Interview Yasmina Ouégnin: « Il faut éviter que le pays glisse vers le parti unique et la pensée unique »

AFP PHOTO/ISSOUF SANOGO

Yasmina Ouégnin occupera dans la dixième législature l’un des deux sièges de la circonscription de Cocody. Dans cette interview, elle dévoile ce qui l’a motivée à se présenter aux législatives de 2011. Elle parle du mandat qu’elle s’apprête à inaugurer, de son rêve pour le Pdci-Rda, de ses relations avec KKB qui captive l’attention des militants du vieux parti aujourd’hui. L’épouse du docteur Guessend, la benjamine des Ouégnin, mesure toute la responsabilité qui est la sienne aujourd’hui et veut éviter toute gourmandise dans la carrière politique qu’elle vient d’embrasser.

Vous étiez avant les législatives de 2011 moins connue du grand public. Comment vous est venue l’idée de vous présenter comme candidate ?
Je ne pourrais vous le dire avec exactitude. Je sais seulement que ce besoin était là depuis déjà quelques années, mais il est devenu plus fort après le deuxième tour des élections présidentielles. Peut-être parce que j’ai pris une part active à ce deuxième tour. Mais je pense toutefois que l’idée a véritablement germé après les assises de la JPDCI à Bassam en août 2011 où il a été question de la représentativité de la jeunesse au sein des organes du Parti et des débats publics.

Vous avez 32 ans et vous êtes directrice de société. Voudriez-vous donner des détails sur votre parcours qui pourrait sans doute inspirer les jeunes de votre génération ?
En tant que benjamine de la fratrie, j’ai grandi dans une famille soudée et très protectrice. J’ai eu la chance de bénéficier d’une éducation empreinte de la notion de service public et du sens élevé de l’intérêt général. Ce sont ces valeurs qui continuent de sous-tendre toutes mes actions. Mon parcours scolaire est relativement classique. Après mon Bac S au Collège Jean Mermoz en 1996, j’ai rejoint les Classes Préparatoires Maths Sup Commerciales de l’Ecole Supérieure de Commerce et d’Administration des Entreprises de l’INP-HB de Yamoussoukro. J’y ai obtenu le diplôme d’Ingénieur en Assurances Option Risk-Management. Bien qu’ayant ensuite complété ma formation avec un Master en Management des Risques de Bordeaux Ecole de Management, je reste très attachée à mes « années INSET », et très fière d’avoir été formée dans ce creuset de la formation académique et du savoir dans l’histoire de notre République.

Vous mettez entre parenthèses vos fonctions de directrice de société comme vous le dites vous-même pour une candidature à la députation. Elue, envisagez-vous une carrière politique ?

J’entame déjà une carrière politique que je souhaite brillante du point de vue de l’impact de mes idées et propositions sur le quotidien des Ivoiriens. Par mon engagement, je voulais lancer un appel au sursaut de la jeune génération, ceux de ma génération, en montrant qu’il y a d’autres alternatives. Si nos parents ont mené le combat de l’indépendance et de la démocratie, c’est à nous à présent d’assumer notre destin et de mener le combat de la modernisation et du développement économique de notre pays. C’est donc une chance de devenir député quand on veut, comme moi, et participer au débat politique en Côte d’Ivoire sur la durée. C’est donc en toute sincérité que j’entends servir la Côte d’Ivoire, apporter ma pierre au délicat travail de reconstruction nationale. Je veux surtout montrer qu’on peut faire de la politique autrement, sans haine, sans coup bas, sans méchanceté.

‘’Je suis la candidate de la jeunesse, je suis la candidate des femmes’’ disiez-vous au lancement de votre campagne. Quel est votre rêve pour ces deux franges de la société ivoirienne ?

Je n’ai pas dit que ça, durant la campagne. J’ai également dit que je voulais œuvrer à l’édification d’une société ivoirienne ressoudée, responsable et solidaire afin de permettre l’amélioration des conditions d’existence, du cadre de vie et de la sécurité de mes concitoyens. Néanmoins, puisque votre question est ciblée, je souhaite pour la jeunesse un retour rapide au travail, qu’elle ait le libre choix de définir des perspectives d’avenir par la force de sa volonté dans un cadre social apaisé et dans un environnement sain. Quant aux femmes, les différentes crises qui se sont succédé dans notre pays ont cristallisé les inégalités et des pratiques d’une époque révolue ont refait surface faisant ainsi reculer des droits acquis pour les femmes et les personnes vulnérables. Mon combat est de remettre des textes de lois au goût du jour en y associant des actions sur le terrain. Mais je ne pourrais le faire seule. Il est important pour moi de travailler avec d’autres femmes et d’autres jeunes sur différents projets tels que le droit à l’éducation, l’amélioration des conditions de travail, l’accès au premier emploi des jeunes…

Vous siégerez dans la dixième législature de votre pays au moment où l’on sort d’une grave crise sociopolitique. Comment voyez-vous votre mandat de député dans un tel contexte ?

