L’ambassadeur Allou Eugène, ex-directeur du protocole de Gbagbo: « Je ne renie pas Gbagbo, mais souvenons-nous de Taylor »

L’ancien chef de protocole de Gbagbo en a gros sur le cœur. Il n’est pas du tout d’accord avec l’attitude de ses camarades du FPI, à qui il reproche un manque criant d’humilité. Il les exhorte à travers cette interview à, non seulement réconnaître définitivement Alassane Ouattara comme Président de la Côte d’Ivoire, mais aussi d’œuvrer pour le retour de la paix et de la concorde en Côte d’Ivoire.

Le Patriote : Monsieur l’Ambassadeur, depuis quelques temps, vous faites des déclarations, dénonçant l’attitude de certains de vos camarades du FPI. On a le sentiment que vous cherchez un poste.
Allou Eugène : Vous me donnez l’occasion de préciser quelqu e chose. Ceux qui écrivent que je cherche un poste, se trompent. Je ne cherche pas de poste. Je suis actuellement ambassadeur, fonctionnaire à la disposition du ministère des Affaires étrangères. C’est à ce titre que l’Etat de Côte d’Ivoire continue de payer mon salaire. J’ai donc un emploi dans un ministère. J’ai déjà servi l’Etat au plus haut niveau. C’est pour cela que j’obéirai à ce que l’Etat me dira de faire. Rien ne me fait courir ou plutôt ce qui me fait courir, c’est comment faire pour que le gouvernement actuel puisse mettre de l’eau dans son vin afin que nos amis qui sont actuellement en prison soient éventuellement libérés. Ma démarche, de ce point de vue n’est pas celle adoptée par les autres.

En ce qui concerne Gbagbo, mon avis est clair : la communauté internationale a décidé d’envoyer un panel pour lui demander de quitter le pouvoir. Il a résisté, il a continué sa lutte. Cette communauté, par le biais de l’ONU, a décidé d’utiliser la force. Il a été enlevé par la force et aujourd’hui, il est prisonnier. Ce que je fais comprendre à nos camarades, c’est qu’il n’est plus le Président de la République. Il faut que nous acceptions cette réalité, qui est que le président de la République, c’est bien Alassane Ouattara. Aujourd’hui, Gbagbo est en prison, mais il est surtout un prisonnier de la communauté internationale. Du coup, notre démarche, c’est paritairement pour ceux qui étaient à la Pergola et ceux qui sont en exil. Je crois que ce qui devrait préoccuper ceux qui sont en exil, c’est de chercher comment faire pour revenir dans leur pays. Il ne s’agit pas pour eux, qui sont partis d’eux-mêmes – il faut reconnaître que, au regard de la situation qui prévalait en ce moment-là, c’est volontairement que les uns et les autres se sont retrouvés en exil –, de poser des conditions pour leur retour. Leur démarche serait de venir constater d’eux-mêmes s’il y a de l’insécurité dans leur pays. C’est pour cela que je leur demande de faire moins de bruit. Peut-être que dans le silence, par notre comportement, on peut réussir leur retour. Ce n’est pas en posant des conditions. Je ne trouve pas sage de poser des conditions. Je recommande donc la sagesse à mes camarades.

LP : Au lieu de tenir ce discours dans la presse, pourquoi n’allez-vous pas vers vos camarades en exil ? Vous auriez même pu faire ces propositions au Comité central, par exemple.
AE : Depuis que je suis là, il n’y a pas eu de Comité central. Je n’ai pas non plus été invité à Accra. Vous savez, le problème n’est pas à ce niveau. Quand tu fais partie d’un groupe et que tu vois que les gens sont en train de déraper, il faut vite agir. Il ne faut pas attendre une réunion avant d’intervenir, sinon le dérapage peut prendre des proportions graves. Quand j’ai constaté que les camarades ont commencé à exagérer, je suis intervenu en tant que responsable de ce parti. Personne n’ignore que je suis venu de l’Italie en 1990, le 30 mai, pour me mettre à la disposition du FPI, sans salaire. Laurent Gbagbo disait qu’il peut nommer qui il veut. C’est la même chose que dit le Président Ouattara. Je ne peux rester silencieux si je vois que les camarades persistent dans l’erreur. Il faut arrêter de faire beaucoup de bruits. Vous savez bien que la direction du parti est gérée de façon intérimaire, ce qui est du reste normal. Mais on oublie que ceux qui y sont étaient pour la plupart détenus à la Pregola. Amani N’guessan, Dano Djédjé, Odette Lorougnon… C’est par la volonté du pouvoir qu’ils sont aujourd’hui dehors. Ils auraient pu refuser ce cadeau et dire « nous ne sortons pas tant que Gbagbo n’est pas libéré ». Nous sommes dans une situation difficile. Miaka joue un rôle important. Mais s’il n’y pas de réunion, comment allons-nous intervenir ? Je lui ai dit que son initiative d’aller à Accra était bonne, mais je lui ai conseillé de commencer d’abord par l’intérieur, par vérifier nos structures de base, voir dans quel état elles se trouvent. A mon avis, il aurait dû commencer par-là. Mais je lui ai surtout dit de dire à ceux qui sont à Accra de faire moins de bruit et que le parti se dirige à partir d’ici. Les gens savent le rôle que j’ai joué au parti. Je connais bien le FPI. J’étais directeur de l’administration, secrétaire national chargé de l’organisation des manifestations. Je connais donc le parti.

