AMNESTY: « Ouattara doit pouvoir dire que les FRCI ont aussi commi des actes graves »

Amnesty dresse un bilan terrible des violences qui ont été commises en Côte d’Ivoire par les deux camps. Y-a-t-il des mesures immédiates que le nouveau président Alassane Ouattara doit prendre?

– Alassane Ouattara et son Premier ministre Guillaume Soro doivent tout d’abord condamner fermement ce que les forces républicaines, c’est à dire leurs propres forces, ont commis dans l’Ouest du pays et suspendre les responsables de ces actes afin de rassurer les populations.

Deuxièmement nous saluons la volonté d’Alassane Ouattara de vouloir entreprendre des actions judiciaires mais celles-ci doivent concerner tous les responsables. Pas seulement Laurent Gbagbo et ses partisans qui ont commis des actes très graves, mais aussi les propres forces qui ont soutenu Alassane Ouattara qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Si cela n’est pas fait nous aurons une justice des vainqueurs, qui ne va s’en prendre qu’à ceux qui ont perdu et qui va laisser des rancœurs qui risquent va créer des désirs de vengeances et risquent de replonger la Côte d’Ivoire dans un nouveau cycle de violences.

Pensez-vous que la réconciliation est possible ?

– Oui, la réconciliation est possible, mais elle doit passer par la justice. Alassane Ouattara a une opportunité exceptionnelle de montrer qu’il est équitable, qu’il veut réellement faire la lumière sur tout ce qui s’est passé depuis 2002, et que tous les responsables d’actes graves seront punis, qu’ils soient partisans de Laurent Gbagbo ou de son propre camp.

Et si la responsabilité d’Alassane Ouattara est engagée en tant que responsable de FRCI ?

– Comme vous le savez il y a une commission d’enquête internationale en ce moment en Côte d’Ivoire. Et pour le moment nous demandons une enquête équitable et nous jugerons sur pièce. Ouattara a dit qu’il voulait réconcilier le pays, qu’il voulait créer une commission vérité et réconciliation mais, dans ce couple il manque un troisième mot : justice. Une justice sans laquelle la Côte d’Ivoire risque de retomber dans une grande instabilité.

Pensez-vous que la justice nationale ou la justice internationale doit se saisir du dossier ?

– Le président Ouattara a appelé la CPI à enquêter sur ces faits. Et nous saluons cela. D’autant que certains des actes commis par les deux camps constituent des crimes de guerre et crime contre l’humanité, deux chefs d’accusation qui relèvent de la CPI.

Cet organe a également une garantie d’impartialité, ce qui n’est pas le cas de la justice nationale après dix ans de conflit. Il y a encore beaucoup de monde en brousse et il faut les rassurer et pour les rassurer il faut qu’ils reprennent confiance dans les forces de sécurité.

Y-a-t-il des leçons à tirer de ce conflit ?

– Ce qui s’est passé ces derniers mois est le résultat de quinze ans de haine déclenchée par la théorie de l’ivoirité qui a monté les habitants de Côte d’Ivoire les uns contre les autres, en opposant autochtones et populations dites étrangères, halogènes ou dioula, et pour réconcilier la population il faut 1 mettre fin à ces appels à la xénophobie et 2 rétablir la justice. Et notre crainte c’est que pour le moment nous n’avons pas entendu Alassane Ouattara dire clairement que les FRCI, c’est à dire ses forces, ont commis des actes très graves et que les auteurs de ces actes doivent être suspendus immédiatement. Ce serait un signe éclatant que la justice est équitable dans le pays.

Si Alassane Ouattara ne fait pas cela, le procureur de la CPI doit-il se saisir du dossier ?

– Le procureur de la CPI va quoi qu’il arrive se saisir du dossier. Il va y avoir une procédure nationale et si les choses se passent comme prévu il y aura aussi une procédure internationale. Ce que nous nous voulons c’est que cette procédure ne se concentre pas uniquement sur les derniers mois mais concerne les huit ou neuf dernières années afin que le pays retrouve des bases saines et que les populations puissent vivre ensemble, sans crainte des autres.

Amnesty pointe également du doigt dans votre rapport une inaction de l’Onuci. Doit-il y avoir enquête ?

– L’inaction de l’Onuci doit faire l’objet d’une enquête au sein de l’Onu. Nous avons montré qu’il y avait eu au moins négligence et nous allons faire pression pour savoir pourquoi l’Onuci n’a pas porté la protection aux populations comme le stipulait son mandat, alors qu’elle en avait les moyens. Nous allons donc faire pression à l’Onu pour qu’une enquête soit diligentée.

Interview de Salvatore Sagues, expert de l’Afrique de l’Ouest auprès d’Amnesty par Céline Lussato

Le Nouvel Observateur

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