuliers sur le droit et la morale, qu’Alassane Dramane Ouattara et son équipe vaincront définitivement Gbagbo et ses complices. Il s’agit de les terrasser en les abaissant par la hauteur morale et par la Loi impartiale de la Cour Pénale Internationale qui les soumettra à sa rigueur en les jugeant pour crime contre l’Humanité.

Dr Dieth Alexis
Vienne. Autriche

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