Bonne gouvernance: Ouattara peut-il tuer la corruption ?

Par Marc Dossa – Source: Nord-Sud

Outre les grands chantiers sur lesquels les Ivoiriens l’attendent, du reste avec beaucoup d’impatience, Alassane Ouattara devra relever le défi d’éradiquer la corruption. Un mal qui sape dangereusement les fondements de la société ivoirienne.

Les Ivoiriens sont désespérés. Avec l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, chantre de la rupture avec l’ordre ancien, ils s’étaient pris à rêver de la fin de la corruption. Très rapidement, le désenchantement a pris la place de ce grand espoir qui avait commencé à les habiter parce que le mal a empiré sous la “Refondation’’.

Passe-droit, dessous de table, pots-de-vin… tout y est passé sous les dix ans de règne de Laurent Gbagbo. C’est à croire que la Côte d’Ivoire n’est pas loin de disputer la première place des pays les plus corrompus au monde, au Nigéria ou au Cameroun, autrefois, titulaires indiscutés du palmarès. Selon le professeur d’économie, Wautabouna Ouattara, la Côte d’Ivoire a atteint un tel niveau de performance, qu’elle se hisse désormais à la quatrième place des pays les plus corrompus de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), tout en occupant le 154 rang au niveau mondial, selon Transparency international. « La Côte d`Ivoire occupe la bien peu reluisante place de 4ème place des pays les plus corrompus », avait révélé l’enseignant-chercheur de l’université de Cocody, lors d’un colloque organisé en avril 2010, dans le cadre des préparatifs du Cinquantenaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

Renversant palmarès ! En effet, « avec l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo et de son régime de la ‘’Refondation’’, tout est devenu payant. Des services publics aux concours d’entrée à la fonction publique », avait critiqué un observateur de la scène politique ivoirienne, après avoir pris connaissance des révélations du Pr Ouattara. Et, ses critiques sont loin d’être isolées. « Les gens détournent par-ci, détournent par-là, ils font des rackets par-ci, des rackets par-là. Les policiers ont  » gâté  » leur nom parce que tout le monde les voit. Mais ils ne sont pas les seuls à racketter. Quand tu vas dans un bureau et qu’on te prend de l’argent pour faire un papier auquel tu as droit, c’est du racket.

On voit tout et on entend…. On entend ici, un tel vol dans la direction qu’on lui a confiée, un tel vol sur la route, mais quand nous volons, c’est nous-mêmes que nous volons… », avait fini par admettre, en juin 2008, Laurent Gbagbo lui-même lors d’un séjour à Tiassalé. Comment l’ancien homme fort ne pouvait pas accepter de voir la vérité en face puisque le peuple avait commencé à gronder pour dénoncer la mal-gouvernance qui l’enterre sans vraiment l’enterrer ?

Mais, visiblement, tout chef de l’Etat qu’il était, Laurent Gbagbo a été incapable d’éradiquer la corruption. Deux ans après, le mal était toujours-là, tenace. C’est du reste cette incapacité de Laurent Gbagbo à soigner le mal qui a, semble-t-il, suscité le courroux de son bras droit de l’époque, Mamadou Koulibaly. Au cours d’une conférence publique, en juin 2010, le président de l’Assemblée nationale a condamné avec véhémence toutes les tares de ses amis, dérivées de la corruption. « A la suite d’un concours d’entrée à l’Ecole de police d’Abidjan, dix des 1.358 admis sont du même village que le chef de cabinet du ministre de l’Intérieur. Comment expliquer qu’aucun candidat, par le hasard du concours, n’ait été admis dans la sous-préfecture de Saïoua alors que le village de Digbam enregistre à lui seul dix réussites ? Cette histoire a été relatée par les populations des villages dont les candidats ont échoué. On peut certes s’interroger sur la véracité des propos mais quoiqu’il en soit, le climat de suspicion devrait être l’occasion d’ouvrir une enquête parlementaire pour tirer au clair le trafic d’influence et la corruption qui entourent les concours d’entrée dans les grandes écoles de la police, de la gendarmerie et de l’administration.

