Requiem pour Jean-Michel Moulod – Il s’en est allé vers son destin

Par Dr. Serge-Nicolas NZI –

Par une sorte d’ironie dont seule la grande hache de l’histoire humaine a le secret, c’est au moment où nous avons le plus besoin d’un ingénieur pour réhabiliter nos routes et les ponts en lambeaux de nos différentes régions de la Côte d’Ivoire, que la Mort a décidé de nous arracher le plus audacieux de nos professionnels des ponts et chaussés.

Sa famille politique cherchait un homme de modération, qui ne traîne pas des casseroles derrière lui, un homme simple qui fait l’unanimité sur sa valeur, sa capacité d’écoute, son sens de l’Etat et capable d’aller vers les autres. C’est dans cet esprit qu’il fut porté à la tête du groupe parlementaire du PDCI-RDA, à l’assemblée nationale.

Les ivoiriens qui avaient vu de leurs yeux tant de cadavres dans les rues, pensaient qu’ils étaient définitivement insensibles à la mort. Il pensaient tous qu’aucun autre désastre sur cette terre ne pouvait les émouvoir après tant de violence, de haine et de mort sous leurs yeux.

Et pourtant le décès de Jean-Michel Moulod, nous a tous pris de cours et fut un choque pour nous tous, depuis le pays profond jusqu’à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. La mort sert aussi parfois à rassembler les vivants, elle veut ainsi nous prouver à tort et de façon prétentieuse que c’est elle qui est la vraie réalité et que c’est la vie qui est une immense illusion.

Nous sommes ici pour porter le témoignage de ceux qui observent de loin la vie politique ivoirienne et qui se sont reconnus dans l’ouverture d’esprit et la grandeur d’âme de Jean-Michel Moulod. Nous voici rassemblés dans la douleur, dans la tristesse et dans le paradoxe de l’inacceptable que l’impuissance et la résignation nous commandent d’accepter.

Mesdames et Messieurs, Chers frères et sœurs, l’homme dont la mort nous rassemble était pour beaucoup d’entre nous un frère aîné et un ami. Il était un acteur essentiel de la communauté Bassamoise et un ivoirien capable de transcender les clivages pour rencontrer l’humanité de l’autre. Il était le père attentif d’une adorable famille qui est aujourd’hui inconsolable.

C’est le village de Moosou, non loin de l’endroit même où le fleuve Comoé fait sa jonction avec la Lagune, qui a produit cet ingénieur des Ponts et chaussées qui s’est révélé à la Côte d’Ivoire comme un grand spécialiste de la gestion des infrastructures portuaires. Il était connu et reconnu pour ses innombrables qualités humaines et professionnelles.

Il a servi la Côte d’Ivoire dans un secteur où les défis et les mutations sont quotidiens. De San Pédro à Abidjan, Jean-Michel Moulod, avait donné le meilleur de lui-même pour que ces ports soient des outils modernes et performant de développement au service de la promotion des échanges entre la sous région Ouest Africaine et le reste du monde.

Député-maire de Grand-Bassam, il fût un acteur de son temps et un soldat sur le front de nos luttes économiques et sociales pour que la proximité avec la grande ville d’Abidjan soit bénéfique à la vieille cité Bassamoise. Personne ne peut douter de son courage, de sa disponibilité désintéressée et de son esprit de sacrifice pour la communauté. Seule la mort, sous une forme dans laquelle la dissimulation et la lâcheté fusionnent, pouvait venir à bout de cette force de la nature, qu’était Jean-Michel Moulod.

Si un homme de la savane comme nous, se reconnaît dans le lagunaire, qu’était, Jean-Michel Moulod, cela veut dire quelque part, que sans le vouloir il a travaillé pour que l’homme ivoirien soit le projet commun de tous les ivoiriens. Mon cher frère aîné, tous ici rassemblés, nous aimerons garder l’espoir que la mort ne se sentira plus si faible et si lâche au point de recourir à des surprises aussi médiocres pour arracher la vie et emporter un homme comme toi.

En ce jour d’obsèques, tous tes frères et sœurs en Christ, tes amis et compatriotes de la diaspora ivoirienne qui suivent de loin tes funérailles, gardons tous de toi le souvenir d’un homme de modération de conciliation ainsi qu’un militant efficace du progrès commun. Ils sont tous ici en communion avec nos parents de Grand-Bassam, de Moosou, de Bonoua et d’Ebrah pour entourer chaudement ta famille de leurs affections. Leur compassion et leur solidarité, nous rendent riches et dignes dans la grande peine qu’est ta disparition.

