Banny met en garde contre une autre guerre « Une victoire par la force ne peut être définitive »

Séances photo, tapes amicales, rire. Et vives émotions suscitées par l’interprétation du légendaire chant « le travail de mille générations » par soixante enfants représentant les soixante ethnies de la Côte d’Ivoire. Ce sont là les dernières notes de la cérémonie d’installation officielle de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, qui s’est tenue hier mercredi 28 septembre à la Fondation Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro. Une scène qui rappelle l’effusion de joie observée à la fin de la table ronde de Linas-Marcoussis en janvier 2003. La cérémonie en elle-même ne fut pourtant pas une fête. Elle était par trop solennelle, comme pour dire sans doute que l’œuvre de réconciliation ne sera pas un jeu, un amusement. Avant ce chant distillé par les tout-petits, le public, sérieux comme dans une cathédrale, a eu droit à l’investiture proprement dite des membres de la commission, excepté Didier Drogba, absent. Puis au traditionnel akwaba du maire Kouakou Gnrangbé, suivi d’extraits de discours de feu Félix Houphouët-Boigny. Le premier président de la Côte d’Ivoire s’est en effet invité à la cérémonie par la magie des ondes. « La paix par la force est sans lendemain » ou encore « la paix que nous voulons, c’est la paix qui se construit par des actes et non par des mots », a conseillé le défunt sage de Yamoussoukro, dans des extraits sélectionnés. Quand il prend la parole, le président de la Commission réconciliation, Charles Konan Banny, va mettre les Ivoiriens en garde contre le risque d’une rechute s’ils s’amusent à ruser avec la réconciliation. « Désarmons donc aujourd’hui nos haines, faute de quoi nous nous acheminons à grands pas vers une guerre de cent ans !», a-t-il prévenu. A la suite d’Houphouët-Boigny, qui disait que « la paix par la force est sans lendemain », Banny a souligné qu’ « aucune victoire par la force ne peut être tenue pour définitive car le vaincu d’aujourd’hui fourbira ses armes dans l’espoir de devenir le vainqueur de demain ». Et d’ajouter que « c’est ainsi que s’installe l’escalade ». Pour le président de la commission réconciliation, il n’y aura pas de paix durable aussi longtemps que les Ivoiriens ne répondront avec exactitude à deux questions, dont celle relative à la citoyenneté ivoirienne. Pour lui, le mal dont souffre la Côte d’Ivoire trouve en partie son origine dans la question identitaire et les solutions biaisées qui y ont été apportées. « A cette question, les dénis d’identité et de citoyenneté, le refus de l’intégration et la politique de la citadelle assiégée ont servi de simulacre de réponse », a dit le Desmond Tutu ivoirien, non sans tirer la sonnette d’alarme si aucune solution n’est trouvée à l’équation identitaire. « A trop différer la résolution du problème, nous courons le risque de le voir s’aggraver », a-t-il averti.

OUATTARA INTERPELLE LES MEDIAS

Afin de transformer l’essai, Banny a par ailleurs invité les Ivoiriens à tirer des leçons des échecs du passé. « Les déclarations de bonnes intentions ne doivent pas nous faire oublier que nous ne sommes pas à notre premier coup d’essai. Le travail accompli dans les années précédentes n’a pas empêché l’intrusion de la violence dans le débat politique(…) Que faire pour que cette autre initiative n’aboutisse pas à la même impasse ? », a-t-il déclaré. Pour que l’initiative soit un succès, le président de la commission réconciliation a sa petite idée : « Il faut rechercher la vérité sans tabou, sans entrave ni faux-fuyant ni hypocrisie ». Il préconise également un « dialogue franc et sincère », qui n’exclura personne. S’il promet que sa mission ne laissera pas place à la vengeance, il ajoute aussitôt que « la commission n’est en aucun cas une instance dotée du pouvoir d’amnistie et d’absolution». Mieux, s’engage-t-il, « il n’y aura pas d’interférence avec la justice, qui suivra son cours ». Banny a par ailleurs prévenu que la mission ne saurait celle d’un seul homme ; elle doit être une œuvre collective, engageant chaque Ivoirien. « Nous devons nous persuader que les techniques les plus savantes ne seront d’aucun secours si les populations qui doivent être réconciliées ne se sentent pas concernées par l’opération », a-t-il interpellé le public. Pour sa part, le président de la République, Alassane Ouattara, a mis le doigt sur les questions qu’il aimerait voir examinées par la commission : les questions identitaires, l’immigration, le foncier rural, les représailles perpétrées sur les populations. Il a également insisté sur le devoir de justice, qu’il estime être la priorité. Afin que l’initiative soit couronnée de succès, Ouattara a appelé les Ivoiriens à tirer les leçons des échecs précédents et surtout à « affronter (leur) histoire » de pays fondé sur la diversité. « Malgré notre bonne foi », nous n’avons pas réussi à chasser les démons de la haine et de la division », a-t-il déploré, avant d’ajouter que la réconciliation, comme la paix, n’est pas un vain mot mais un processus qui se construit dans la durée. Pour y parvenir, il a pratiquement supplié les médias à y adhérer.

Assane NIADA, envoyé spécial
L’Inter

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