LP : Mais ces « bruits » dont vous parlez, c’est surtout les journaux proches de votre parti qui vous reprochent d’en faire l’écho.
AE : Non, quand je parle, ils ne doivent pas intervenir. Parce que j’ai dit qu’il n’y a pas eu une réunion où je pouvais m’exprimer, alors qu’eux, ils ont les journaux pour écrire. Quand je suis venu, je ne disais rien. J’attendais qu’on convoque une réunion de la direction. Quand ils me répondent par la presse, je réponds aussi par la presse. Je ne renie pas Gbagbo. Mais je voudrais simplement que les gens se souviennent de Taylor, dont les partisans continuent encore aujourd’hui de réclamer sa libération. Ce n’est pas en criant « libérez Gbagbo » qu’on va le libérer. Il faut qu’on soit réaliste.

LP : comment, selon vous, vos camarades devraient-ils se comporter ?
AE : C’est de reconnaître avant tout celui qui est là comme Président de la République. Parce que leur façon de parler depuis Accra, donne l’impression qu’ils ont d’autres idées. Je le répète, il faut reconnaître que Ouattara est le président de la République, ensuite, il faut faire profil bas, demander un rendez-vous et poser les problèmes. Nous sommes en position de faiblesse et il faut avoir un comportement de celui qui est faible. Faisons le sacrifice de reconnaître notre défaite. Evitons que la Côte d’Ivoire devienne une république de contestation. Vous savez, je viens de Mama pour voir dans quel état se trouve la résidence de Gbagbo. Je pensais que ceux qui disent qu’ils aiment Gbagbo allaient donner une bonne allure à la résidence. Malheureusement, ils n’ont rien fait pour l’entretenir. Quatre mois à peine ! Cela veut dire que même ceux qui habitent Mama commencent déjà à l’oublier.

LP : quelles actions menez-vous pour obtenir la libération de Gbagbo ?
AE : J’ai appris que le Président Ouattara a déjà saisi la CPI, cela veut dire que le dossier nous dépasse. Il appartient donc à ses avocats de faire la demande appropriée, bien entendu avec notre appui.

LP : Vous dites que Gbagbo n’a gagné ni les élections ni la guerre. Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ?
AE : moi j’étais loin. Le contact n’était pas régulier et puis la crise a pris une proportion grave. Mais moi, si j’étais là, je lui aurais dit ce que je pensais. Peut être qu’il n’allait pas m’écouter. Quand j’ai vu les massacres de Duékoué, j’ai pensé que Laurent Gbagbo allait céder. Après j’ai vu que les gens sont arrivés à Daloa qui est un grande base militaire. Pour moi, c’était des signes. Si j’étais à ses côtés, je lui aurais dit de laisser. Si j’avais dit cela avant, rien n’allais changer. Les présidents du panel l’ont fait sans succès. Ouattara lui-même lui a tendu la main. Il n’a pas voulu écouter quelqu’un.

LP : Quelles étaient vos relations avec Gbagbo avant sa chute. On disait que vous étiez en disgrâce ?
EA : Moi j’étais un fonctionnaire. Je n’ai pas protesté quand je devrais quitter mon poste de directeur de protocole.