Oui ils sont tous rassemblés au delà des clivages sociopolitiques et unis dans la douleur de ta perte, dans la déchirure de l’ultime séparation, leur silence et leurs yeux inondés de larmes, y compris leurs sanglots, témoignent de leur affection pour toi et de l’immensité du vide que tu nous laisses.

Mon cher aîné, le recueillement dans la prière pour retrouver la paix intérieur et la raison pour assumer le deuil de ta perte, est la voie que nous indique la culture chrétienne dans laquelle tu as vécu. C’est dans la douleur que naîtra l’espoir et c’est dans l’espoir que naîtra la force dont nous aurons tous besoin pour faire face au combat délirant de la vie. Voilà la toile de fond qui caractérise le jour de tes obsèques.

Mon cher grand aîné, finalement la mort en t’enlevant à notre affection, te maintien là où notre imagination te gardera, c’est à dire au coeur de notre pensée la plus fidèle. Rien n’est gratuit dans ce bas monde.

Inconsciemment Jean-Michel Moulod, nous fait payer cher et au prix fort ce qu’il y avait de plus beau et de plus précieux en toi : la vie, tu nous laisses pantois et stoïque à la fois, glacés d’effroi depuis que la vie t’a quitté. Curieux destin. Tu nous laisses au moment où nous avons le plus besoin d’un ingénieur de ta dimension pour planifier la reconstruction de ce pays délabré qu’est devenue la Côte d’Ivoire.

Mais finalement la mort n’est-elle pas la voie qui conduit à l’immortalité ?
Si tel est le cas alors, que les portes de l’immortalité s’ouvrent pour toi afin que tu retrouves la paix, la force et surtout cette santé de fer qui te caractérisait hier encore ici bas.

En nous quittant, tu y retrouveras l’affection de ceux qui t’ont précédé dans l’éternité. Ils t’accueilleront les bras ouverts par une grande haie d’honneur pour te manifester leur joie, tu y verras de tes yeux tous tes prédécesseurs à la mairie de Grand-Bassam.

Tu diras de notre part à, Jean-Baptiste Mockey, que la liberté, l’indépendance et la souveraineté de la Côte d’ivoire, pour lesquelles il avait connu la prison en 1949 à Grand-Bassam, demeurent le rêve et le souhait majeur qui irriguent les veines de chaque ivoirien digne de ce nom. Tu diras également à, Innocent Anzouan Kacou, que nous avons retenu les leçons de discrétion et de sérénité qu’il avait inoculé à la vie politique Bassamoise, car elles sont des gages de convivialité et d’harmonie dans la vie de la cité.

Tu congratuleras le maire, Atékéblé Ablé Frédéric, de notre part en lui disant que nous avons tous appris de lui que les principes de rigueur et du management d’entreprise sont transposables dans la gestion communale. Tu n’oublieras pas de transmettre la reconnaissance de tous les ivoiriens aux fondateurs de ton village natal, nos parents Abourés de Moosou, dont tu es le digne descendant en ligne directe.

Ils veilleront tous sur toi pour que dans la grandeur de l’immortalité retrouvée tu y prépares à ton tour, notre retour vers toi, quand le moment sera venu, comme le veut le cycle naturel de la création.

Pour notre part, nous tes frères et sœurs ivoiriens, que tu laisses déboussolés dans la jungle de ce bas monde, nous redoublerons d’efforts pour poursuivre la construction du plus beau des héritages que tu nous laisses par ton engagement social, à savoir :

<< Faire de la Côte d’Ivoire, l’héritage de tous les ivoiriens, sans exclusion >>.

C’est ce qui te guidait toujours dans les réunions du groupe parlementaire du PDCI-RDA et dans les réflexions sur l’avenir de notre pays, pour sortir la Côte d’Ivoire de la fatalité et de sa descente sans fin dans les flammes de l’enfer.

Grand Moulod, nous n’avons pas pensé de sitôt que le moment viendrait où nous porterons le deuil d’un frère aîné, d’un soldat de la gestion portuaire et municipale ainsi qu’un notable, qui était comme la colonne de feux qui brûlait devant notre camp, maintenant le feu s’est éteint et nous avons tous froid. Nous sommes sans défense, parce que désormais privé de ton aura.

Mon cher frère aîné, tu représentais ce qu’il y avait de meilleur dans ta génération, c’est pourquoi les portes de l’immortalité s’ouvrent aujourd’hui pour toi.

Saint Pierre lui même quand-il te verra, se précipitera pour t’embrasser, car il sait qu’il ne trouvera pas meilleur ingénieur que toi pour s’occuper de la gestion du port d’attache de tous les bateaux qui voguent vers les portes de l’éternité.

