La présidentielle de mardi, nouveau test de la stabilité du Liberia

Les Libériens, toujours hantés par le souvenir de la guerre civile, comptent sur l’élection présidentielle de mardi pour confirmer leur ancrage dans la paix et le développement.

La présidente Ellen Johnson-Sirleaf, récompensée vendredi du prix Nobel de la Paix, est opposée à 15 candidats dont Winston Tubman, un ancien diplomate de l’Onu qui se dit certain de gagner.

Il s’agira de la deuxième présidentielle depuis la fin de la guerre civile, en 2003. Elle a fait 200.000 morts et laissé le Liberia en ruine mais des entreprises recommencent à exploiter les ressources pétrolières en mer et à produire du minerai de fer.

Pour Rufus Yarmie, un habitant de Tappita dans le nord-est du Liberia, l’important n’est pas le nom du vainqueur mais le bon déroulement de l’élection.

« Ce qui nous intéresse, c’est la paix et le fait que toutes les parties acceptent les résultats », dit-il.

Tubman et Johnson-Sirleaf sont tous deux issus des classes sociales les plus élevées de la société. Tubman est un Libérien d’origine américaine, ceux qui dominent le pays depuis sa création en 1847.

Ils pourraient s’opposer à l’occasion d’un deuxième tour.

« CERTAIN À 100% »

Neveu de l’ancien président William Tubman, il a fait ses études à l’université américaine d’Harvard et entamé une carrière de diplomate à l’Onu.

Il a pour allié l’ancienne vedette de football George Weah, unique Africain vainqueur du Ballon d’Or (1995), qui avait été battu au deuxième tour par Johnson-Sirleaf en 2005.

Tubman assure qu’il acceptera les résultats du scrutin mais se dit « certain à 100% » de sa victoire. Quiconque autre que lui revendiquant la victoire aura du mal à gouverner, menace-t-il.

« Ces dizaines de milliers de personnes que vous avez vues manifester à Monrovia et dans d’autres villes, qui criaient leur soutien avec passion, n’accepteront pas d’être dupées », a-t-il dit à Reuters.

Dans les rues de la capitale Monrovia, tout rappelle la guerre civile qui a duré 14 ans. Ici un véhicule blindé de l’Onu devant le ministère des Affaires étrangères, là des blessés de guerre qui mendient, ailleurs des façades criblées de balles.

Le Conseil de sécurité l’Onu a prolongé le mois dernier la mission de maintien de la paix au Liberia, forte de 9.200 casques bleus, observant que les crimes violents et le trafic d’armes et de drogues demeurent et que la situation en Côte d’Ivoire, à la frontière est, pose des risques d’instabilité.

VOTE DES FEMMES

« Nous nous opposerons à quiconque voudra mettre le pays en guerre », prévient Isaac Jensen, un étudiant de l’université du Liberia à Monrovia. « Nous sommes fatigués de la guerre et si quiconque pense en déclencher une, cette personne sera la première à mourir. »

Un ancien chef de guerre, Prince Johnson, se présente à l’élection et assure qu’il respectera les résultats s’il juge que le scrutin a été équitable. Ce sont les hommes de Prince Johnson qui ont, en 1990, enlevé et tué le président Samuel Doe.

Le Centre Carter, une ONG de défense des droits de l’homme, juge que la campagne a été « pleine de vie » mais note que l’opposition s’est parfois vu refuser l’utilisation de lieux publics et que le parti au pouvoir s’est servi des ressources de l’Etat pour faire campagne.

« Si Sirleaf finit par s’imposer, ce ne sera pas une victoire facile », dit Titi Ajayi, de l’ONG International crisis group.

« On ne peut pas écarter les risques de violence, surtout au vu du ton de la campagne ces dernières semaines », ajoute Ayati.

Le prix Nobel peut être un avantage pour la présidente sortante s’il lui permet d’obtenir le vote des femmes, jugent les analystes.

Leymah Gbowee, défenseur des droits de la femme récompensée elle aussi par le comité Nobel, soutient Ellen Johnson-Sirleaf.

Mais ses adversaires estiment que ce Nobel de la Paix n’est qu’une preuve supplémentaire de sa popularité à l’étranger, qui contraste selon eux avec son triste bilan domestique.

Johnson-Sirleaf, ancienne économiste de la Banque mondiale, se voit notamment reprocher d’avoir temporairement soutenu la rébellion de Charles Taylor, actuellement jugé à La Haye.