Ce ne sera pas une sinécure mais je suis psychologiquement préparée pour affronter les défis qui se présenteront. Je crois fermement que l’Etat a le devoir de mettre en place l’environnement institutionnel qui permette à chacun de travailler et de vivre décemment. Mon rôle de député sera donc de stimuler l’Etat, de veiller à ce que les conditions soient favorables à la création d’emplois jeunes et à la participation des femmes à la vie de la Nation. Nous avons un beau pays, plein de ressources et de potentialités. Il nous faut créer un climat juridique et institutionnel favorable à la création de richesses, à l’emploi. Nous devons tous conjuguer nos efforts maintenant que la crise sociopolitique est derrière nous pour faire en sorte que l’action du gouvernement provoque le développement et la croissance économique.

S’il devrait y avoir une proposition de loi émanant de vous, quelle serait cette proposition et pourquoi ?
Je suis sûre qu’il y en aura et de ce fait, je préfère vous en informer en temps opportun. Mais elle sera en rapport avec la promotion du libéralisme, dans le sens des libertés et des droits des individus.

Vous êtes député du Pdci-Rda, deuxième force au parlement après le Rdr. L’on n’ignore pas que votre parti est un allié du Rdr. Voyez-vous ce parlement comme une simple caisse de résonance du pouvoir ?

Ce serait dommage qu’il en soit ainsi, autant pour le processus démocratique que pour les citoyens ayant donné mandat à l’Assemblée nationale pour les représenter. En Côte d’Ivoire, la Constitution a clairement séparé le Pouvoir Exécutif du Pouvoir Législatif. L’Assemblée nationale ne peut et ne doit donc pas être une caisse de résonance du pouvoir. Mon souhait est que l’Assemblée soit un espace d’expression afin d’éviter que le pays ne glisse vers le parti unique et son corollaire, la pensée unique. Le contre-pouvoir étant le moyen de contrôle le plus efficace contre les excès, je reste convaincue que le Président Ouattara, son gouvernement et l’ensemble des parlementaires éviteront ce cas de figure qui pourrait s’avérer absolument préjudiciable à la Côte d’Ivoire.

Il est question d’une réforme de la Constitution. Adhérez-vous à ce projet et quels articles voudriez-vous voir réformés ?

La question ne se pose pas pour l’instant. J’attends de voir le contenu du projet pour me prononcer.

Comment analysez-vous ce que d’aucuns qualifient de contre-performance du Pdci à l’issue des législatives de 2011 ? Rappelons que le Pdci a officiellement obtenu 77 sièges contre 98 en 2000.

Souffrez que je réserve mes analyses aux comités de réflexion mis en place par la direction du parti où un travail d’analyses des résultats des élections présidentielles et législatives est entrepris. Je pense que vous serez très bientôt informés des conclusions de ces réflexions. Mais honnêtement, avec les moyens limités du PDCI-RDA, écarté du pouvoir d’Etat depuis fin 1999 et le contexte qui a prévalu lors des dernières consultations, je pense qu’obtenir près du tiers des sièges à l’Assemblée n’est pas une catastrophe. Il nous appartient toutefois de faire des propositions concrètes pour que nous soyons plus efficaces lors des élections à venir.

Pensez-vous comme d’autres que le Pdci est en train de se rabougrir et qu’il lui faut du sang neuf pour rebondir ?

D’un point de vue purement arithmétique, il est certain que le PDCI a perdu du terrain au cours de la décennie écoulée, mais il a survécu à plusieurs crises et les bastions traditionnels ont été conservés. Les valeurs et la philosophie du PDCI, chères au Président Félix Houphouët-Boigny, notre père fondateur, restent fortement ancrées dans l’esprit de bon nombre d’Ivoiriens, c’est pourquoi le PDCI restera un parti national, aujourd’hui et demain, qui continuera de fédérer toutes les énergies vives du pays en son sein.

