Interview Venance Konan (Directeur général de Fraternité Matin): « la Crise n’est pas terminée… »

Le Nouveau Réveil

Nommé récemment à la tête du Groupe Fraternité Matin, Venance Konan rêve grand pour le plus vieux groupe de presse de la Côte d’Ivoire. Dans cette interview qu’il nous a accordée, avant-hier, il déballe ses ambitions. Le nouveau Directeur général de l’organe pro-gouvernemental estime qu’il ne faut pas caresser les autorités dans le sens des poils.

Journaliste à Fraternité Matin pendant plusieurs années, vous êtes d’abord parti de cette maison, puis vous y revenez aujourd’hui en tant que Directeur général. Quel sentiment vous anime-t-il ?
C’est le sentiment de la responsabilité. Parce qu’en m’appelant pour venir diriger Fraternité Matin, c’est une mission qu’on m’a confiée. Je sens le poids de cette responsabilité. Et ma mission, c’est de faire de Fraternité Matin un journal dans lequel tous les lecteurs (qu’ils soient Ivoiriens ou pas) se retrouvent. Quelles que soient les sensibilités, quel que soient les croyances. C’est-à-dire un journal professionnel, ouvert. Le deuxième challenge, c’est de faire de Fraternité Matin un grand journal à la dimension des ambitions que les nouvelles autorités ont pour la Côte d’Ivoire.

Vous voulez faire de Fraternité Matin un grand journal. Concrètement, comment cela va se présenter ?
D’abord, il faut que le contenu soit tel que les Ivoiriens se l’approprient. Le contenu a déjà changé. Si vous lisez Fraternité Matin, vous verrez que c’est un nouveau ton. Il y a beaucoup plus de rigueur dans l’écriture, même si beaucoup de choses restent à faire. A ce niveau-là, nous y travaillons. C’est des nouveautés, une variété d’articles, une variété de chroniques. Chaque jour, nous avons notre chronique qu’on appelle la matinale qui est animée par Oumou D., Maker Dagry, Vincent Tohbi, Tiburce Koffi. Il y avait Bandama Maurice. Malheureusement pour moi, il est devenu ministre. Et je ne sais pas si dans sa fonction de ministre, il aura le temps de faire des chroniques. Il y a Catherine Maurant qui est une Suissesse qui vit en Suisse qui nous fait des chroniques. Il y a une jeune française qui s’appelle Elodie Vermeille qui va nous faire des grands reportages. Il y a beaucoup de nouvelles signatures, il y a beaucoup de changement. Je dirais que Fraternité Matin est beaucoup plus riche. J’invite les lecteurs à le découvrir eux-mêmes. Vous allez découvrir aussi qu’il n’y a pas de tabou, il n’y a pas d’exclusion. On fait des interviews aussi bien à ceux qui sont dans l’opposition qu’à ceux qui sont au pouvoir. Tout le monde se retrouve dans Fraternité Matin.

Comptez-vous mettre sur pied de nouveaux titres ?
C’est notre ambition. Nous avons déjà entamé la réflexion. Mais, nous voulons aller progressivement. Nous voulons que le nouveau Fraternité Matin s’impose, que les lecteurs l’adoptent.

Quelle est la ligne éditoriale de Fraternité Matin ?
La ligne, c’est d’abord le professionnalisme. Le ton apaisé. On s’inscrit dans la réconciliation. Un journal où tout le monde se reconnait. Il n’y a pas d’exclusion, il n’y a pas de banni. Nous sommes professionnels. Avec objectivité. C’est vrai que nous sommes un journal gouvernemental, notre rôle est d’accompagner l’action du gouvernement. Mais la meilleure façon d’accompagner le gouvernement, c’est d’attirer son attention sur ce qui ne va pas.

