Pourquoi il faut juger Laurent Gbagbo – selon Venance Konan

Venance Konan DR

Pour l’écrivain et journaliste ivoirien Venance Konan, le transfèrement de l’ex-président Laurent Gbagbo à la Cour Pénale Internationale est une bonne décision.

Source: slateafrique.com

Les élections législatives du dimanche 11 décembre seront boycottées par le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. La campagne pour ce scrutin s’est achevée le vendredi 9 décembre. Deux jours avant, trois personnes ont été tuées par un tir de roquette dans le sud de la Côte d’Ivoire, selon l’armée ivoirienne. Une fin de campagne émaillée d’incidents, alors que ces législatives sont censées aider le pays à tourner la page d’une crise post-électorale meurtrière.

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Pourquoi il faut juger Laurent Gbagbo – Venance Konan

C’est à Busan, dans la deuxième ville de la Corée du sud où je me trouvais à l’occasion du quatrième Forum de haut niveau sur l’effectivité de l’aide que les deux nouvelles me sont parvenues. Gbagbo venait d’être transféré à la Cour Pénale Internationale de La Haye aux Pays-Bas, et trois confrères du quotidien Notre Voie avaient été arrêtés et incarcérés à Abidjan.

Le FPI a renoncé à participer aux législatives

Plusieurs confrères m’ont envoyé des messages pour me demander mon opinion sur ces deux faits. Mais, occupé comme je l’étais par le Forum, puis par mon retour à Séoul le même soir, et ensuite par le long voyage qui me ramènera en Côte d’Ivoire, je n’ai pu participer qu’au débat organisé au téléphone par mon confrère et ami Francis Laloupo sur Africa N°1 à Paris. Au cours de ce débat, des confrères et auditeurs ont accusé le président Ouattara de vouloir écarter son adversaire Gbagbo du jeu politique, de vouloir une Assemblée nationale monocolore, donc pas démocratique, en contraignant le FPI (Front populaire ivoirien) à renoncer à participer aux législatives, et surtout de torpiller la réconciliation. Pour ma part, tout en éprouvant une certaine tristesse de voir l’ancien président de mon pays dans un tribunal à l’étranger, je ne suis absolument pas opposé au fait que Gbagbo ait été transféré à la CPI. Pour deux raisons.

D’abord, il est temps que cesse l’impunité pour les nombreux crimes commis sur notre continent depuis des décennies, et singulièrement dans notre pays depuis tant d’années. Ce que l’on a appelé les évènements post-électoraux se sont déroulés cette année 2011. Ils sont donc frais dans toutes les mémoires qui sont de bonne foi et non sélectives. À la suite d’une élection en laquelle le monde entier voulait voir la fin de cette crise qui minait notre pays depuis plusieurs années, Laurent Gbagbo a refusé de reconnaître sa défaite. et il a voulu avoir raison contre le monde entier, lui qui disait à Slobodan Milosevic: «Quand dans un village, tout le monde voit un pagne en blanc et que vous êtes seul à le voir en noir, c’est que vous avez un problème; Milosevic croit-il pouvoir avoir raison contre le monde entier?»
Gbagbo dans la même prison que Milosevic

L’ironie de l’histoire est que Laurent Gbagbo se trouve aujourd’hui dans la même prison où Milosevic a fini ses jours. Les mêmes causes ne produisent-elles pas toujours les mêmes effets? Qui a oublié les nombreux médiateurs, les chefs d’État africains venus des cinq régions du continent, précédés ou accompagnés par les meilleurs juristes africains qui ont essayé de convaincre Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite? Et qui ne se souvient des crimes barbares commis par les miliciens et soldats de Laurent Gbagbo? des hommes brûlés vifs, des femmes abattues dans la rue, des marchés bombardés, des hommes enlevés de leurs domiciles la nuit et sauvagement assassinés, Lambelin, le président de Sifca, enlevé avec deux de ses collaborateurs devant des journalistes du monde entier et emmenés à la présidence pour y être assassinés… Qui a oublié tout cela? Doit-on passer tout cela par pertes et profits?

Et en remontant un peu plus loin dans notre histoire récente, qui a oublié l’école mise à sac par la Fesci protégée par Gbagbo, les étudiantes violées, Habib Dodo et tant d’autres étudiants tués? Et les quelque cent manifestants tués en 2004 ? Et les escadrons de la mort? Non, on ne peut passer tout cela par pertes et profits. Il est temps que cesse l’impunité sur notre continent. Gbagbo à la CPI, aux côtés de Charles Taylor et de Jean-Pierre Bemba, c’est un avertissement sans frais pour tous les dictateurs qui seraient tentés de massacrer leurs peuples. C’est aussi une assurance pour ces peuples, c’est- à-dire pour nous, simples citoyens. J’entends la réplique. Et les crimes commis par l’autre camp? Je ne pleurerai pas non plus le jour où des personnes autres que Laurent Gbagbo et les siens qui auraient commis des crimes relevant de la CPI se retrouveront elles aussi à La Haye.

Ne pas céder au chantage

La seconde raison de mon soutien à son transfèrement est que si Gbagbo avait été jugé en Côte d’Ivoire, on aurait difficilement évité d’autres affrontements meurtriers et, en cas de condamnation, les accusations de justice de vainqueurs. Jusqu’à présent, Gbagbo est présumé innocent. Et, comme l’a dit le chef de l’Etat, la CPI est sans doute la meilleure garantie pour lui d’une justice équitable. Que dire du refus du FPI de participer aux législatives et à la réconciliation ? Ils avaient déjà posé comme condition, pour y participer, la libération de Gbagbo. Avant même son transfèrement à La Haye. Peut- on décemment demander au président Ouattara de céder à ce chantage?

Concernant l’incarcération de mes confrères, mon point de vue est que, quel que soit le degré d’imbécilité des articles qu’un journaliste puisse écrire, l’incarcérer est lui faire une publicité qu’il ne mérite pas; et c’est jeter le discrédit sur le pouvoir que l’on taxe aussitôt de dictatorial, même si ce dernier n’a absolument rien à voir dans son arrestation. Il est donc heureux que mes trois confrères aient été libérés par le tribunal. Mais il appartient, plus que jamais, aux organisations professionnelles de journalistes et aux éditeurs de presse de prendre toutes les dispositions pour que notre presse sorte de la fange dans laquelle elle se vautre depuis tant d’années.

Venance Konan

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