Devoir d’inventaire: Laurent Gbagbo, un héros, vraiment ?

KOGNITO Alain | Connectionivoirienne.net

Hier, je suis tombé sur un article intitulé «Côte d’Ivoire: Les 8 erreurs de Mamadou Koulibaly», par Suzanne Assalé (Le Temps, 15/6/2011), publié sur le site connectionivoirienne.net. Sur le fond, je suis en désaccord profond avec le contenu du papier. Mais dans la forme, j’ai aimé cet article, parce qu’il prouve que le «camp Gbagbo» est prêt pour l’audit nécessaire à sa reconstitution, après s’être désintégré en s’écrasant contre le mur en béton armé dressé par la communauté internationale. Je saisis donc l’occasion offerte par l’auteure pour apporter ma contribution à l’indispensable inventaire en cours. Chaque erreur indexée de Koulibaly, le numéro 2, sera mise en balance avec les fautes commises par Laurent Gbagbo, le numéro 1 de la précédente autocratie qui aura, pendant dix ans, gouverné la Côte d’Ivoire. Huit épisodes vous seront proposés, erreur après erreur, faute après faute, sans concession aucune. Merci aux journalistes du quotidien «Le Temps » pour avoir inspiré ce débat.

Extrait : «Première erreur. Mamadou Koulibaly a toujours reproché à Laurent Gbagbo sa mollesse relativement à la France. Soit. Mais ce Gbagbo qu’il traitait de faible vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, est resté à Abidjan avec toute sa famille et ses proches, pour affronter la même France. Qui, avec l’Onu, a largué sur «sa tête», dans la nuit du 10 au 11 avril 2011, 150 bombes et obus. Et le ‘peureux’ est resté là, stoïquement. Jusqu’au bout, Laurent Gbagbo a assumé pour la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi depuis ce 11 avril, il est entré dans une autre dimension. Ceux qui l’ont vu ‘mourir’ le saluent, comme une icône, un véritable symbole de la lutte de libération pour l’Afrique. Où était-il alors lui, Mamadou Koulibaly, ‘l’intrépide’, avec les siens ? Où était-il lorsque ça chauffait, lui le courageux ?»

L’auteure des lignes ci-dessus et moi avons une compréhension très différente du mot «stoïcisme». Parce que j’ai beau cherché, mais je ne vois rien d’héroïque à être resté terré avec ses proches dans un couloir au sous-sol d’une résidence défendue par des soldats armés jusqu’aux dents, pendant que des centaines de citoyens innocents, mais qui n’avaient pas la chance de faire partie de la famille Gbagbo et n’ont donc pas trouvé refuge dans le «bunker» ou pu se mettre à l’abri à l’étranger comme son «épouse officieuse» Nady Bamba et leur fils dans une résidence cossue au Ghana, (visiblement à l’insu des journalistes de Le Temps), ont été tués à tour de bras dans Abidjan. Tous peuvent mourir pour lui, mais lui ne mourra pour personne. Quel courage, dites- vous?

Je ne vois rien d’héroïque à avoir ordonné le repli des Forces de défense et de sécurité sur Abidjan, en laissant à découvert des milliers de personnes sans défense à l’intérieur du pays, à l’entière merci des hordes barbares d’Alassane Ouattara et de Guillaume Soro, qui ne se sont pas privées d’assouvir leur soif de sang et de chair éclatée en perpétrant des massacres qui font désormais partie de ce que l’histoire de l’humanité a de plus sombre et horrible à Blolequin, Duékoué, Divo, Guiglo…

Je ne vois rien d’héroïque à avoir acquis et entassé des tonnes d’armement militaire de dernière génération au Palais et à la Résidence présidentiels, à l’insu des principaux chefs des armées, en en réservant l’usage à la seule garde républicaine et en refusant de les distribuer aux autres soldats afin qu’ils puissent défendre la patrie. Quel est cet héroïsme qui a fait armer des bandes de néophytes endoctrinés dits «jeunes patriotes» pour les conduire à offrir à Gbagbo un bouclier humain, après que les FDS aient refusé de se battre? Le cynisme le dispute à la méchanceté.

Je ne vois rien d’héroïque à avoir supplié les com’zones de Ouattara de ne pas vous tuer et à être venu confesser devant le monde entier dans une interview sur LCI : «Je ne veux pas mourir. Je n’ai pas une âme de martyre. Je veux vivre, je suis fatigué». La peur le dispute à la lâcheté.

Non, ce n’est vraiment pas d’héroïsme dont Laurent Gbagbo a fait preuve. Il a simplement continué d’appliquer sa méthode de gestion de crise habituelle : laisser une situation pourrir jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’issue possible et faire comme si avoir le dos au mur était l’aboutissement d’une géniale tactique qui, d’un coup de baguette magique, transformera l’impasse en victoire éclatante, inch’Allah ! N’aimait-il pas répéter que le temps est l’autre nom de Dieu? La naïveté le dispute à l’incompétence.