LP : On vous a pourtant vu pleurer…
AE : Ce n’était pas pour le poste. J’avais dit que quand un fils quitte son père, il pleure. Les gens avaient mal interprété ma pensée. C’est normal que je ressente une douleur pour un départ qui n’était pas prévu. Dans mon analyse, je me suis dit que je devrais rester pour organiser les meetings, la campagne et partir après. Je m’interrogeais. Je n’étais pas en disgrâce. Je me sentais au repos alors que j’avais beaucoup de chose à faire ici auprès de lui. C’était la période difficile. C’était normal que j’aie des ressentiments.

LP : Comment sont justement vos rapport avec Nady Bamba, qui aurait été à la base de votre départ?
AE : Je lui demande de dire à son journal d’arrêter de semer la haine entre les Ivoiriens. J’ai fait trois ans au Cameroun. La dernière fois qu’elle m’a appelé, ça devrait être le 10 juin 2011, après trois ans. Que m’a-t-elle demandé ? Elle me dit qu’il semble que je veux rentrer au pays, j’ai répondu oui et elle m’a conseillé d’aller en exil. J’ai dit non, que je ne voulais pas être dans la position de quelqu’un qui a trahi l’Etat de Côte d’Ivoire. Actuellement, elle est en exil. Mais tous ses parents sont RDR. C’est le RDR qui est au pouvoir. Elle peut actionner ses parents pour que même si on ne libère pas Gbagbo, on libère les autres. Elle pourrait même, pendant qu’on y est, chercher à habiter Korhogo, à côté de son mari. Vous savez, ça m’étonnerait fort que Gbagbo m’éloigne pour faire plaisir à Nady. Ce serait très grave. Mais je ne le crois pas.

LP : A vous entendre, on a le sentiment que vous êtes meurtri par ce que le Temps, le journal de Nady, a écrit à propos de votre position sur le rappel, en avril dernier, par Ouattara des ambassadeurs accrédités dans certains pays.
AE : Vous savez, j’assume ce que j’avais dit à l’époque sur cette décision du président Ouattara. Je disais qu’en avril, en étant à l’hôtel du Golf, il n’avait pas les symboles de l’Etat en main. Contrairement à Gbagbo qui était au palais. Donc il ne pouvait pas révoquer ou nommer un ambassadeur. Mais les choses sont autrement aujourd’hui. Il est bel et bien le Président de la République. J’ai dit que si l’arbre tombe, nous tous on tombait. Aujourd’hui Gbagbo est tombé. Nous sommes tous tombés. Mon discours est toujours valable. Quand on tombe, on a une façon de parler. Les gens font trop de bruits. Ce n’est pas normal. Je viens de mon village, notre commune s’appelle Bayota, c’est la désolation. Les gens ont voulu résister pourtant je leur avais dit de coopérer. Ils ne m’ont pas écouté. Le village vit un désastre. Comment quelqu’un peut s’organiser pour reprendre une telle barbarie. Ce n’est pas possible. Les gens dont les villages n’ont pas été touchés peuvent parler comme cela, pas nous autres. Chez moi, les gens ont passé la nuit dans la brousse. C’est terrible. Ceux là, personne ne peut leur parler encore de guerre aujourd’hui. On commence la guerre mais quand elle doit finir, elle doit finir définitivement. Il faut la paix. Pour moi, c’est la paix qui est fondamentale, parce que la réconciliation n’est pas obligatoire puisque moi par exemple, j’ai des voisins que je ne connais pas. Mais ils se sont agenouillés pour qu’on ne brûle pas ma maison. Les gens ont vécu un calvaire. Quand Gbagbo était dans l’opposition, il disait que c’est l’opposition qui fait qu’il y a la paix. Aujourd’hui, comportons nous de sorte qu’il y ait la paix.

LP : êtes-vous pour ou contre la participation de votre parti aux élections législatives ?
AE : Nous devons aller aux élections législatives. Utilisons le bon ton. Il y a une façon de négocier tout cela. On peut par exemple humblement demander au Président de la République d’aider nos potentiels candidats et tous les autres qui sont au Ghana ou ailleurs à rentrer au pays. Pensons à ceux qui sont encore en prison.

LP : Vous avez été directeur du protocole d’Etat, vous connaissez mieux le couple présidentiel. Il se raconte que l’ex-chef de l’Etat aurait été influencé par son épouse. Vous qui connaissez l’homme, Laurent Gbagbo est-il un homme influençable ?
AE : je ne me suis jamais intéressé à la vie intime de Laurent Gbagbo.

