Dossier – Presse ivoirienne (suite) La presse, l’éternelle accusée…Les images de Gbagbo arrêté ou la responsabilité de la presse à l’épreuve

Par l’Intelligent d’Abidjan

Encadré 1
La presse, l’éternelle accusée…

La pluralité d’expression telle que souhaitée et obtenue en 1990 qui devrait consacrer la démocratie et prôner les valeurs républicaines et citoyennes est en passe de devenir la pluralité des langues pendues avec une presse qui attise les flammes de la haine et de la division. Une presse, pour tout dire, au rabais qui s’enlise des fondamentaux du métier de journalisme et met en péril la vie d’une nation. Nombreux sont les Ivoiriens qui, hier, se sont opposés à la pensée unique. Ils viennent d’être amèrement déçus de la presse dite libre, surtout celle qui assujettit sa ligne éditoriale au gré des intérêts pour servir des desseins ténébreux. Pendant plus de vingt ans, la presse ivoirienne n’a pas réussi à s’affranchir de la tutelle des pouvoirs publics et de certaines forces politiques. Disons une certaine presse qui croit avoir son salut que dans les invectives et la délation. Plus grave encore, des journaux avaient pensé à un moment donné qu’il n’existait aucune limite dans cette profession surtout qu’on a la protection du pouvoir et qu’on peut se servir de sa plume pour jeter en pâture des honnêtes citoyens, leur dénier leur nationalité, les faire passer pour mort en publiant des comptes rendus de leur décès et funérailles, catégoriser les populations de ce pays. Le mal a été beaucoup fait par la presse jusqu’à imposer une crise postélectorale à la Côte d’Ivoire pendant qu’au départ, toutes étaient unanimes que les élections se sont passées dans de bonnes conditions. De reniement en reniement de la vérité universelle, la presse s’est enfoncée entraînant avec elle dans la boue, tout le pays. De Marcoussis à Ouaga en passant par Accra et Pretoria, la presse ivoirienne a été considérée comme partie prenante de la crise et vertement accusée. D’où le vote des deux lois jumelles de 2004 à l’Assemblée Nationale pour donner un nouveau régime juridique de la presse et de la communication audio-visuelle. Deux chambres administratives ont été créées pour réguler ces deux secteurs. Le Conseil National de la Presse (CNP) et le Conseil National de la Communication Audio-visuelle (CNCA). Mais hélas ! Contrairement au CNP qui, affirmons-le, s’est mis relativement à l’abri de moins de griefs, le CNCA s’est le sofa du pouvoir tout en se dressant contre toutes contradictions. Favorisant la prise d’otage d’une télé d’Etat pour en faire une chaine de propagande du pouvoir et une foire d’injures pour l’opposition. Maintenant qu’on parle de retour des journaux qui se retrouvent maintenant dans l’opposition, il faudra que leurs différents responsables tirent les leçons du passé pour mieux aborder les défis du futur qui les attendent. « Plus question d’une presse qui incite à la violence et à la haine», avait prévenu le ministre
Hamed Bakayoko, ministre de l’Intérieur, ministre de la Communication par intérim. Car, ajoute-t-il, le Président Alassane Ouattara accorde une grande presse à la place pour réconcilier les Ivoiriens dans leurs diversités. Mais il prévient tout de même « que rien ne sera toléré désormais ».

Encadré 2
Les images de Gbagbo arrêté ou la responsabilité de la presse à l’épreuve