M. Venance Konan, votre nom rime avec le franc parler, les critiques acerbes vis-à-vis de tous, y compris les tenants du pouvoir. Votre nomination à la tête de Fraternité Matin va-t-elle vous faire changer ?
Non. En me nommant ici, on m’a dit, on vous met à la tête de Fraternité Matin parce que nous pensons que vous en avez la compétence. Parce que vous connaissez l’entreprise, parce que nous apprécions votre franc parler. Et votre indépendance d’esprit. Il n’y a pas de raison qu’étant à ce poste, je perde cette indépendance d’esprit. Ce n’est pas le meilleur service à rendre aux autorités que de les caresser dans le sens du poil. Le meilleur service que nous puissions rendre à ces autorités, c’est de critiquer leurs actions. C’est de pointer le doigt là où ça ne va pas. Attirer leur attention sur ce qui ne va pas. Cela dit, nous ne sommes pas un journal de l’opposition. Nous sommes un journal proche du gouvernement mais notre mission auprès de ce gouvernement, c’est d’attirer leur attention sur ce qui ne va pas.

Votre prédécesseur Jean-Baptiste Akrou vous a légué un certain nombre de dossiers au nombre desquels un plan de restructuration, un projet de centre de perfectionnement aux métiers de la presse et de l’imprimerie. Quel sort réservez-vous à ces projets ?
Ces projets sont importants. Le projet de restructuration, je l’ai lu. Et il y a une nécessité de restructurer Fraternité Matin. Ça, c’est important. Le centre de formation des journalistes aux métiers de la presse est également important. C’est de bons dossiers qu’il m’a laissés, nous allons nous évertuer à les réaliser. Vous êtes journaliste comme moi, vous savez que nous n’avons pas d’école de journaliste en Côte d’Ivoire. Si bien que tous les journalistes, à commencer par moi, nous avons été recrutés sur le tas. Et chacun s’est amélioré comme il a pu. Mais c’est vrai, il y a un problème. Toute la presse en souffre. Donc c’est bien que ceux qui ont de l’expérience puissent former leurs jeunes sœurs et leurs jeunes frères plutôt que de les envoyer à l’extérieur. Et c’est pareil pour l’imprimerie. Il y a eu une école d’imprimerie mais je crois qu’il y a quelque chose qui n’a pas marché et aujourd’hui, nous n’avons pas les hommes et les femmes qu’il faut pour faire tourner une imprimerie. Nous avons l’une des plus grandes imprimeries de Côte d’ Ivoire mais on a de gros problèmes. Donc ce sont des choses qu’on peut faire et Fraternité Matin doit le faire.

Que devient votre prédécesseur Jean-Baptiste Akrou ?
Il est là, il se porte très bien.

Est-il en contact avec Fraternité Matin ? Joue-t-il encore un rôle dans la maison ?
Il est là. Il est employé de Fraternité Matin, il n’a pas été renvoyé. Il a perdu sa place à la tête de Fraternité Matin mais il n’a pas été renvoyé.

Et les lecteurs doivent toujours s’attendre à vos écrits ?
Chaque lundi, je fais mon éditorial. Et j’interviens dans d’autres pages. Mais de ma position, je ne peux plus être sur le terrain. Mon rôle, c’est d’envoyer les journalistes sur le terrain. Heureusement, il y a des journalistes qui peuvent mieux faire que moi. C’est à moi de leur donner les moyens de travailler.

Vous êtes aussi écrivain. Vous avez certainement des productions en vue. A quand votre prochain livre ?
Rire. J’ai un problème, c’est que j’ai trois derniers livres qui sont sortis. Voici le tout dernier qui est là (il nous brandit le livre intitulé Edem Kodjo : un homme un destin paru chez Nei Ceda), il n’est même pas encore sur le marché. C’est le premier exemplaire qui est là. Mais avant celui-là, j’ai un livre qui est sorti en France qui s’appelle » Chroniques Afro-sarcastiques, 50 ans d’indépendance tu parles ». C’est une édition suisse qui l’a fait. J’ai fait sa promotion en France comme j’ai pu et ce n’est pas encore arrivé en Côte d’Ivoire. Avant celui-là, j’ai fait un autre qui s’appelle » Les Catapillas, ces ingrats » qui est la suite de » Robert et les Catapillas ». Ce livre est arrivé à la librairie de France, nous n’avons pas eu le temps de faire la promotion quand il y a eu cette crise. Donc j’ai trois derniers livres qui sont sortis que le public ignore. Si je commence à parler de ces livres, les gens diront  » il est arrivé, il prend le journal pour faire prodada ». Donc j’attends un peu. J’attends que les journaux partenaires que vous êtes, vous en parliez avant qu’on en parle à Fraternité Matin.