LP : Plus qu’une épouse, Simone est une camarade du parti aussi.
AE : je n’ai pas de commentaire à faire sur la question. Elle a été député. Tout le monde sait comment elle parlait à l’Assemblé nationale, comment elle menait les débats. On peut la juger par rapport à ce qu’elle faisait. Pourquoi veut-on la juger par ce que nous ne savons pas. Personne ne peut être témoin de cela. Tout le monde connaît Mme Gbagbo, elle a été responsable du FPI. Elle a animé des meetings partout. Elle faisait ses déclarations elle-même. On peut la juger par rapport à cela. Gbagbo n’est pas quelqu’un qu’on peut influencer comme cela. Tout le monde le connaît. Il a assumé jusqu’au dernier moment. Cela me rappelle quelque chose. Chaque fois qu’il y a un problème, on accuse l’entourage. Ce n’est pas mon avis.

LP : Qu’est-ce qui n’a pas marché selon vous au FPI pour que vous perdez le pouvoir ?
AE : Ne faisons pas un débat qui est déjà dépassé. Nous sommes à une autre phase. Gbagbo a pris le pouvoir en 2000. En 2001, il y a eu tentative de coup d’Etat. Il y a eu ensuite 2002. A partir de là, on a effectué de nombreux voyages pour signer tous ces accords qui nous indiquaient comment nous devrions nous comporter pour avoir la paix. Nous sommes dans une nouvelle dynamique de la vie de la Côte d’Ivoire. Nous sommes aujourd’hui en 2011, il y a eu les élections, il y a eu des faits graves et ensuite on veut aller à l’apaisement, on veut aller à la réconciliation. Les gens font des démarches dans ce sens. Il faudrait qu’on s’engage dans cette voie de la paix. C’est ce qui est ma préoccupation. Je n’apprécie pas le chemin que les autres veulent emprunter pour y aller. Il faut que nous soyons ensemble avec les autres pour la réconciliation. En 2002, Boga Doudou a connu la mort, une mort atroce. Mais deux ou trois ministres lui ont succédé alors qu’il n’avait pas encore été enterré. Pourquoi ? Il était mort pour la cause. Mais le poste ne pouvait être vaquant. Cela veut dire que l’Etat a ses raisons qui dépassent les sentiments des individus. Selon les sages, quand quelqu’un meurt, il faut l’enterrer avant de partager ses biens, ce qui n’est pas le cas pour l’Etat. L’Etat doit fonctionner. C’est pour cela que nous devons comprendre que notre patron, notre frère, n’est plus là. C’est l’Etat. Ne réagissons pas en termes de sentiments pour dire « comme c’était mon frère, je dois pleurer tous les jours et ne pas respecter celui qui est là ». Je dis non. Dès que quelque chose t’arrive, on te remplace immédiatement parce qu’il faut que l’Etat fonctionne. C’est de cela qu’il s’agit. Il ne s’agit pas d’amour. Un autre point, on me traite de Judas. Soyons sérieux, pour la paix et pour la réconciliation. Le général Guéi est mort, mais son fils était Conseiller de Gbagbo. Gbagbo a envoyé des délégations à Man pour la réconciliation. Alors que les gens accusaient Gbagbo d’être le tueur de Guéi. Son fils était Conseiller pas parce qu’il avait besoin d’argent, mais sa présence auprès de Gbagbo pouvait apaiser ses parents. C’est cela la vie politique. Quand je venais de l’Italie, tous mes amis m’avaient conseillé le contraire. En 1990, personne ne savait que le FPI prendrait le pouvoir. J’ai été le seul à regagner le pays depuis l’Europe. Tous mes amis disaient que le moment n’était pas opportun. Moi, je suis venu, j’ai assumé. Je n’ai jamais pleurniché pour demander quelque chose. On mangeait de la banane braisée. Je connais beaucoup de cadres du RDR. Je pouvais me cacher pour aller les voir. Il s’agit d’un problème sérieux où nos parents ont souffert. Ceux qui ont l’intention de tenter une aventure, je leur conseil d’arrêter. Parce que ce qui est arrivé chez nous est terrible. Moi, mon sport, c’est la marche et la chasse. J’avais oublié que les gens étaient traumatisés. Je suis allé à la chasse avec un fusil qui fait du bruit. Lorsque le coup est parti, tout le village a fui. Vous vous rendez compte. On doit aller à la paix sereinement. Et réapprendre là où on a fait échec, pour rebondir.

Bakary Nimaga, Yves-M. Abiet et Kigbafory Inza
Source: Le Patriote

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