J’y suis favorable et j’invite les groupes parlementaires à s’y investir.

Cet exemple n’est-il pas la manifestation d’un système corrompu qui tolère qu’un fonctionnaire ivoirien travestisse le concours de l’Ecole nationale de police en un exercice de recrutement des jeunes de sa tribu ? », avait critiqué le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Le branle-le-bas provoqué par cette sortie avait contraint l’ancien chef de l’exécutif, Laurent Gbagbo, à diligenter une enquête sur les différentes allégations. Une enquête qui s’est soldée par un non-lieu général, à la grande stupéfaction d’une grande partie des Ivoiriens qui en attendaient mieux.

Signe que la corruption est devenue un mode de gouvernance, ces dix dernières années, le confrère en ligne, Koaci a même élaboré la liste des principaux concours ivoiriens et les montants dont les postulants doivent s’acquitter pour espérer être admis. « Concours d’entrée à la fonction publique: deux millions ; Concours d’entrée à l’Ena: trois millions ; concours d’entrée à l’école de police: deux millions ; concours d’entrée à la gendarmerie : deux millions ; concours des instituteurs adjoints : un million ; Concours d’entrée à la douane: trois millions », a révélé le confrère dans la veine du mini-séisme provoqué par les diatribes de Mamadou Koulibaly, contre les actes de mal-gouvernance.

Alassane Ouattara pourra-t-il soigner la gangrène qui menace d’emporter la Côte d’Ivoire ?

L’espoir placé en Alassane Ouattara est donc à la mesure de la désillusion vécue avec les régimes précédents. Précédé par sa réputation de manager rigoureux, le nouveau chef de l’exécutif est conscient que les Ivoiriens l’attendent sur ce terrain. Et, même s’il n’a pas encore dévoilé son plan de lutte sectoriel contre ce fléau, Alassane Ouattara a choisi d’annoncer les couleurs via internet. « La corruption gangrène tous les secteurs d’activités de notre pays. Cela est certes dû à la perte de certaines valeurs qui ont fait la fierté de notre administration mais aussi à l’impunité totale qui règne aujourd’hui. Si je pense qu’il faut toujours reconnaître le mérite de ceux qui travaillent afin de provoquer une certaine émulation, je suis également persuadé qu’il faut sanctionner les mauvais exemples pour servir de leçon. Mais pour lutter contre la corruption, nous aurons besoin de la participation de tous nos concitoyens. Il y a un énorme travail de sensibilisation à faire car le pays a perdu tous ses repères moraux », avait-il répondu, en décembre 2009 à un internaute. Et, selon toute vraisemblance, Alassane Ouattara entend s’appuyer sur la justice pour combattre ce fléau. Son discours prononcé lors de l’investiture du président de la Cour suprême, laisse clairement afficher cette ambition. « Sans une justice crédible, rassurant les investisseurs nationaux et étrangers, les capitaux nécessaires à la relance de notre économie éviteront soigneusement notre pays au profit d’autres destinations jugées plus sûres.
La faiblesse de la justice conduit inexorablement au délitement de tous les compartiments de l’Etat et, à terme, au retour à la loi du plus fort, la loi de la jungle », a-t-il déclaré. Du point de vu des engagements, nul ne peut trouver à redire sur les dispositions d’Alassane Ouattara à combattre la corruption. Reste maintenant à traduire en acte, ces engagements. Autant dire que, là-dessus, tous l’attendent au tournant, notamment dans le cercle de Laurent Gbagbo qui considère plusieurs proches de l’ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international (Fmi) comme des bandits à col blanc. « S’il veut vraiment lutter contre la corruption, il doit commencer par sanctionner certains de ses cadres dont les noms ont été mêlés à plusieurs scandales », assène un ancien ministre frontiste.

Si le nouveau chef de l’exécutif échoue, le désespoir des Ivoiriens pourra virer au cauchemar.

Marc Dossa

Nord-Sud

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