Une fois oui, deux fois peut-être, trois fois non. Laurent Gbagbo a été capturé le 11 Avril 2011. Les images de la capture sont passées en boucle sur les télévisions du monde entier et sur le net. Elles sont également passées dans les journaux de plusieurs pays, dont la France. Souvent même, ce fut à la une. En Côte d’Ivoire, la presse a recommencé à paraître le lundi 18 Avril 2011. Question : une semaine après, en plein processus de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, quel intérêt y avait-il à publier des photos déjà publiées, et qui n’étaient plus exclusives ? Des photos qui font mal aux partisans de Laurent Gbagbo sans rien apporter de nouveau aux électeurs de Ouattara et à l’ensemble des Ivoiriens ? Pouvait-on faire l’économie d’un débat sur la pertinence de la diffusion par les FRCI et les hommes du Golf Hôtel de ces images dès le 11 Avril ? A l’Intelligent d’Abidjan nous avons refusé d’ouvrir le débat sur la prise même de ces photos, mais nous avons fait le choix de ne pas les publier. Si nous étions sur le marché dès le 12 Avril 2011, nous les aurions publiées comme tout le monde. Mais une semaine après, les exigences ne sont plus les mêmes. Quelques jours plus tard, le Conseil National de la Presse a adressé une recommandation aux journaux, et les a invités à ne plus publier ces photos, dans un souci d’apaisement et de réconciliation. Quand IB a été tué, peu de journaux, en dehors de Nord Sud, qui a eu l’exclusivité de la photo le lendemain, ont exploité et exposé l’image de la mort de l’homme. Par la suite, est intervenu le débat sur les photos de la mort de Ben Laden.
C.K

Encadré 3
Ce que dit Marcoussis sur la presse et ce qui a été fait

Depuis Marcoussis et même, avant la presse ivoirienne est au centre des préoccupations. Acteur, auteur, témoin et complice des auteurs de la crise politique en Côte d’Ivoire la presse ivoirienne a payé sa tribut. A Marcoussis, l’on a fait son procès et des prescriptions ont été faites. Les voici :
1) La Table Ronde condamne les incitations à la haine et à la xénophobie qui ont été propagées par certains médias.
2) Le gouvernement de réconciliation nationale reprendra dans le délai d’un an l’économie générale du régime de la presse de manière à renforcer le rôle des autorités de régulation, à garantir la neutralité et l’impartialité du service public et à favoriser l’indépendance financière des médias. Ces mesures pourront bénéficier du soutien des partenaires de développement internationaux.
3) Le gouvernement de réconciliation nationale rétablira immédiatement la libre émission des médias radiophoniques et télévisés internationaux.
La situation de la presse, malgré cette bonne disposition manifestée à Marcoussis, s’est aggravée lorsqu’après le refus du camp Gbagbo d’octroyer aux forces nouvelles, le Ministère de la Défense, il a fallu confier le Ministère de la Communication à Guillaume Soro. Le camp Gbagbo, compte tenu de l’envergure de Guillaume Soro s’est alors rendu compte que l’avoir comme ministre de la Communication, n’était franchement pas mieux que de l’avoir à la Défense. Aujourd’hui que reste-t-il des prescriptions et recommandations de Marcoussis ? Près de dix ans après, qu’est ce qui a changé ? Si les choses avaient changé, serions-nous en train de faire ce débat, serions-nous en train d’appeler à la reprise de journaux dits pro-Gbagbo subissant la peur et la terreur, deux mois après que des journaux dits pro-Ouattara ont subi des tracasseries et des menaces ? Triste tableau n’est-ce pas ? On pourra toujours citer les lois dites jumelles de Décembre 2004, dont nous sommes si fiers, mais que nous ne respectons pas vraiment ! Des lois dont tout le monde voit déjà les insuffisances et qui n’ont pas pu mettre la presse et les journalistes à l’abri des mêmes fautes et dérives dénoncées avant et pendant Marcoussis. Parlant des journalistes de Côte d’Ivoire Henri Konan Bédié avait dit hypocondriaques écrivants. Robert Guei lui invitait au bon ton, ce qui veut dire que le ton n’était pas bon ; et n’hésitait pas dans la bastonnade. Laurent Gbagbo ne se cachait pas pour dire tout le mal qu’il pensait de cette presse qu’il ne lisait pas, mais pour laquelle il avait fait le pari de ne pas mettre les animateurs en prison. Qu’en sera-t-il d’Alassane Ouattara ? Et si avec le changement attendu, on profitait des attentes et des espérances pour donner à la Côte d’Ivoire une presse à la dimension de ses ambitions. Un homme avait porté de grands rêves pour la presse ivoirienne. Les concours de circonstances de la vie et son histoire professionnelle et personnelle, ne lui permettent pas d’être aujourd’hui ( et en ce moment précis sur la scène. Porté par son rêve, cet homme n’avait pas su, à un moment donné, faire une lecture juste des réalités politiques. Ces temps ci,ses rares sorties ont encore laissé sur la faim. Cet homme c’est Honorat de Yédagne, ancien président de l’UNJCI et ancien DG de Fraternité Matin. On peut ne pas l’aimer. On peut trouver des choses à lui reprocher. Mais on ne doit pas s’interdire de partager son grand rêve et ses ambitions presque démesurées pour la presse ivoirienne.
C.K et P.P