Le président Henri Konan Bédié a annoncé un bureau politique du parti. Il a aussi parlé de quelques réglages à faire dans la coalition Rhdp. Quelle est votre position sur ces deux sujets ?

Comme je viens de vous le dire, je fais partie des membres des différents comités de réflexion et c’est donc au parti que je réserve la primeur de mes analyses. Je tiens quand même à dire que le Président Henri Konan Bédié a une lecture avisée de la situation. Il est important de déterminer des stratégies qui permettront au parti de demeurer incontournable sur l’échiquier politique national.

On vous a souvent vu aux côtés du président de la Jpdci. Est-ce pour lui exprimer votre solidarité quand on sait qu’il n’est pas en odeur de sainteté avec certains barons du parti ?

J’ai l’honneur d’être membre du Conseil Politique de la JPDCI. KKB est donc mon Président. A ce titre, je lui témoigne mon soutien dans les épreuves qu’il endure en ce moment tant sur le plan physique que sur le plan moral. C’est bien regrettable toutes ces incompréhensions. Ce n’est pas parce qu’on appartient à un parti qu’on ne peut pas être critiqué sur ses actions. Mais je demeure très confiante quant à l’issue de ce que je pourrai qualifier de malentendu. Je tiens également à préciser que je suis aussi solidaire de tous les militants et militantes qui œuvrent au quotidien afin que notre parti reste avant tout un parti de rassemblement.

Quel Pdci souhaitez-vous pour demain ?

Un PDCI-RDA fort, plus conquérant que jamais, où chacun a sa place. Je rêve d’un PDCI dynamique qui répondra aux exigences de notre époque avec des hommes et des femmes de toutes générations.

Yasmina Ouégnin rêve-t-elle d’un poste de ministre ou de maire, l’appétit venant en mangeant ?

Mon entrée au gouvernement n’est pas à l’ordre du jour, tout comme ne l’est pas non plus le dépôt de candidature pour les municipales. Je me suis mise au service de mon pays sans appétit quelconque mais avec la volonté d’insuffler le changement à mon humble niveau. Laissez-moi donc combler d’abord les nombreuses attentes des électeurs que je représente au sein du Parlement.

D’aucuns avancent que vous avez bénéficié d’un coup de main de votre père pour faire valider votre candidature alors qu’un autre candidat était déjà sur la sellette. Qu’en dites-vous?

Les élections législatives sont terminées. Il ne m’appartient pas de commenter les choix que la commission électorale interne et la haute direction du parti ont eu à faire dans telle ou telle circonscription surtout sur la place publique ! Nous n’en sommes plus là. D’ailleurs, vous, en tant que journaliste, m’avez l’air bien renseigné sur les différents propos tenus lors de mes meetings de campagne et je vous en félicite, c’est bien la preuve que vous avez mené des recherches afin de préparer cette interview. Je vous invite donc à vous informer également de mes propos durant la précampagne surtout lors de la conférence de presse au cours de laquelle mon colistier et moi avons apporté, preuve à l’appui, des éclaircissements aux Ivoiriens sur ce point. Et de plus, le PDCI, en choisissant une jeune femme pour le représenter dans une circonscription d’envergure, a peut-être fait un choix déstabilisant quelques-uns, mais l’important n’est-il pas que les électeurs de Cocody l’aient validé ?

Comment voyez-vous la réconciliation entre les Ivoiriens avec l’intrusion de la justice internationale dans le dossier ivoirien ?

Il y en a encore qui ruminent vengeance, la sécurité est menacée à certains endroits du pays, des avoirs sont gelés, rien ne pointe encore à l’horizon pour consoler les victimes de tous bords…
Je suis persuadée que le souvenir des douloureux événements postélectoraux et le nombre de morts enregistré a conduit chacun d’entre nous à plus d’humilité et au devoir de ‘’plus jamais la guerre en Côte d’Ivoire’’. Nous devons tous nous tourner vers l’avenir et donc vers la réconciliation. Il faut réellement que l’opinion nationale se concentre aujourd’hui sur la réconciliation en identifiant les mesures à mettre en place pour que dorénavant nos institutions ne soient plus un terrain de jeu pour les influents de quelque bord politique que ce soit. Maintenant, il ne faut pas se leurrer, cela ne peut se faire du jour au lendemain. La réconciliation véritable demande beaucoup de patience et le don de soi car c’est un processus qui ne peut se réaliser correctement de manière expéditive.

Par S. Débailly
L’Intelligent d’Abidjan

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