C’est pourquoi comme par enchantement, les étoiles de nuit s’animent déjà en plein jour et se parent de leurs plus beaux atours pour t’accueillir. Tu as déjà franchi le seuil de ce panthéon qu’est la mémoire collective de cette communauté nationale ivoirienne que tu as servi avec enthousiasme, dignité, efficacité et sincérité.

Mon cher Grand Moulod, va donc vers ta destinée.
Va, va sur le chemin du retour vers les tiens.
Va, va vers l’ombre de nos cocotiers de Bassam, pour que ton aura soit toujours proche de nous.

Va, va vers cette brise légère qui souffle sur la cité balnéaire de Grand-Bassam, pour qu’elle soit toujours une ville de paix et témoin de notre soif de modernité.

Va, va dans la montagne de notre douleur pour nous ramener la pierre de notre espérance commune de dignité et de rédemption pour chaque ivoirien.
Va, Va vers la vérité et la paix éternelle.

Va, va dans les plantations de nos modestes parents paysans ivoiriens et ramène nous des rameaux de rôniers, des feuilles de tamariniers, des bourgeons de goyaviers, des fleurs d’ananas sauvages et de lotus, que nous utiliserons pour décorer la maison du seigneur en reconnaissance de tous ses bienfaits.

Va, va dans la plaine du fleuve Comoé et apporte nous une poignet de sable fin, pour cimenter l’unité et la réconciliation du peuple ivoirien que tu as aimé de tout ton cœur.

Va, va donc vers ton destin, car le très Haut là voulu ainsi.

Bien sûr, comme les autres, tu as ta place aux champs d’honneur. Tu reviendras inlassablement frapper les trois coups à nos portes pour aiguiser la flamme meurtrie qui ne cesse de se consumer dans les coeurs de tous ceux qui t’ont connu et qui ne t’oublieront pas de sitôt, comme l’écrivait si bien le penseur et le sage chinois, le contemporain de Confucius,

LAO TSEU

Tout le monde tient le beau pour le beau,
C’est en cela que réside sa laideur.
Tout le monde tient le bien pour le bien
C’est en cela que réside son mal.

Car l’être et le néant s’engendrent.
Le facile et le difficile se parfondent.
Le long et le court se forment l’un par l’autre.
Le haut et le bas se touchent.
La vie et la mort se prolongent,
La voix et le son s’harmonisent.
L’avant et l’après se suivent.

C’est pourquoi le saint adopte
La tactique du non agir,
Et pratique l’enseignement sans parole.
Toutes les choses du monde surgissent
Sans qu’il en soit l’auteur.

Il produit sans s’approprier,
Il agit sans rien attendre,
Son oeuvre accomplie, il ne s’y attache pas,
Et puisse qu’il ne s’y attache pas,
Son oeuvre restera.

Tels sont ces quelques mots simples que nous portons dans nos esprits, pour toi, vers toi, pour nous et vers tous ceux qui continuent malgré tout nos malheurs de croire comme toi que, la Côte d’Ivoire est une et indivisible. Ces mots sont étalés dans une construction imparfaite et inachevée, car incapable de traduire l’intensité de nos émotions et l’immensité de notre douleur à travers l’absence et le vide que tu nous laisses.

Mesdames et Messieurs, chers frères et soeurs, puisse la vie renaître dans la mort pour adoucir cette douloureuse séparation pour que notre défunt frère Jean-Michel Moulod, puisse survivre dans nos coeurs afin que la chanson retrouve tout son sens et toute sa profondeur.

Ce n’est qu’un au revoir mes frères,
Ce n’est qu’un au revoir.
Nous nous reverrons mes frères,
Ce n’est qu’un au revoir.
Bon voyage et bon retour vers ta destinée.

Merci pour tout ce que tu as fait pour nous hier,
Merci pour ce que tu fais aujourd’hui en rassemblant tous les ivoiriens autour de toi. Merci enfin pour ce que tu feras pour nous demain par ton exemplaire comportement social, qui nous indique déjà le chemin à prendre.

Toutes nos prières t’accompagnent, en ce jour du voyage éternel.
Que la terre ivoirienne de Moosou, qui t’a vu naître te soit légère.
Adieu cher Grand frère.
Adieu Mon ingénieur.
Adieu Monsieur le Ministre.
Adieu monsieur le député-maire de Grand-Bassam.

Fait à Lugano en Suisse
Le samedi 05 novembre 2011

Dr. Serge-Nicolas NZI
Chercheur en Communication
Lugano
Suisse
Mail. nzinicolas@yahoo.fr

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