Clément Guillou pour le service français
Source: Reuters

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La présidente du Liberia, nobelisée mais face aux urnes

MONROVIA (AP) — Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue démocratiquement à la tête d’un pays d’Afrique, couronnée la semaine dernière par le prix Nobel de la paix, aura affaire à forte partie mardi lors du scrutin présidentiel au Liberia: un total de 15 challengers, dont le duo de choc formé par l’ancien diplomate Winston Tubman, épaulé par la star du football George Weah.

Mme Johnson Sirleaf, 72 ans, avait remporté la première élection post-guerre civile au Liberia, en 2005. Vendredi, ses efforts en vue de ramener la paix dans un pays ravagé par 14 années d’un conflit sanglant ont été salués par le prix Nobel de la paix. Elle le partage avec deux autres femmes, une compatriote engagée dans la défense des droits des femmes et une militante yéménite à l’heure des révoltes arabes.

A l’annonce de ce prix, la présidente du Liberia s’est dite « agréablement surprise » par le timing, à quelques jours d’un scrutin qui la voit remettre son titre en jeu: à l’heure d’aller voter, « il envoie aux Libériens le message que la paix doit prévaloir », a-t-elle estimé.

Ses rivaux ont immédiatement émis des doutes quant à l’opportunité de la récompense, et critiqué son timing. Vendredi, jour de l’annonce du Nobel, Winston Tubman et George Weah tenaient leur dernier meeting de campagne à Monrovia, attirant une des foules les plus considérables rassemblées de mémoire récente.

Ellen Johnson Sirleaf, grand-mère de six petits-enfants, a arpenté le pays sans relâche, et le Parti de l’Unité, au pouvoir, a recouvert les murs de Monrovia d’affiches et de slogans évocateurs, comme celui-ci: « Tant que l’avion ne s’est pas encore posé, ne changez pas de pilote! ».

Le Liberia dont elle a hérité sortait hagard d’un terrible conflit et manquait de tout, routes, eau, électricité, une armée digne de ce nom… En six ans, cette ancienne ministre des Finances formée à Harvard a augmenté les salaires des fonctionnaires, bâti écoles et hôpitaux, décroché financements extérieurs et remises de dette.

Mais si elle reste la favorite de la communauté internationale, ses détracteurs au Liberia sont légion: ils estiment qu’avec toute l’aide internationale dont il a bénéficié, le gouvernement aurait pu mieux faire pour rétablir les services et rebâtir les infrastructures d’un pays dévasté par la guerre.

Au Liberia, les cicatrices de la guerre civile sont toujours là: le chômage frise toujours les 80%, rares sont les habitants de Monrovia ayant l’électricité, l’eau courante ou un système d’évacuation des eaux usées digne de ce nom. La plus grande usine électrique du pays est toujours en ruines, l’autoroute principale dans un état déplorable…

« Nous avons besoin d’emplois dans ce pays, nous avons besoin de changement », décrète Wilson Willie, 37 ans, gardien de nuit et vendeur de cartes téléphoniques, qui arbore un badge Tubman-Weah.

Tubman, lui aussi membre de l’élite libérienne formée à Harvard et qui fut émissaire de l’ONU en Somalie, était arrivé en quatrième position lors du scrutin de 2005, George Weah était arrivé second. Sa présence sur le « ticket » est aujourd’hui un sérieux coup de pouce, l’ancien footballeur séduisant particulièrement la très nombreuse population jeune du pays.

La corruption, la criminalité et la lenteur des avancées en matière de réconciliation nationale pèsent lourd aussi sur la popularité de la présidente. « Elle a échoué à réconcilier la nation; réconciliation est un mot qu’Ellen n’utilise plus », souligne Charles Brumskine, ex-sénateur et candidat du Parti de la Liberté (opposition).

L’année dernière, la Commission Vérité et réconciliation, inspirée de celle mise sur pied dans l’Afrique du Sud post-apartheid, a reproché à Mme Johnson Sirleaf d’avoir un temps soutenu l’ancien chef rebelle Charles Taylor et recommandé qu’elle soit exclue de tout poste électif pendant 30 ans.

Taylor, seigneur de la guerre sanguinaire devenu président du Liberia, est actuellement jugé par la justice internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans le conflit voisin de Sierra Leone.

La paix reste toujours fragile, et le pays dépend toujours de la Mission de l’ONU au Liberia (UNMIL). Selon l’ONG International Crisis Group, la circulation illégale des armes et des mercenaires continue de faire peser une menace sur la sécurité, situation aggravée par le conflit en Côte d’Ivoire voisine. En prévision du scrutin, l’ONU a d’ailleurs envoyé des renforts aux 8.000 hommes de l’UNIMIL, et renforcé la sécurité le long de la frontière. AP

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