La crise postélectorale a pris fin avec l’arrêt des affrontements entre les deux camps opposés. L’ancien chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, a été mis en résidence surveillée à Korhogo. Beaucoup de ses partisans sont en résidence surveillée. Les Forces Républicaines tiennent encore les armes à Abidjan et à l’intérieur du pays. Quel commentaire faites-vous de l’après crise postélectorale?
D’abord, c’est une bonne chose qu’on parle d’après crise. Cela veut dire que la crise est finie. Il ne faut pas oublier que nous étions à deux doigts de basculer dans une guerre civile. C’est heureux aujourd’hui qu’on puisse circuler, qu’on rencontre des embouteillages. Ça veut dire que la vie a repris. Mais soyons honnête, les choses ne sont pas forcément terminées. La situation sécuritaire n’est pas encore stabilisée. Il n’y a pas longtemps, les gens se battaient encore à l’ouest. On m’a rapporté l’histoire des mercenaires qui ont tué des gens il n’y a pas longtemps. La présence des Forces Républicaines, ça gêne. Parce que ce ne sont pas des professionnels. Leur habillement est parfois dérangeant. Leur façon de faire est parfois dérangeante, mais c’est un mal nécessaire. Il ne faut pas qu’on se leurre, il y a des menaces. J’entends des choses comme quoi, il y aurait une sorte de début de rébellion à l’ouest. J’entends dire qu’au Ghana, des gens prépareraient des choses. Je ne peux pas en vouloir aux Forces Républicaines d’être encore dans la rue. Même si ces forces sont accusées parfois, pas à tort, de pillages, je pense que c’est un mal nécessaire. Mais nous gagnerons tous à faire en sorte qu’elles rentrent dans les casernes pour que les forces régulières de police et de gendarmerie reprennent leur place.

La crise a fait plusieurs morts. Le Front Populaire Ivoirien (Fpi) a décidé de ne pas entrer au gouvernement. Avec tout cela, comment pensez-vous que la réconciliation prônée par le chef de l’Etat peut-elle être possible ?
Ce n’est pas parce que le Fpi n’est pas dans le gouvernement qu’il n’y aura pas de réconciliation. C’est deux choses différentes. Le Fpi a perdu les élections. Il a déclaré une guerre à la Côte d’Ivoire, et il l’a perdue c’est normal qu’il n’entre pas dans le gouvernement. C’est M. Alassane Ouattara soutenu par le Rhdp qui a gagné les élections. C’est normal que ce soit le Rhdp qui gouverne. Maintenant, la réconciliation, c’est autre chose. Ce sont des Ivoiriens, on leur reconnait leur droit en tant qu’opposants.

Certaines personnes estiment qu’au nom de la réconciliation, il ne faut pas juger ceux qui ont commis des actes. D’autres par contre pensent que la justice doit faire son travail pour une bonne réconciliation. Quel est votre avis ?
La réconciliation doit se faire par la justice. Si on vous fait un tort qu’on ne rend pas justice, comment voulez-vous qu’il y ait réconciliation. Justice et réconciliation ne sont pas antinomiques. On peut faire l’amnistie pour certaines choses. Des gens qui ont brûlé vives des personnes, qui menottent des pères de famille au volant et les brûlent, ne me dites pas que ces personnes ne vont pas passer devant la justice. La réconciliation et le pardon vont de pair avec la justice.

Interview réalisée par JULES CLAVER AKA

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