Peut-on encore parler de justice en Côte d’Ivoire ?

Libre Opinion par Marc Micael

« (…) est-ce qu’on peut parler encore de justice dans cette affaire ?… ». Ce sont des propos, rapportés par un quotidien proche du pouvoir Ouattara et qu’aurait tenu le ministre Kata Kéké, lors de la cérémonie de réception organisée en l’honneur des prisonniers politiques de Ouattara, fraîchement libérés. Ces propos attribués à Kata Kéké, ont tant et si irrité le régime d’Alassane Ouattara, qu’ils ont valu à ce ministre de la république une seconde arrestation. Mais Kata Kéké n’est ni le premier et ne sera certainement pas le dernier à subir le courroux d’un régime qui a visiblement du mal à supporter les critiques faites à son endroit.
Trois journalistes du quotidien Notre Voie, proche du Président Gbagbo, ont été à leur tour arrêté pour dit-on pour : « offense au chef de l’état » et pour « atteinte à l’économie nationale ». A la question l’invitant à réagir sur l’arrestation de ces journalistes, le mentor du RHDP répond : « Il faut laisser la justice faire son travail ».
S’il existe une justice dans ce pays, nous sommes d’avis qu’on la laisse faire son travail, au nom de la séparation des pouvoirs. Dans un pays qui se veut démocratique, il est plus que vital que les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires soient séparés et indépendants, contribuant chacun pour sa part, au développement harmonieux de l’Etat.

En Côte d’Ivoire, il existe certes une justice. Huit mois après l’arrivée tonitruante de Ouattara au pouvoir, comment interpréter les agissements de cette justice qui, assurément, a pris fait et cause pour le camp des ‘’vainqueurs sans gloire’’ de la guerre orchestrée en Côte d’Ivoire ? Les uns ont parlé ‘’d’une justice des vainqueurs’’, les autres, manifestement énervés, s’en défendent, arguant qu’il s’agit plutôt de ‘’punir’’ ceux qui n’ont pas voulu respecter ‘’leur verdict’’ des urnes à l’issue de l’élection présidentielle de 2010.

Tout compte fait, le constat est édifiant : des prisons sont rénovées à coup de millions, occupées par les prisonniers politiques et de militaires ayant en commun une caractéristique: ce sont pour la plupart des personnes incarcérées pour leur collaboration ou leur proximité avec le régime du président Laurent Gbagbo. D’autres en exil, recherchés pour avoir affiché leurs affinités avec le candidat de la LMP, sont sous le coup de mandats d’arrêts. Ceux-ci n’ont guère d’illusion sur le sort qui les attend dès qu’ils se hasarderaient à remettre les pieds dans ce pays. Ainsi, tous courent les mêmes risques que leurs camarades arrêtés et emprisonnés, quelque fois sans jugement, ni chefs d’inculpations. Or la justice, nous a-t-on appris, doit être juste, équitable et impartiale. Elle doit dire le droit, rien que le droit, sans influence ni complaisance.
Mais à quoi assistons-nous dans notre cher pays ? Des bandits de grand chemin, des assassins, des génocidaires, des meurtriers…, circulent librement, fiers de leur impunité. Et pourtant ce ne sont pas les preuves, les témoignages et les rapports accablants qui manquent. Pour ces derniers, Ouattara préfère attendre d’hypothétiques enquêtes, éternellement ‘’en cours’’. Dans ce pays, des journalistes ont traité, dix ans durant, le président Laurent Gbagbo de tous les noms, allant jusqu’à le caricaturer, dans leurs journaux, en petit caleçon. Ils ont dans leur élan de journalistes affamés, déversés toutes sortes de vilénies sur le régime de Gbagbo, tombant, à maintes reprises, dans l’outrancier au-delà même de ce que l’on appelle ‘’offense au chef de l’état’’ ! Des hommes politiques opposés au régime de Laurent Gbagbo, se sont conduits en véritables ennemis de la république, juste pour plaire à leur mentor Alassane Ouattara. Et l’on se perd, à vouloir égrener le chapelet des actes d’insubordinations, de défiances à l’autorité de l’Etat, d’atteintes à la sureté et à l’économie de l’Etat, sous Laurent Gbagbo.
La justice à cette époque, pourrions-nous dire, se complaisait t-elle dans le laxisme ou souffrait t-elle de cécité ou de surdité ? Si l’on conçoive qu’elle ait été si peu encline à s’abattre sur les coupables hier, comment expliquer, aujourd’hui, qu’elle se réveille si subitement et qu’elle se découvre, un zèle jusque-là méconnu, et ce, à l’avènement de Ouattara ? Et qu’elle soit si omniprésente, comme jamais elle n’a été, lorsqu’il s’agit de personnes qui ne partagent pas les mêmes opinions que les tenants actuels du pouvoir?
Emettre, des doutes sur notre justice, revient d’une certaine manière, à lui nier son efficacité. D’autre part, si l’on se met à douter de notre justice, la justice ivoirienne qui est une institution de la république, nous nous attaquons, de fait, à une valeur chère à toute république: le respect des institutions. Mais, sous le règne de Ouattara, qui demande que l’on « laisse la justice faire son travail », quel respect ou quelle crédibilité peut-on encore accorder à cette justice, quand des autorités de la république, inféodent la justice à leurs décisions personnelles, allant jusqu’à faire entrave aux procédures judiciaires ; quand un ministre du gouvernement Ouattara s’oppose à la décision du procureur de la république demandant la relaxe des journalistes de Notre Voie ; quand des dirigeants actuels, par un coup de baguette magique, arrivent à faire relâcher nuitamment 12 prisonniers politiques à la surprise générale des avocats et des concernés eux-mêmes, sans qu’aucune explication ne soit donnée sur les contours de cette surprenante pratique judiciaire ; quand des militaires zélés prennent sur eux, la décision d’empêcher des avocats de voir leurs clients alors que la justice le leur autorise ; quand des illettrés notoires au sein de l’armée tribale FRCI de Ouattara, se prennent pour des policiers ou gendarmes procédant à des arrestations et détentions arbitraires, au mépris des procédures les plus élémentaires de justice?
Répondre à ces questions et à bien d’autres, c’est découvrir la triste réalité dans cette Côte d’Ivoire version Ouattara : la justice ivoirienne, lorsqu’elle n’est pas dépréciée par les nouvelles autorités, au profit de la justice dite internationale, n’a pas les coudées franches pour agir. Laisser agir une justice qui a mains et pieds liés, signifie, dans ce cas aux yeux de Ouattara, laisser son régime ‘’travailler’’ en lieu et place de cette justice. C’est dire que ‘’de jour’’, l’on laisse ‘’travailler’’ cette justice, et que ‘’de nuit’’, l’on s’attèle à la manipuler et à s’opposer à son action. Tel est le portrait tout craché d’un régime anti-démocratique, représenté ici en Côte d’Ivoire par le régime Ouattara.

Dans ce pays, faire une telle réflexion et s’interroger en publique, en ces termes : « Peut-on encore parler de justice dans ce pays ?», est passible d’arrestation immédiat et d’emprisonnement ferme. Ne nous y méprenons pas, les commanditaires de telles décisions, se trouvent ailleurs, en dehors des locaux du palais de justice. Bien ailleurs, dans les couloirs lugubres du palais présidentiel où, avec leurs mains obscurs, ils tirent les vraies ficelles de la justice ivoirienne.

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