Côte d’Ivoire – Du fond de sa prison, Laurent Gbagbo écrit ses mémoires

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Par Sylvie Kouamé | Connectionivoirienne.net

Laurent Gbagbo n’est pas homme à se laisser abattre par la première bourrasque ou même par l’ouragan le plus violent. Loin s’en faut. Et pour tous ceux qui le connaissent ou qui l’ont côtoyé, l’opposant historique de feu le président Félix Houphouët-Boigny a la faculté de retourner à son avantage les situations les plus désespérées. Et c’est ce qu’il est en train de faire en ce moment. Si donc l’effet recherché par son isolement à Korhogo, à 630 kilomètres au Nord de la Côte d’Ivoire, était de le faire progressivement oublier par ses concitoyens et le laisser mourir à petit feu, Alassane Ouattara et les caciques du nouveau régime en place à Abidjan ont tout faux. Car Laurent Gbagbo reverdit !
En effet, depuis sa prison (c’est plus commode de dire assignation à résidence surveillée) somme toute dorée de la résidence présidentielle de la cité du Poro, Laurent Gbagbo s’est remis à l’un de ses tout premiers amours : l’écriture. Ainsi, l’ancien chef de l’Etat ivoirien met à profit son repos forcé pour commencer à rédiger ses… mémoires ! L’auteur de Soundjata, le Lion du Mandingue ; Côte d’Ivoire : Pour une alternative démocratique ; Côte d’Ivoire : Agir pour les libertés ; Côte d’Ivoire : Histoire d’un retour (préfacé par Innocent Anaky Kobenan, le compagnon de route devenu par la suite le plus virulent pourfendeur de Laurent Gbagbo) ; et bien d’autres essais sociopolitiques à succès ne chôme donc pas. Son livre progresse à une vitesse qui le surprend lui-même. Le manuscrit (écrit à la main puis tapuscrit au fur et à mesure) et qui retrace l’engagement et l’action politiques quarantenaires de Laurent Gbagbo ainsi que son accession au pouvoir et sa gestion au sommet de l’Etat pendant une décennie ; avec tous les soubresauts et péripéties que cela comporte, a déjà dépassé les 200 pages de ramettes de papiers. Et l’homme s’y met à fond. L’ancien chef de l’Etat ivoirien veut terminer la rédaction de ses mémoires avant sa sortie prochaine de prison (l’homme affiche une certitude parfois déconcertante sur son avenir politique).

Mon sacrifice suprême pour la souveraineté et l’indépendance de la Côte d’Ivoire

Mais comment du fond de son « bagne » korhogolais peut-il écrire un livre, alors que ses conditions de détention lui interdisent toute activité scripturale en dehors de la lecture de la Bible et de quelques livres qui lui ont été autorisés ? Est-on tenté de se demander. Eh bien ! Gbagbo utilise une technique connue de tous les hagiographes des grands hommes d’Etat : il se sert de nègres pour écrire… Le document en voie d’élaboration porte ce titre indicatif fort évocateur : « Laurent Gbagbo : Mon sacrifice suprême pour la souveraineté et l’indépendance de la Côte d’Ivoire ». Avec en sous-titrage : « Mon combat pour la liberté, l’émancipation et la prospérité de l’Afrique et de l’Homme Noir ». Tout un programme !

Que tous ceux qui pourraient interpréter ce geste du Président Laurent Gbagbo comme un signe de résignation, de capitulation ou du début de la fin se détrompent. Certes, c’est généralement au crépuscule de son existence qu’on couche ou fait écrire ses mémoires ; une œuvre qui consigne ses pensées, actions, anecdotes, etc. avant de tirer sa révérence. Mais dans son cas, l’ex-locataire du Palais présidentiel du Plateau chassé du pouvoir par une coalition armée internationale conduite par les forces militaires franco-onusiennes de la Licorne et de l’Onuci agit plutôt par stratégie et par anticipation. Et aussi et surtout pour hâter le temps. Gbagbo ne répétait-il pas, quand il était au pouvoir et qu’il était en proie à toutes sortes d’attaques et d’adversités, que « le temps, c’est l’autre nom de Dieu ? »

Ainsi donc, celui qui n’a eu aucun répit durant toute sa décennie de gouvernance peut-il enfin savourer d’intenses moments de délassement et consacrer son temps à la lecture et surtout à l’écriture. Car, exit les longues journées de travail qui commençaient à 10H30 et qui se terminaient souvent très tard dans la nuit, à 4 heures du matin ! Aussi, passés les premiers moments de frayeurs et d’hébétude, voire de lassitude et de solitude ; puis après s’être habitué à sa nouvelle condition de vie et à son univers carcéral, Laurent Gbagbo s’adonne-t-il à l’une de ses activités intellectuelles favorites.