Seulement cette fois, les séances d’incantations et d’abrutissement général à coup de prophétie malachiste des premières dames et les consultations de gbasseurs ouest-africains et autres sessions de maraboutage des épousées du village, en lieu et place d’une analyse froide de la situation et du développement d’une stratégie rationnelle et efficace par le désormais ex-Président de la République, ont abouti au débarquement des soldats français et à l’humiliation collective et l’asservissement durable du peuple ivoirien et des Africains en général. La belle ouvrage !

Pour terminer cette réponse à la «première erreur de Mamadou Koulibaly» telle qu’énoncée par Suzanne Assalé (Le Temps), il convient de souligner que la «mollesse» de Laurent Gbagbo envers la France était loin d’être relative. Le sentiment que Laurent Gbagbo éprouve jusqu’à ce jour à l’endroit de la France n’est pas de la mollesse. C’est un amour inconditionnel, désespéré et à sens unique. Le prisonnier de Korhogo ne vient-il d’ailleurs pas de désigner exclusivement quatre avocats français pour le défendre ? Gbagbo est comme un amoureux transi qui supplie sa belle France de l’aimer, qui lui offre des cadeaux somptuaires – en l’occurrence la Sodeci, la CIE, le terminal à conteneurs, le 3ème pont, les grands travaux d’Abidjan, les chantiers de Yamoussoukro, les champs de pétrole, tous octroyés de gré à gré à des multinationales françaises (Bouygues, Bolloré, Vinci, Total, France Télécom , Sofres etc.) hors toute mise en concurrence ou en faisant fi d’offres de pays tiers nettement plus avantageuses politiquement et financièrement pour la Côte d’Ivoire –, un adorateur qui fait le pied de grue sous les fenêtres de sa dulcinée en criant sa joie au monde entier lorsque celle-ci consent à lui jeter un regard, même dédaigneux, ou à décrocher son téléphone tous les trente-six du mois pour répondre à ses pitoyables danses du ventre et appels du pied incessants. Il est cependant définitivement refusé au concours d’entrée dans la fameuse Françafrique le 11 avril 2011, après plusieurs tentatives infructueuses.

Laurent Gbagbo s’est fait avoir comme un enfant de deux ans par la France, obnubilé qu’il était par la perspective de pouvoir enfin se faire admettre dans le cercle pourtant peu reluisant des collabos françafricains. Cela n’a pas toujours été ainsi. Au début de sa carrière politique, Gbagbo rêvait d’une Côte d’Ivoire libre et indépendante, mais cela n’a pas résisté à l’exercice du pouvoir ni à la francophilie affligeante de celui qui ne parle aucune autre langue étrangère que celle de Molière, ne sait pas se servir d’Internet, puise à l’envi dans les anecdotes de l’histoire de France pour égayer ses invités et cite De Gaulle, Mitterrand et Pompidou dans le texte. Quand l’Hexagone lui a collé une tentative de coup d’Etat dans les gencives en 2002, qui s’est par la suite muée en rébellion et en division du territoire, Gbagbo s’est mordicus accroché à l’idée que la solution passait impérativement par une main tendue à la France, grande ordonnatrice du putsch visant déjà à installer Ouattara au pouvoir. Magistrale erreur de jugement et mauvaise appréciation individuelle, que les Ivoiriens sont obligés d’assumer aujourd’hui collectivement, en payant un prix exorbitant. Le mythe «Laurent Gbagbo fer de lance de l’émancipation de l’Afrique digne» a longtemps aveuglé beaucoup de bonnes volontés qui y ont cru candidement, mais il ne résiste pas au bilan amorcé par son propre camp. On peut d’ailleurs en vouloir à Mamadou Koulibaly d’avoir, hélas, contribué à la promotion de ce leurre.

Un coup de fil nocturne de Sarkozy, une visite éclair de Claude Guéant, des injonctions de Bernard Kouchner ou Michèle Alliot-Marie, des sondages que même un aveugle aurait pu voir manipulés et manipulateurs, une campagne en partie financée à coup de milliards par Vincent Bolloré et confiée, par l’entremise de Nady Bamba, à Euro RSCG, les déclamations laudatrices envers l’opération Licorne, la mise au ban de Mamadou Koulibaly, l’intransigeant et très gênant inlassable pourfendeur du Pacte Colonial et de toute forme d’asservissement aux monopoles étatiques, dont le bureau à l’Assemblée Nationale a opportunément été incendié en février 2008, alors que cette institution était surveillée par la Garde Républicaine : tout était bon pour se vautrer dans l’autosatisfaction et donner des gages de bonne volonté – c’est un euphémisme – à l’Elysée. Le sacrifice des compagnons de route, cela est sans conteste une preuve du génie politique de Laurent Gbagbo.

«Nuit et jour à tout venant, je chantais, ne vous déplaise» dit la cigale Gbagbo.
«Vous chantiez? J’en suis fort aise. Eh bien! Dansez maintenant» répond la fourmi Koulibaly.

Sur cette libre interprétation de la fable de la Fontaine, je vous donne rendez-vous très bientôt dans ces mêmes colonnes pour la suite des commentaires que m’inspire le texte indexant le président de l’Assemblée nationale.

KOGNITO Alain (kognitoalain@yahoo.fr)

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