Tonton Kotch…Barthélémy, la crise postélectorale et la réconciliation nationale

« Tonton Kotch ». C’est ainsi qu’on avait coutume d’appeler le Professeur Barthélémy Kotchy à la Faculté des Lettres dont il était alors le vénérable doyen. Ses disciples le désignaient ainsi non seulement pour traduire le respect qu’ils vouaient à la qualité de son esprit critique, mais aussi pour exprimer leur affection pour la probité morale et intellectuelle qui caractérise l’homme. C’est au nom de ces mêmes vertus éthiques et intellectuelles que des masques sacrés comme Harris-Memel Foté, Niangoran Bouah et Bernard Zadi Zaourou ont séduit l’esprit de nombreux étudiants alors mûs par une quête fiévreuse du savoir. « Carpe Diem » : jouir de la vie ! C’était le maître-mot. Nous l’interprétions autrement : intensifier le présent et ses lumières dans la pratique d’une saine discipline de vie intellectuelle que ces illustres éducateurs nous invitaient à cultiver dans la proximité et la découverte des grands classiques, mais aussi à travers d’innombrables conférences et symposiums, causeries-débats et rencontres littéraires et philosophiques. Ce bouillonnement intellectuel survint dans un contexte social marqué par l’avènement du miracle économique ivoirien, dont l’architecte fut son Excellence Félix-Houphouët Boigny.

Certes les différents Chefs d’Etats qui se sont succédé à la tête de la nation ivoirienne n’ont pas, à la vérité, su honorer la vision de grandeur que le Bélier de Yamoussoukro avait forgée pour sa chère patrie ; mais avec le « Refondateur-in-Chief », cette vison de grandeur s’est littéralement dégradée dans la destruction de l’héritage que le Vieux avait patiemment bâti, puis entretenu dans la devise de l’union, de la discipline et du travail. C’est vrai que nous avons en présence deux personnalités radicalement différentes : le Sage de Yamoussoukro se voulait un apôtre de la paix, alors que le Woody de Mama s’est illustré dans la gestion de la chose politique comme un indécrottable fervent de la division ethnique et de la violence terroriste. Il me souvient ici que le Général De Gaulle avait qualifié, à juste titre, Houphouët-Boigny de « cerveau politique de premier ordre ». Propos qui contrastent avec tout ce qu’on pourrait imaginer de bon sur le compte du boulanger d’Abidjan : figure tragique à répudier comme symbole du degré zéro d’une politique dogmatique qui a plongé le pays dans le chaos d’une tragédie postélectorale.

Dans l’entretien qu’il a récemment accordé au journal « L’expression » (11 Juillet 2011), « Tonton Kotch » dévoile les raisons pour lesquelles lui et Memel Foté se sont retirés du Fpi : parce qu’ils se sont rendu compte que cette formation politique s’était muée en « parti de petits dictateurs » qui ont ignoré les valeurs du socialisme et de la démocratie. Ces propos m’ont automatiquement fait songer à ceux de Louis André Dacoury Tabley, pour qui « Le Fpi est à comparer au parti nazi d’Hitler » (Le Patriote du 20 Mai 2011). Un ancien membre du Fpi venait de reconnaître l’image d’Hitler dans celle d’un nazi noir à la tête d’un parti fantoche. Terrifiant et troublant, n’est-ce pas ?! Les membres du parti en question ont dévié de la ligne originelle de leur entité politique pour engendrer un long cortège de viols et de vols, d’abus et de souffrances humaines. Bien que conscient de cette triste réalité imposée par le régime de la gbagbocature, « tonton Kotch » sollicite, cependant, la grâce du Président Ouattara, en même temps qu’il nous invite à « accorder le pardon à Laurent Gbagbo ». On comprend aisément les soucis qui animent l’humaniste, surtout quand on tient compte du contexte de réconciliation qui semble justifier ses propos bienveillants.

Mais comme je l’ai déjà mentionné en d’autres circonstances, le Front Impopulaire Ivoirien a annoncé le glas de l’état de droit dès sa terrible infraction sur la scène politique ivoirienne. Sa chute doit correspondre avec l’émergence d’une nouvelle ère d’espérance que nous devons célébrer dans le respect de l’état de droit. Cette exigence doit nous imposer le devoir moral de rompre avec le règne de l’impunité. Car, répétons-le pour les esprits simples qui ont l’oreille dure : il n’y pas de vertu là où l’injustice cautionne ou encourage délibérément nos forfaitures humaines; pour cela, la réconciliation ne doit pas rimer avec impunité pour les anciens bourreaux ! C’est pour cette raison que j’ai apprécié la vigilance du journaliste de « L’expression », quand il a posé la question suivante au respectable académicien: « Les victimes de Gbagbo réclament justice. Que faut-il faire ? ». Réponse : « C’est vrai. Elles ont même raison de réclamer justice et vengeance. Mais rien de ce qui sera fait à Gbagbo ne réveillera les morts. C’est pourquoi je leur demande de faire preuve de beaucoup de courage et de hauteur. Ce n’est pas facile, je le reconnais ». Cette réponse inspire plusieurs remarques….

