Il faut sauver le soldat Koulibaly… même malgré lui, par Grégory Protche

Je viens de lire un article de Mamadou Koulibaly, Législatives sous hyper-présidence: Quelques leçons, paru le 16 décembre dans l’Inter. Long. Trop. Pour masquer le vide : le trop plein ? Comme les chanteurs font 22 titres sur un cd quand ils n’en ont pas trouvé un d’assez fort pour faire un single… le bon. Beaucoup de lignes, de chiffres, mais pas une idée. Pas une idée importante. Essentielle. Et cruciale aujourd’hui. Ce qui est rare venant de lui. Et triste. Du commentaire. De la rhétorique. Du vide. Du bout du stylo. Comme s’il n’avait pas participé, comme s’il ne s’était pas présenté, comme s’il n’avait pas accepté les inacceptables conditions d’élections au mieux inutiles et au pire dommageables.

MK pose trois questions en ouverture de son article. 1) Les partis politiques ont-ils été à la hauteur des enjeux ? 2) La classe politique est-elle encore crédible dans notre pays? 3) Les élections servent-elles encore à quelque chose? Trois questions fondamentales mais hors de propos. Anachroniques. Dérisoires. Il annonce ensuite que son analyse s’appuiera sur les chiffres de la Commission électorale indépendante… Pourquoi ? Pourquoi faire ? Qui croit encore à l’indépendance de cette commission au point qu’on en ait besoin pour s’en défier… MK plonge dans une piscine vide sous les yeux du public pour informer celui-ci qu’il n’y a plus d’eau dedans.

Un petit doigt d’égo, lorsque faussement naïf il découvre que sa défaite « semble focaliser » les attentions… c’est désagréable car énoncé presque narquoisement : Mamadou Koulibaly douterait-il (vraiment) de l’attention que les gens intelligents portent à son parcours ? Et donc de son importance dans le jeu politique, non pas seulement ivoirien, mais africain, panafricain même ? Françafricain au moins. Bien sûr que ceux qui voient en lui un traître se réjouissent de son fiasco. Bien sûr aussi que ceux qui pensent que rien n’est si simple sont consternés par cette évitable et inutile Bérézina annoncée. Quand MK rappelle que son parti est né il y a quatre mois à peine et qu’il est privé de ressources par Alassane Ouattara, on a envie de lui dire : autant de raisons de ne pas cautionner un prétendu jeu démocratique aux règles aussi viciées que vicieuses… C’est en comptant ses fractures que le plongeur se souvient qu’il avait vu le gardien vider la piscine.

Alassane Ouattara devient sous sa plume un « hyper président ». Une façon comme une autre de le légitimer, de le sarkozyser, grogneront certains. D’oublier dans quelles conditions il est devenu cet hyper président… Mais là n’est pas le plus grave. Puisque tous les partis ivoiriens ont vu leur audience baisser, en raison d’une abstention qu’il ne commentera pas, celle du Lider, son parti, est à l’unisson. Pas plus, pas moins. Sauf que le Lider, en soi, n’existe pas. Le Lider, c’est son leader : Mamadou Koulibaly. Et c’est tout.

Comme un étudiant fainéant, il paraphrase et traduit les chiffres en mots. Et là, on commence à comprendre le but, naïf, de sa manoeuvre : trouver une explication politique, politicienne, à une erreur intellectuelle. À une faute morale. Lorsqu’il avance que « le vainqueur (RDR, ndlr) a pris soin de violer toutes les règles démocratiques pour mettre en déroute ses adversaires, terroriser les populations, intimider l’électorat et utiliser les moyens financiers de l’Etat pour soutenir les candidats de son choix », ce n’est que pour oser derrière l’infamant : « Le FPI, avec son refus de participer au scrutin, a laissé tomber son électorat et le débat national pour se focaliser sur ses urgences du moment : se réjouir du faible taux de participation ». Comment, moi, Gaulois vaguement au fait des « Ivoireries », puis-je être au courant que le FPI a boycotté ce scrutin en raison de l’arrestation, suite à l’intervention française, puis du transfert de Laurent Gbagbo devant la CPI, et pas Mamadou Koulibaly ?

Rien n’est pire qu’un intelligent qui joue à l’imbécile, à part peut-être un idiot qui fait le savant.

On peine pour lui en le voyant évoquer la situation politique en Côte d’Ivoire comme si elle n’avait pas été « perturbée » par l’intervention française, comme si cette intervention n’avait pas eu lieu, comme si elle n’avait pas tout changé… Comme si « l’absence » de Laurent Gbagbo n’était qu’un détail.

On a du mal à distinguer encore le pourfendeur du franc CFA et des pratiques de la Françafrique derrière ces coupables et pathétiques omissions : un père, ça ne se tue qu’une fois. Et en reconnaissant Ouattara, il l’avait déjà fait…

Si je pouvais l’interviewer aujourd’hui, ce serait ma seule question : pourquoi le 12 avril 2011, prenant Accra pour Londres et vous-même pour de Gaulle, ne vous êtes vous pas proclamé, en vertu de votre poste de président de l’Assemblée nationale, président de fait puisqu’il y avait vacance du pouvoir…?

L’intelligence ne fait pas tout. Pas plus en politique qu’ailleurs. Il faut du coeur, des tripes et le sens de l’histoire. On ne passe pas à côté d’un destin pour une carrière lorsqu’on s’appelle Mamadou Koulibaly. On n’en a pas le droit.
Même si je persiste, depuis mon petit point de vue, à prétendre qu’il ne faut pas jeter le bébé politique Koulibaly avec l’eau vaseuse du bain électoral ivoirien. Aucun pays ne peut se permettre le luxe de se priver d’un cerveau comme le sien. Bref : il faut sauver le soldat Koulibaly… y compris malgré lui.

Source: nouveaucourrier.info

Grégory Protche

Rédacteur en chef du Gri-Gri International

Auteur de On a gagné les élections mais on a perdu la guerre

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