En Côte d’Ivoire « Il ne peut y avoir réconciliation que si les 2 parties reconnaissent leurs torts »

(Le Monde)

Cinq mois après la fin des affrontements entre partisans de Laurent Gbagbo et soutiens d’Alassane Ouattara, la société ivoirienne reste profondément divisée. Si « la réconciliation nationale est encore à faire », la mise en place mercredi 28 septembre d’une Commission dialogue, vérité et réconciliation devrait aider la Côte d’Ivoire à « prendre la voie de la reconstruction » pour Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Comment va fonctionner cette Commission ?

Nous avons peu d’informations sur son fonctionnement futur. Ce qui est sûr, c’est qu’elle travaillera main dans la main avec les tribunaux ivoiriens. Si la réussite du plan de réconciliation en Afrique du Sud à la fin de l’apartheid constitue un modèle, la dimension juridique devrait être plus importante en Côte d’Ivoire. La Commission vérité et réconciliation, créée par Nelson Mandela et Desmond Tutu, fonctionnait ainsi : ceux qui venaient avouer de manière exhaustive leurs exactions devant les membres de la commission étaient amnistiés. En Côte d’Ivoire, ce ne sera pas une « commission pardon » calquée sur ce système, car le schéma n’est pas aussi simple. Les deux camps ont commis des crimes et doivent les avouer, alors qu’en Afrique du Sud, il y avait les bourreaux d’un côté, et les victimes de l’autre. Dans le cas ivoirien, le pays s’est déchiré et il ne peut y avoir réconciliation que si les deux parties reconnaissent leurs torts. Et l’important, c’est que la Commission n’enterre pas ces dossiers sous des prétextes politiques, sinon elle n’aura aucune crédibilité aux yeux des Ivoiriens.

Qui siège dans cette commission ?

La composition de cette commission est relativement intelligente. Son président, l’ancien premier ministre Charles Konan Banny, a montré à plusieurs reprises par le passé qu’il est un homme de compromis. Il a une vraie légitimité, au moins au point de vue politique. Il a eu l’intelligence de mettre dans la commission à la fois des autorités morales et religieuses, des représentants des grandes régions, et des personnes emblématiques comme le footballeur Didier Drogba, véritable idole de la société ivoirienne. De plus, il a eu l’habileté de placer des représentants de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui a joué un rôle important dans la crise.

La réconciliation en Côte d’Ivoire est-elle possible à brève échéance?

Il ne faut pas négliger l’effet d’annonce dans cette volonté politique. Je pense que cette Commission est effectivement importante, j’ai milité pour sa création, mais il faut aussi raison garder : nous sommes devant un pays qui a aussi de nombreux chantiers, le processus d’auditions prend du temps, et la réconciliation nationale ne va pas se faire du jour au lendemain. Je pense que pour rester légitime, la Commission devrait donner d’ici à six mois ses premières conclusions, en donnant publiquement la liste des crimes qu’elle a recensés.

Pensez-vous que cette Commission pourra également être entendue en dehors de la capitale ?

La Côte d’Ivoire est un pays semi-développé, et c’est vrai qu’il n’y a pas autant d’infrastructures à Abidjan que dans le reste du pays. Si les auditions sont publiques – ce que j’espère, car cette dimension joue un rôle décisif dans la catharsis nationale – et retransmises par exemple à la télévision, il y a un risque pour que les populations des villages ne participent pas vraiment à ce mouvement de réconciliation nationale. Or, c’est indispensable pour que la catharsis soit nationale, et que les motifs de rancœur soient apaisés. La commission va devoir se pencher sur cet enjeu.

Des élections législatives doivent être organisées le 11 décembre. Pensez-vous que la Côte d’Ivoire est prête à voter de nouveau, six mois après la fin des violences ?

Quand j’ai appris que des élections seraient organisées en décembre, j’ai trouvé cela complètement irréaliste. Les élections dans le pays sont toujours un moment de tension, alors le risque est d’autant plus important que nous sortons d’une élection présidentielle extrêmement controversée. Même s’il n’existe plus de chasse aux sorcières par rapport aux opposants, des interrogations subsistent : qui pourra se présenter dans l’opposition, alors que des personnes sont toujours détenues ou exilées dans les pays voisins ? Or, il faut absolument que l’opposition, représentée par le parti de l’ancien président Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), puisse se présenter librement avec une totale légitimité.

Mais il ne faut pas oublier non plus que M. Ouattara possède quand même une certaine légitimité, des projets, un soutien international. Je pense qu’il y a des risques pour que certains en profitent pour essayer de souffler sur la braise, mais je ne crois pas que nous soyons dans la même configuration qu’avant. Les Ivoiriens sont lassés de ces conflits, et je crois que la Côte d’Ivoire est vraiment à l’heure de la reconstruction, et que ces élections s’inscriront dans ce cadre.

Charlotte Chabas
Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) | LEMONDE.FR | 28.09.11 | 13h47 • Mis à jour le 28.09.11 | 16h11

© Copyright Le Monde

Commentaires Facebook