Encadré 4
Non emprisonnement pour les délits de presse, un acquis important

Même si l’ancien régime s’en prévalait et en prenait prétexte pour dire qu’il a tant fait pour les journalistes, sans avoir rien obtenu en retour ; et que pour ce fait il n’y a avait aucune raison d’en faire plus et davantage, personne ne peut faire la fine bouche devait cet acquis important que représente l’absence d’emprisonnement pour les délits de presse, concernant les journalistes. Il s’agit d’une avancée importante, qui protège la liberté de la presse, tout en appelant le journaliste à plus de responsabilités. Désormais le journaliste ivoirien travaille avec une grande tranquillité morale parce qu’il sait que pour tout écrit ou acte posé dans le cadre de sa profession, et par voie de presse il ne fera pas la prison. C’est vrai que malgré cela, il n’est pas à l’abri d’un assassinat à la Jean Helène, d’un enlèvement, d’une disparition à la Kieffer, ou d’une cabale aux allures de délit de
droit commun ? C’est vrai que certains procureurs, des citoyens et des juristes tentent quelques fois de contourner la loi, et essaient de faire requalifier en délit de droit commun, les délits de presse. C’est également vrai qu’il faut rester vigilant pour éviter les pièges ; mais le fait que la loi précise que la peine privative de liberté n’existe pas, est un grand acquis à mettre à l’actif de l’ensemble de la classe politique, qui a voté ces dispositions en 2004, après des débats houleux au cours desquels le principe a même failli être remis en cause. Peut-on penser que c’est cette forme d’impunité et d’intouchabilité dont bénéficie le journaliste, qui fait qu’en retour, on exige tant de lui dans la défense des libertés publiques et dans la promotion de l’action des politiques ? Mais n’est-ce pas aussi cela qui pousse, presque tout le monde, à faire le choix de la facilité et à tenter de laisser les journalistes porter seuls le poids des malheurs du monde et de la Côte d’Ivoire ? Le combat est noble ; le métier est noble. Mais les privilèges ne sont pas acceptables, si on foule aux pieds le respect des règles de la profession, et si on perd le sens de la responsabilité. Comme tout pouvoir, le quatrième des pouvoirs peut faire mal quand il rentre dans l’abus et dans l’excès. Le pouvoir exécutif est encadré. Le pouvoir législatif est également encadré. Le pouvoir judicaire est encadré. Tous ces pouvoirs subissent la critique et la vigilance de la presse et du quatrième des pouvoirs. Le quatrième pouvoir, le pouvoir des médias serait-il un pouvoir sans limites ? Il ne faut pas. Même si à un moment donné, on a fini par croire et penser qu’en vérité la presse n’est pas un pouvoir, tant elle avait décidé de servir les autres pouvoirs, de se lier et de se mettre à la solde des politiques. Le quatrième pouvoir qui résiste au pouvoir économique et à la puissance financière des hommes d’affaires, a-t-il le droit accepter curieusement de subir de son plein gré, l’influence des hommes politiques.
C.K et P.P

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