Côte d’Ivoire, quand ces soldats quitteront-ils les rues ?

« Je cherche mon mécanicien….devenu soldat FRCI »

Par Vincent Tohi Irié – Lebanco.net

Cela fait une semaine que je cherche mon mécanicien. Il faut qu’il répare ce qu’il reste de l’épave de ma voiture volée et abandonnée en ville dans la crise. Mais il semble qu’il ait changé de travail. Ses voisins disent qu’il est devenu soldat.. soldat FRCI ! Par ces temps qui courent, c’est le travail de tous ceux qui ont une revanche à prendre sur la société.

Soldat FRCI !

Ils sont partout dans la ville, ces soldats d’un autre âge. Avec leurs jeans, leurs treillis demi-saison, leurs chaussures hétéroclites, mais surtout leurs armes qui vont des plus sophistiquées aux plus désuètes, ils sont effrayants. Les plus chanceux ont des T-shirts FRCI dans des voitures volées et elles aussi estampillées FRCI. On se croirait dans un autre univers, on se croirait partout sauf à Abidjan et en Côte d’Ivoire.

Ils sont dans des jeeps ou debout sur des pick-ups surmontés d’armes intimidantes. Muscles impressionnants, lunettes noires, ils goûtent à une gloire soudaine. C’est une montée d’adrénaline qui les transporte dans un autre monde. Ils se croient dans Rambo II. Ils ne peuvent pas résister à tentation de se sentir invincibles, eux les tombeurs du régime défunt ivoirien. Ils ont occupé les Commissariats du pays. Leurs petites copines y passent toute la journée, nombreuses comme des mouches. Ceci nous rappelle la triste PC-Crise de la transition militaire de 2000, mais en moins professionnelle.

Nos corps armés n’ont jamais eu autant de Commandants au mètre carré. Commandant ceci, commandant cela. Il y en a qui ont même gravé leurs noms sur les véhiculés volés ou réquisitionnés, en lieu et place des plaques d’immatriculation. Et ce ne sont pas les célèbres « com’zones » qui ont régné en maîtres absolus sur la partie du pays occupée par la rébellion depuis 2002 et qui sont maintenant habitués à leur rang et à leur statut. Non, ce ne sont pas eux. Ce sont plutôt d’anonymes individus qui subitement se font escorter par des soldats armés jusqu’aux dents, avec gyrophares et égards. Leurs nombreux téléphones croulent sous le poids des appels d’urgence et de sollicitation en tous genres. Et vous voulez que du jour au lendemain, ces individus retournent à une vie ordinaire de soldats ou de civils.

Mais ce spectacle aura des revers importants. Aucun investisseur, aucun promoteur, aucun citoyen ne fera confiance à la sécurité dans le pays avec cette armée ou cette police anarchique. Il y a de quoi s’inquiéter. Et pourtant, cela dure et dure. Cela fait un mois que l’autre Président est tombé. On pensait alors que la vie reprendrait son cours normal. Mais il faudra patienter.

De nombreux communiqués ont instruit les policiers et gendarmes de reprendre leurs postes. Mais rien n’y fait. Quelques téméraires ont répondu à l’appel, mais pas tous. Imaginez la scène : un officier de police se présentant à des jeunes soldats désorganisés et occupant le Commissariat du 22è Arrondissement : « Bonjour, le Gouvernement m’a demandé de venir reprendre mon poste. Je suis le Commissaire de cet arrondissement. Il faut que vous quittiez les lieux ». J’espère pour lui qu’il aura pris soin de se réserver un lit au centre de santé communautaire de Bromakoté, parce que de toute évidence, il sortira de cette scène escamotée.

La bataille d’Abidjan a duré moins de deux semaines. Toutes les forces de sécurité n’ont pu être anéanties. Il faut les rappeler et les mettre à l’ouvre. Il faut pour cela deux éléments : la sécurité (donc que les nouvelles recrues quittent tous les bâtiments des forces de sécurité) et l’équipement (puisque le matériel de transmission, de travail et les armes ont été soit pillés soit volatilisés dans la nature). J’ai entendu dire que le nouveau pouvoir doute encore de la loyauté des policiers et des gendarmes. Mais le désordre de ces nouvelles recrues est encore plus dangereux. Surtout le jour où ces nouveaux soldats revendiqueront leurs récompenses. Il y a plus inquiétant à Mankono, au Sud-Ouest et à l’Ouest, il faut s’ y concentrer.

Il faut agir vite. Avec les pillages, les attaques, l’arbitraire, FRCI risque de finir par vouloir dire désordre. On a presqu’envie de regretter nos policiers-racketteurs. Le nouveau Président avait été ferme les jours qui ont précédé la chute du Commando invisible. Il avait précisé que ne seront intégrés dans les forces nationales que ceux qui étaient dans le processus depuis 2005. Que fera-t-il donc de ces nouveaux combattants qui se sont agglutinés progressivement aux rebelles venant du Nord au fur à mesure de leur progression sur le Palais présidentiel à Cocody et qui ont contribué à assurer sa victoire ? Il faut répondre à cette question et vite, car les habitudes ont la peau dure. Ce que ces jeunes exigeront aujourd’hui pour leur démobilisation sera moins important que ce qu’ils demanderont demain ou le mois prochain. Plus le temps passe, plus il sera difficile de les démobiliser. Les revendications iront crescendo. Ils seront tentés avec le temps qui passe de négocier au prix fort leur démobilisation.

Vous connaissez les «kadogos » ? Ce sont les jeunes soldats qui ont porté Kabila père au pouvoir. Vous connaissez aussi Rachidi ? C’est l’un de ces jeunes soldats qui, dit-on, a été utilisé pour assassiner Laurent Désiré Kabila qu’ils avaient porté au pouvoir. La Côte d’Ivoire n’est pas le Congo, mais la Côte d’Ivoire a quelque chose qui ressemble à chaque pays qui sort de conflit. L’histoire se suit mais ne doit pas se ressembler.

Par ailleurs, il faut mettre de côté la pudeur et constater que la plupart de ces jeunes nouveaux soldats ont une certaine homogénéité régionale. Pour un pays qui sort de conflit politique, social et identitaire, ceci est très dangereux pour le régime et pour ses efforts de recréer une cohésion nationale. Conseil très amical. A méditer.

VINCENT TOHBI IRIE

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