Une oeuvre gigantesque

Son œuvre gigantesque en construction sera rythmée par trois grandes périodes. Primo, les années de braise sous le parti unique. Secundo, du retour au multipartisme aux élections présidentielles de 2000. Et enfin, l’accession au pouvoir et la gestion mouvementée de l’Etat de Côte d’Ivoire jusqu’au coup d’Etat franco-onusien du 11 avril 2011 et leurs suites. Dans cette partie, qui constitue l’épine dorsale du livre, Gbagbo raconte dans le menu détail les événements marquant les six derniers mois de son règne, le siège de sa résidence présidentielle de Cocody et sa vie de reclus pestiféré, déporté à plus de 600 km du centre névralgique du pouvoir ivoirien. Vous imaginez bien que c’est par la fin que l’ex-numéro un ivoirien a commencé la rédaction de ses mémoires. Gbagbo a décidé de « déclassifier » tous les secrets d’Etat et d’alcôves des palais, salons, suites d’hôtels et salles feutrées des rencontres à huis clos entre pairs ou des réunions internationales où le sort du petit pays d’Afrique de l’ouest grand d’à peine plus de 322.000 kilomètres carrés a été scellé sous sa gouvernance. Cette partie des mémoires de Laurent Gbagbo est pratiquement déjà achevée. Et le livre, qui sera volumineux à souhait, pourrait paraître en trois tomes.
Si l’on s’en tient aux premières décisions arrêtées par l’ex-chef de l’Etat ivoirien, les mémoires de Laurent Gbagbo seront crédités d’une double préface. Thabo Mbeki, le plus fidèle allié et porte-voix infatigable de l’Afrique digne, ouvrira les pages du livre de ses convictions affirmées. Suivi en cela par Guy Laberttit, le camarade trentenaire et indécrottable « Gbagboïste ». Une post-face refermera les mémoires de Laurent Gbagbo et sera signée par Me Joseph Kokou Koffigoh, ex-Premier ministre du Togo, qui lui a récemment rendu visite à Korhogo. L’avocat qui avait pris sa retraite, s’est réinscrit au barreau de Lomé avec pour seul objectif de s’associer à la longue liste de membres de Collectifs d’Avocats en vue d’assurer la défense devant les tribunaux des Gbagbo (Laurent, son épouse Simone Ehivet et son fils Michel) ; ainsi que de tous les collaborateurs civils et militaires de l’ex-chef de l’Etat ivoirien, voire des illustres anonymes, compagnons d’infortune de la vengeance justicière d’Alassane Ouattara et de son régime cornaqué par Paris.

Les plus grandes maisons d’édition du monde qui ont eu vent de ce projet faramineux de l’ancien chef de l’Etat ivoirien se bousculent déjà – discrètement, bien entendu – au portillon de la résidence présidentielle de Korhogo transformée en pénitencier de circonstance. Mais sur la question, Gbagbo s’est déjà fait une religion. Exit les grandes maisons d’édition occidentales, françaises et nord-américaines notamment. Même L’Harmattan, l’éditeur parisien traditionnel de Laurent Gbagbo a été d’emblée écarté. Les mémoires de l’homme politique ivoirien qui a marqué d’une empreinte indélébile les 40 dernières années de l’Histoire de la Côte d’Ivoire seront édités dans un pays africain. Gbagbo a choisi de rendre une fière chandelle à l’un de ses indéfectibles alliés de l’Afrique digne, l’Afrique des grands combattants de la liberté et de l’émancipation du joug colonial et occidental. Ainsi, les mémoires de Laurent Gbagbo seront édités soit en Afrique du Sud, en Angola ou au Zimbabwe…
Les choses pourraient évoluer, s’affiner et subir quelques modifications au fil du temps. Mais la machine à écrire de la « Bête politique » ivoirienne est lancée, et certainement rien ne pourra l’arrêter. Voici donc comment de sa « cellule » de Korhogo, le prisonnier le plus célèbre de toute l’Histoire moderne de la Côte d’Ivoire est en train de préparer le best-seller le plus retentissant jamais réalisé en Afrique. Sacré Gbagbo !

Par Sylvie Kouamé | Connectionivoirienne.net
avec
Une correspondance particulière de Khadija Aissatou Sidibé, résidente à Korhogo

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