Luxembourg – Kadio Morokro de Pétro Ivoire obtient le dégel de ses fonds

L’affaire en question paraît à première vue mineure, mais est finalement assez révélatrice du fonctionnement du droit qui régit l’Union européenne et les États tiers, en l’occurence la Côte d’Ivoire.

Nous avons donc ici un requérant nommé Mathieu Kadio Morokro, qui dirige une société spécialisée dans les produits pétroliers, baptisée Pétro Ivoire SA. Dans le cadre de ses activités, cet homme est amené à travailler avec le président ivoirien déchu Laurent Gbagbo.

Mathieu Kadio Morokro. Photo DR.

Alors que nous sommes en pleine crise de régime ivoirienne, en avril 2011, cet homme apprend que des mesures restrictives ont été prises contre lui sur décision du Conseil européen. Ses fonds sont notamment gelés . En effet, son nom a été inscrit sur un tableau de personnes nécessitant de telles dispositions(1), avec la mention de motifs suivante: « Président de PETRO IVOIRE, contribue au financement de l’administration illégitime de M. Laurent Gbagbo ».

Le 27 mai, M. Morokro demande au Conseil une justification. Ne voyant pas de réponse venir, il s’impatiente, ce qui est compréhensible dans une telle situation… et finit par saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) trois semaines plus tard.

Il peut respirer, celle-ci vient d’annuler vendredi dernier la décision du Conseil, en ce qui le concerne tout de moins.

Des griefs trop légers

Dans son mémoire en défense, le Conseil s’est justifié de sa décision en invoquant, selon l’arrêt(2), ceci: « le requérant est un chef d’entreprise influent et un acteur important de la vie économique à Abidjan […] il aurait contribué, par ses relations et ses conseils, à la réalisation de la politique énergétique du gouvernement illégitime de M. Gbagbo […] il aurait livré du carburant à celui-ci ».

Est-ce suffisant pour être considéré comme contribuant au « financement de l’administration illégitime de M. Laurent Gbagbo » comme l’affirmait précédemment le tableau du Conseil ? Non, répond la Cour de Luxembourg.

L’argument n’est d’autant pas plus recevable qu’il a été produit pour la première fois devant le juge communautaire, au lieu d’être d’abord invoqué à la personne concernée. De jurisprudence constante, même s’il avait été valable sur le fond, il ne l’aurait donc pas été sur la forme(3).

Et insuffisamment motivés

La Cour le rappelle, « l’obligation de motivation constitue le corollaire du principe de respect des droits de la défense ».

En l’espèce, le Conseil n’a jamais vraiment motivé sa décision face à M. Morokro, qui pourtant avait demandé le 27 mai communication de l’ensemble des éléments à charge, afin de comprendre pourquoi son nom figurait sur les listes de gens envers qui il fallait prendre des mesures restrictives. Il avait reçu une réponse le 15 juillet, dans laquelle le Conseil se bornait, en substance, « à fournir au requérant des extraits des propositions d’inscription de son nom sur lesdites listes, et à indiquer que cette inscription avait été effectuée sur cette base. Ces documents ne [comportaient] cependant aucun élément supplémentaire, s’agissant des motifs sur lesquels [était] fondée cette inscription », selon l’arrêt.

Il aura fallu à M. Morokro 5 mois pour se sortir de cet imbroglio…
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(1) Décision 2011/221/PESC du Conseil du 6 avr. 2011 modifiant la décision 2010/656/PESC renouvelant les mesures restrictives instaurées à l’encontre de la Côte d’Ivoire.
(2) CJUE, 16 sept. 2011, T 316-11, Kadio Morokro c/ Conseil.
(3) CJUE, 28 fév. 2008, C-17/07 P, Neirinck c/ Commission.

Source: http://www.lextimes.fr/4.aspx?sr=8024

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