Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara et les 40 mercedes

Au cours d’une audience expéditive, le tribunal d’Abidjan-Plateau a relaxé, hier mardi 6 décembre 2011, trois journalistes du quotidien Notre Voie, poursuivis pour : il s’agit de César Etou (directeur de publication), de Didier Dépry (secrétaire général de la rédaction) et de Boga Sivori (chef du service politique).

Ces trois journalistes avaient été mis au frais le 24 novembre dernier pour avoir publié deux articles dans lesquels ils affirmaient, d’une part, que le président Alassane Ouattara s’est offert et, de l’autre, ils évoquaient une prochaine dévaluation du franc CFA et ce, malgré les démentis des gouverneurs des banques centrales de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale.

Ce procès de journalistes est le premier de l’ère ADO. Et comme ceux qui travaillent dans les médias ne sont pas au-dessus de la loi, c’est tout à fait normal qu’ils puissent répondre de leurs actes si, effectivement, on estime qu’ils ont enfreint les textes en vigueur.

Encore que, dans cette affaire, le journal Notre Voie n’ait rien inventé, puisque les voitures ont belle et bien été achetées pour doter les ministres. Par contre, c’est la façon de présenter l’information qui a donné l’impression que le président a acquis ces berlines pour lui-même. Or il n’en est rien. Malgré tout, on peut se demander si le pouvoir n’a pas été mal inspiré d’intenter ce procès contre les trois journalistes eu égard au contexte national et au fait que Notre Voie est le journal du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. En effet, même à juste titre, toute action contre cet organe de presse serait vue comme une attaque, un règlement de compte politique.

Et cela a été ressenti ainsi par le public venu assister au procès. Certes, il faut se féliciter que le pouvoir ait choisi la voie judiciaire face à cette affaire, car, ailleurs, des sbires se seraient chargés de régler les comptes à ces scribouillards. Mais il faut reconnaître qu’en allant au procès pour si peu, ADO et ses camarades courent le risque de fabriquer de toutes pièces des héros et des martyrs à peu de frais.

S’il se trouve, c’est peut-être un avertissement que le nouveau président a voulu donner à toute la presse comme pour signifier que les temps ont changé et que les dérives d’antan ne seront plus acceptées. Mais au bout du compte, ADO aurait voulu faire la publicité de Notre Voie qu’il ne s’y serait pas pris autrement.Ce qui semble certain, c’est que les nouvelles autorités ivoiriennes ont vraiment du pain sur la planche si tant est qu’elles tiennent à assainir l’univers médiatique.

En effet, dans une Côte d’Ivoire où derrière chaque plume se cache un militant, il n’est pas facile de faire le distinguo entre le journaliste et le militant. Il faut en effet reconnaître, et loin de nous l’idée de vouloir donner des leçons à quiconque, que la presse de ce pays est si politisée que c’est davantage de la propagande, pour ne pas dire des tracts politiques, que l’on sert dans les colonnes de certains médias que des articles de presse. C’est en fait le combat politique que se livrent les différents partis qui se transpose sur le terrain médiatique.

La décision de relaxer les trois journalistes est perçue par beaucoup comme un verdict plus politique que juridique. Tant mieux. Tant mieux en effet si ce jugement peut ramener la sérénité de part et d’autre. Mais il faut qu’ADO fasse désormais attention aux médias et qu’il évite d’avoir des problèmes avec eux pour ne pas se les mettre à dos. On se souvient comme hier du limogeage de Brou Aka Pascal de la direction de la RTI pour n’avoir pas envoyé une équipe de reportage accueillir le président, qui revenait des Etats-Unis. Il y a eu aussi la suspension durant trois jours de Notre Voie en septembre dernier, et également le cas d’Hermann Aboa, journaliste à la RTI et animateur de l’émission Raison d’Etat, qui est sous mandat de dépôt depuis le mois de juillet 2011.

A ADO de savoir raison garder pour ne pas apparaître comme le père fouettard de la presse ivoirienne. Il doit savoir qu’il perd toujours la bataille de l’opinion lorsqu’il s’attaque à un média.

San Evariste Barro — L’Observateur Paalga

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