Côte d’Ivoire: la question du taux de participation

Tout l’enjeu des législatives ivoiriennes de décembre 2011 était cristallisé autour du taux de participation. Qui du camp d’Alassane Ouattara, qui souhaitait un vote massif, et de celui de Laurent Gbagbo qui avaient appelé au boycott en est sorti renforcé? Analyse.
Le débat majeur, en cours, aux lendemains des élections législatives, reste, de façon indubitable, le taux de participation. À souligner qu’un taux de participation, au plan de la définition, c’est le rapport entre le nombre de personnes ayant voté et le nombre total d’inscrits sur les listes électorales. Au plan de la pertinence, il est à noter que la participation aux élections permet de donner un aperçu de l’implication des citoyens dans l’exercice de la démocratie. Elle est aussi un reflet de la bonne santé du système politique et de la confiance que les citoyens lui accordent. À l’inverse, l’abstention montre quelle part de la population se désintéresse des grands enjeux de la vie publique. Les élections législatives sont parmi les plus mobilisatrices. Elles permettent d’exprimer un enjeu national à l’échelle des territoires puisque les élus représentent une circonscription territoriale à l’Assemblée nationale.

C’est la raison pour laquelle tout l’enjeu des législatives, de décembre, 2011, en Côte d’Ivoire, était cristallisé autour du taux de participation. Et la coalition LMP, proche de l’ex Président Laurent Gbagbo, qui avait officiellement appelé à boycotter le scrutin, pour des raisons sur lesquelles nous n’allons pas nous attarder, misait sur l’abstention de la population ivoirienne, pour démontrer qu’elle jouit encore d’une côte de popularité. C’est le tout naturellement du monde que les leaders de la LMP se sont empressés de monter au créneau, adossés aux premières tendances, pour se prononcer sur le taux de participation. Selon eux, c’est la preuve irréfutable de l’effet de leur mot d’ordre de boycott.

Du côté du parti au pouvoir, la faible mobilisation des électeurs, toute comparaison faite avec l’élection présidentielle, pourrait s’expliquer autrement. En revanche, le seul fait évident, qui fait d’ailleurs l’unanimité, est que le taux de participation a baissé, comparé, comme nous l’avons déjà mentionné, à celui de la présidentielle d’octobre 2010. On l’estime, en effet, à environ 36%. Pour autant, ce taux suffit-il pour clamer que le parti de Laurent Gbagbo est majoritaire en Côte d’Ivoire, ainsi que le défendent les Frontistes ? Pures tentatives de manipulation de l’opinion nationale et internationale de leur part aux dires des tenants du pourvoir ? Enfin, ce faible taux n’est-il pas dû au fait que ce scrutin intéresse très peu les Ivoiriens, surtout à l’aune de la crise postélectorale dont les stigmates sont encore vivaces dans les esprits ? Comment peut-on alors, de façon raisonnable et sans parti pris, justifier le faible taux de participation à cette élection ?

Un regard rétrospectif permet de comprendre les causes profondes du fort taux d’abstention à ces élections législatives. Pour ce faire, cette contribution tentera de mettre en lumière le comportement des électeurs ivoiriens, face aux enjeux des législatives, dans la jeune histoire de la démocratie du pays. Une analyse comparative avec la pratique de ces mêmes consultations, notamment en France, aidera à éclairer davantage la lanterne sur cette nébuleuse qui occupe, depuis le soir du 11 décembre, une place de choix dans l’actualité.

Les ivoiriens ne croient pas beaucoup au Parlement

En effet, il ressort des investigations que l’électeur ivoirien, en général, vote massivement à l’élection présidentielle. Mais, pour la simple raison que le régime présidentialiste de la Côte d’Ivoire accorde peu de place au parlement, qui semble être une caisse de résonnance de l’Exécutif, les Ivoiriens vont accorder très peu d’intérêt aux législatives. À preuve, le taux de participation, aux législatives, se situe, depuis 1990, entre 25 et 45%. En 1990, par exemple, le taux de participation était de 32%. En 1996, il était de 45%. Ce taux pourrait même être considéré comme le plus fort taux de l’histoire des législatives. En effet, en 2000, le taux est retombé à 32,7%. Les autres élections locales, comme les municipales et les départementales, n’échappent pas à cette réalité. Les municipales de 2001 ont enregistré 41% de taux de participation. Tandis que les départementales en ont recueilli 28,1%. À souligner que, face au Général Guei Robert, en 2000, Laurent Gbagbo n’avait été élu qu’avec 33% des voix. C’est donc fort de ce constat que le camp du parti au pouvoir récuse toute thèse de l’impact du mot d’ordre de boycott du FPI sur les électeurs.

Quid de la France ?

Afin d’avoir une idée claire sur la question du taux de participation, référons-nous à la France où, l’Institut national des statistiques et des études économiques (INSEE) a proposé une étude sur la participation électorale lors des élections présidentielle et législatives de 2007. Alors que l’élection présidentielle a enregistré un taux de participation record (plus de 85%), les élections législatives ont montré un fort taux d’abstention (près de 40%). Tout d’abord, la confirmation d’une pratique d’un vote intermittent et sélectif, est fonction de l’enjeu du scrutin ; c’est notamment le fait des plus jeunes électeurs, alors qu’ils sont essentiellement à la source du surcroit de participation observé. Leur taux d’inscription a lui aussi augmenté en 2007 jusqu’à représenter la majorité des 1 400 000 personnes (soit 3,4% du corps électoral), qui se sont inscrites pour la première fois sur les listes électorales cette année là, comme cela a été observé en Côte d’Ivoire. Revenons au taux de participation aux élections législatives en 2007, en France pour souligner que la participation a été de 60,5%, ce qui correspond à un niveau d’abstention record. Chaque scrutin incarne des enjeux différents, ce qui peut expliquer de fortes différences d’une élection à l’autre. La participation électorale n’est pas un phénomène qui décline de façon linéaire dans le temps ; si le scrutin est mobilisateur, avec un clivage politique clair, ou pour le choix d’un « chef », la participation est souvent plus élevée. La participation est aussi sensible à la pratique du vote intermittent, ce qui est en grande partie lié aux enjeux du scrutin, mais aussi à l’âge des électeurs. De même, la variable de l’âge joue fortement. Ce sont les électeurs de 50 à 70 ans qui votent le plus régulièrement, le taux de participation est le plus faible chez les jeunes. Lors des législatives de 2007, la classe d’âge qui a le plus participé est celle des 60-64 ans, à l’inverse ce sont les 18-24 ans qui ont le moins voté. Le niveau de diplôme a aussi une influence, ainsi qu’un travail stable et la propriété de son logement.

In fine, au Maroc

In fine, au Maroc, autre exemple, le taux de participation, aux législatives du 26 novembre 2011, était de 45 %, taux supérieur à celui des dernières élections législatives de 2007. La Côte d’Ivoire pouvait-elle échapper à cette réalité, elle qui sort progressivement d’une grave crise sociopolitique sans précédent ? Les autres échéances électorales locales à venir (Municipales et Régionales) pourraient être un bon baromètre pour mieux apprécier la problématique du taux de participation des élections post crises en Côte d’Ivoire.

Dr Edmond DOUA
Enseignant-Chercheur à l’Université d’Abidjan-Cocody
Chercheur associé au MICA, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
Expert en Communication des Organisations et Politique et en Marketing des Industries culturelles
douaci@yahoo.fr

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