Le chocolat a toujours un arrière-goût d’exploitation

Par Jessica Dacey, swissinfo.ch

En septembre 2001, huit grands acteurs de l’industrie du chocolat et du cacao se sont engagés à combattre le travail des enfants dans le cadre du protocole Harkin-Engel. Parmi eux, les Suisses Nestlé et Barry Callebaut. Dix ans plus tard, ils essuient les critiques des ONG.

Ces acteurs n’en ont pas fait assez et le protocole n’a pas été appliqué de manière adéquate. Il s’agit maintenant de le rendre légalement contraignant, juge la coalition internationale d’ONG regroupées dans le cadre de la «10-Campaign».

Pour ces ONG, les pays importateurs doivent assumer leur responsabilité en forçant les entreprises actives dans ce secteur à subir des contrôles indépendants portant sur leurs processus de production.

Le principal objectif du protocole portait sur «l’élimination des pires formes de travail des enfants» dans les secteurs cacaotiers du Ghana et de Côte d’Ivoire. On parle ici du trafic d’enfants et du travail forcé. Les entreprises ont accepté d’étendre les programmes de prévention du travail des enfants dans les pays producteurs de cacao. Mais les résultats n’ont pas été atteints, explique Flurina Doppler, de la Déclaration de Berne, qui participe à la campagne.

Flurina Doppler cite un rapport de la Tulane University daté de cette année. Le gouvernement américain a mandaté cette université pour le suivi de la mise en application du protocole. Dans ce rapport, elle constate que les entreprises concernées n’ont appliqué de manière satisfaisante aucun des six objectifs du protocole.

Très faibles progrès enregistrés

«On a pu constater certains progrès. Le problème du travail des enfants a été admis et reconnu. Il était nié et ignoré par le passé. Mais la situation générale ne s’est pas améliorée de manière significative», explique Flurina Doppler.

Les financements de l’industrie manquent et les standards de l’Organisation internationale du travail (OIT) appliqués au secteur cacaotier en Côte d’Ivoire et au Ghana n’ont été que partiellement développés, selon le rapport.

Aujourd’hui, 60% de la production mondiale de cacao vient d’Afrique de l’Ouest. Et le gros de la récolte des fèves provient de Côte d’Ivoire. Un pays où les abus en matière de travail des enfants sont un réel problème. Le rapport de la Tulane University estime que quelque 1,8 millions d’enfants (de moins de 15 ans) travaillent dans l’industrie de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana.

De son côté, Nestlé a souligné à swissinfo.ch les progrès réalisés depuis 2001, avec la création de l’International cocoa initiative (ICI) – un des objectifs du protocole – destinée à promouvoir des pratiques de travail responsables. Nestlé souligne aussi le «soutien» réaffirmé en 2010 de la part des entreprises signataires à un cadre d’action nouveau lié au protocole.

Un exercice de relations publiques

Dans la période qui a précédé le dixième anniversaire de ce même protocole, ONG et industrie ont mis en branle leur machine de communication.

Dans un geste que la Déclaration de Berne qualifie d’«exercice de relations publiques», les principaux acteurs de l’industrie cacaotière et chocolatière ont promis 2 millions de dollars pour un projet conduit par l’OIT destiné à combattre le travail des enfants dans les communautés cultivatrices du cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire.

Ce projet prévoit de renforcer la capacité des gouvernements et des agriculteurs à rejoindre ce combat et à soutenir le développement de systèmes de contrôle au sein même des communautés.

«Cet accord historique s’appuie sur notre compréhension claire de l’enjeu mondial du travail des enfants dans l’agriculture», a indiqué au début de ce mois Constance Thomas, porte-parole de l’OIT.

Pour sa part, la Déclaration de Berne, qui tient le registre des pratiques des entreprises en matière de commerce équitable du café et du cacao, juge qu’il ne s’agit «ni d’un accord historique ni d’un engagement réel».

Flurina Doppler considère que les 2 millions de dollars promis sont «bien faibles» comparés aux budgets marketing combinés de 8,5 milliards d’entreprises comme Mars, Ferrero, Cadbury, Nestlé et Hershey’s.

Nestlé rétorque en soulignant son investissement à hauteur de 110 millions de francs dans sa nouvelles usine de cacao ouverte en 2009 afin d’aller dans le sens de la promotion d’une offre durable de cacao.

Clooney appelé à la rescousse

Le café est aussi dans le collimateur des ONG. De Solidar, par exemple, une organisation suisse qui cible les producteurs ces dernières semaines. Nespresso, appartenant à Nestlé, s’est retrouvée aux prises avec une vidéo sur You Tube qui appelle la marque à passer aux capsules équitables. Une vidéo vues par 600’000 personnes en quelques jours.

Dans une parodie de pub Nespresso, un acteur incarnant George Clooney évite de justesse un piano mais pas la marque en question. Le public est appelé à envoyer des messages au véritable Clooney via le site de Solidar, qui juge que ce dernier a le pouvoir de «changer» l’approche de Nespresso et de lui faire utiliser le café du commerce équitable. A ce stade, plus de 36’000 personnes ont déjà joué le jeu de la campagne.

Nestlé a organisé une rencontre avec Solidar afin d’évoquer la vidéo en question mais, sollicité par swissinfo.ch, le géant de l’alimentaire a décliné tout commentaire.

Solidar considère que pour le prix de 50 centimes par capsule, le consommateur est en droit d’exiger le respect des règles du commerce équitable. L’ONG prévoit d’ailleurs d’élargir sa campagne à l’entier du secteur de la fabrication du café.

«Il est clair que si le grand public est conscient des mauvaises conditions de travail des cultivateurs, il en résultera une pression indubitable sur des multinationales comme Nestlé. Cela aura un impact sur les attentes des consommateurs, qui ne veulent pas d’un arrière-goût d’exploitation dans leur café», assure Alexandre Mariéthoz, porte-parole de l’ONG.

Jessica Dacey, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Pierre-François Besson)

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