Partout où le processus de réconciliation a été entamé après des crises meurtrières, que ce soit en Afrique du Sud, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie, l’objectif ne fut jamais de « réveiller les morts », voire d’effacer les exactions commises par les monstres du temps. L’objectif fut plutôt de donner une pertinence à la mort de ces victimes qui perdirent la vie. Donner une pertinence à la mort, c’est donner à la vie tout le respect et toute la considération précieuse qu’elle mérite. C’est suivant cette perspective qu’on a, d’une part, tenté d’abord de soulager la mémoire douloureuse des parents des victimes, qui devaient bénéficier de mesures réparatrices. D’autres part dans bon nombre de pays, on a mis tout en œuvre pour que l’âme des victimes repose en paix et dans la sérénité que justice a été rendu en leur nom, et ce, ironiquement dans le respect du droit de leurs bourreaux. Enfin la réconciliation s’est effectuée dans le souci d’une catharsis nationale qui visait à alléger le poids de la souffrance collective dans le bien-être de la société entière. Par ailleurs, « Tonton Kotch » avance qu’il est « convaincu que si Gbagbo est gracié et remis dans les mêmes conditions, il ne refera pas ce qu’il a fait. C’est pour une réconciliation vraie que je demande de pardonner ». « Seriously ?! » Je ne partage pas ses convictions sur ce point. « I wish I could »…

Mais comme des millions d’Ivoiriens, il y a belle lurette que j’ai perdu foi en Laurent Gbagbo. Je suis donc de ceux et celles qui pensent que lorsque Gbagbo bénéficiera des conditions d’un sursis politique, il est hautement probable qu’il en profite pour menacer la cohésion sociale, voire pour faire retomber le pays dans une autre débâcle. C’est le credo de sa tragi-comédie politique. Sa contrainte de l’inachevé, qu’il veut transcender, coûte que coûte: ne nous leurrons point : il n’a pas encore perdu toute sa capacité d’invention dans l’antichambre du réel où il se trouve en exil. De même que ses instruments de la haine, les frontistes illuminés, n’ont pas encore tous perdu leur aptitude à la « quétainerie », à la violence et à la nuisance. Laissons le temps faire son œuvre. Ce temps qui est, selon Gbagbo, l’autre nom de Dieu. Laissons-le agir, jusqu’à ce que ses reflexes s’épuisent, qu’il démontre son inaptitude à défaire notre projet national de vivre ensemble. Entre-temps, au nom d’une réconciliation vraie, nous devons éviter d’emprunter indéfiniment, « over and over again », la fameuse voie de la sagesse africaine qui, ma foi, prône trop souvent le pardon facile. Il est vital pour notre survie de laisser la justice performante intervenir de temps à autre pour rétablir l’équilibre des choses. Au nom du bon usage de la sagesse africaine. Par respect pour notre dignité humaine, ainsi que pour les valeurs morales qui constituaient les fondements éthiques de notre société. C’était déjà à une époque lointaine où les Refondateurs n’avaient pas encore fait chavirer les dieux dans les caniveaux de l’histoire. Evidemment, les discours sur la réconciliation dans la justice resteront lettres mortes aussi longtemps que les conditions de sécurité ne seront pas réunies en faveur de la pacification du pays. Les nouvelles qui nous parviennent témoignent du fait que la situation sécuritaire demeure fragile. Les nouvelles autorités ivoiriennes doivent parer au plus pressé pour rétablir ordre, justice et liberté dans tous les coins et recoins de la République. La tâche n’est pas facile, mais ensemble, nous pouvons relever les défis qu’elle impose. Nous devons réussir aux yeux de la communauté internationale, mais surtout dans l’intérêt supérieur de notre nation que gouverne avec délicatesse et majesté Son Excellence Alassane Dramane Ouattara.

A la victoire de la démocratie libérale doit suivre l’honneur de vivre et de gouverner. Pour triompher dans la gloire, le Président et son équipe ministérielle dirigée par Soro K. Guillaume doivent tout mettre en œuvre pour vaincre les périls de l’insécurité imposée par les contingences de la crise postélectorale. Il serait malhonnête de ne pas reconnaître que le gouvernement a fait des progrès notables dans le processus de normalisation du pays, même si des dommages collatéraux continuent malheureusement d’affecter cette période de transition et de rétablissement de l’état de droit en Cote d’Ivoire. Mais nous gardons en réserve la conviction que le nouveau régime en place saura trouver les voies et les moyens d’une réconciliation à la fois politique et matérielle, morale et affective, afin que nous puissions progresser en bâtissant ensemble des lendemains d’or pour une nouvelle société ivoirienne, dont nous serons tous fiers dans le concert des Nations et de la fraternité humaine. Sommes-nous capables de nous offrir cette renaissance comme repoussoir et antidote aux fantômes du passé ? « Nothing is impossible for a willing heart ». Vivons en partage l’esprit de cette vérité-action : A cœur vaillant, rien d’impossible !

DAVID KAMBIRE, NEW YORK, USA

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