Gouvernement Ouattara II: L’âge d’or n’est pas pour demain !

Gouv.

Il n’est pas possible de ne pas s’inquiéter de ce qui se passe sous nos yeux : c’est que le gouvernement Ouattara II n’est pas celui que nous attendions. Toute la mise scène qui l’a précédée en donne l’image d’une montagne qui accouche d’une souris.

Pourquoi ? Parce que ce gouvernement suscite un fort soupçon de grisaille et laisse présager une forte odeur d’échec avec en prime un pays encore plus déglinguant à l’avenir.

Le technocrate rigoureux et méticuleux que nous avons connu au début des années 90 n’est pas celui qui se présente à nous dans ses nouvelles parures de Président de la république. Bien sûr, le chemin a été long et cahoteux, car on ne sort pas indemne de près de vingt ans de mauvais rôle de bouc émissaire ou d’ « associé du diable » imposé par la concurrence politique. Il n’est pas non plus aisé d’expérimenter une gouvernance hors pression après avoir vu au moins 3000 personnes tomber sur le chemin qui mène au palais.

Mais ceci ne saurait entraîner cela, afin de justifier l’immobilisme, lequel préfère le spectacle à l’action, les étiquettes à la dynamique de «la solution » ce slogan prometteur.

Dans la forme, ce gouvernement est inutilement pléthorique. 40 titulaires, exactement comme au temps de Félix Houphouët-Boigny, et qui coûteront chacun, avec leurs cabinets respectifs, un minimum de 20 millions de fr CFA/mois au contribuable. Ce sont des acteurs ayant une longue carrière de ministres pour plusieurs d’entre eux (12 ans pour certains, 7ans pour d’autres, et de 48 heures à 11 mois pour les nouveaux entrants). De tout ce monde, seuls 2 (économie et finance, puis infrastructures économiques) semblent avoir une expérience de « techniciens reconnus » dans leurs domaines respectifs, quand 6 seulement sur les 40 sont des « spécialistes » des domaines dont ils ont à charge le portefeuille. Le reste, c’est-à-dire, 32 sont issus d’arrangements politiciens, soit pour les exigences d’une alliance politique, soit pour une nécessité de récompense pour militantisme exemplaire.

De même, sur les 40 ministres, près des 2/3 sont élus députés pour la législature 2012-2016, pour le compte de partis politiques mandataires contre un seul comme député indépendant (Alain Lobognon lequel en fera de nécessité vertu après avoir été rejeté par le RDR).

On note également un faible taux de femmes (5/40), mais surtout, des portefeuilles ministériels qui se recoupent et dont on a du mal à cerner les fonctions respectives. Ainsi, s’il est compréhensible de distinguer « le ministère de la santé » de celui de « la lutte contre le SIDA », ainsi que celui de « l’économie et des finances » des « infrastructures économiques » ou encore celui de « la justice, les libertés publiques » au ministère des « droits de l’homme », à cause des urgences publiques du moment, il me semble peu convaincant de séparer l’« artisanat » du « tourisme », « intégration africaine » et « affaires étrangères », « culture » et « francophonie », « jeunesse, service civique » et « sport », « logement » et « construction, urbanisme », « eaux, forêts » et « environnement, développent durable », « plan, développement » et « infrastructures économiques », etc.

Dans l’ensemble, un effectif de 26 ministres aurait pu donner davantage de visibilité et d’efficacité à l’action du gouvernement.
Enfin, on se demande bien de quoi retournent les dénominations fantaisistes comme « ministre auprès du président de la république, secrétaire général du gouvernement », « ministre auprès du président de la république, directeur de cabinet du président ». Les sieurs Amadou Gon, Amon Tanoh et Tené Ibrahima Ouattara le frère cadet du président, tenaient-ils tant à bénéficier d’un rang de ministre? Et puis, qu’est-ce que vraiment un « ministre chargé des relations avec les institutions » ? Fonction dévolue autrefois à Danon Djédjé mais dont n’a jamais vu l’impact réel sur l’action du gouvernement ?

Pas de Société civile

Dans le fond, on pourrait restituer à ce qui précède, au moins, trois hypothèses susceptibles de conférer son sens à l’incohérence de ce gouvernement Ouattara II.

La première, c’est qu’en prenant lui-même en main le portefeuille de la défense, Ouattara voudrait, sans doute rassurer à propos de l’épineux problème de l’armée ivoirienne avec son corollaire d’insécurité et de désolation perpétrée constamment contre les populations. Mais aussi et surtout, le Chef de l’État entend bien défaire la toile tissée par le précédent locataire de la maison dont personne n’ignore les dents véritablement longues. De la sorte, sauf caprices de l’histoire, Guillaume Soro, du haut de son perchoir, aura pour les dix années à venir, une carrière de dauphin constitutionnel à l’image d’un Philippe Yacé ou d’un Charles Bauza Donwahi, c’est-à-dire, attendant dans l’anti-chambre, un pouvoir presque de chrysanthème, dont l’issue réelle, pourrait dépendre de facteurs encore plus complexes que de son affinité avec ses Com Zones, l’éloignant ainsi du simple rituel de la régence ou de la succession suivant le modèle Henri Konan Bédié.
La deuxième hypothèse de cet imbroglio, c’est la résurgence du cumul des postes. Ce malheureux réflexe du parti unique est en train de refaire surface sous Ouattara. Tout se passe alors comme si la Côte d’Ivoire souffrait d’un déficit de ressources humaines, au point d’affecter les mêmes acteurs à de multiples postes. L’argument de la séparation des pouvoirs ou de la bonne gouvernance étant alors une simple démagogie, l’on risque fort de reconstituer les oligarchies artificielles des années 1960-1970 que balayait le coup d’État de 1999.

Or, qu’est ce donc que reconstituer une oligarchie avec des acteurs comme Sidiki Konaté, Alain Lobognon, Kaba Nialé, Cissé Bacongo, Kandia Camara et bien d’autres qui n’en ont ni la compétence, ni l’éthique, pas même l’esthétique ?

À tout le moins, on pourrait souhaiter la part belle à une élite dirigeante dont le mérite, selon Pareto serait d’intelligence supérieure, ou dont l’éthique, selon Aron, serait d’être le fer de lance de la démocratisation de la vie politique.

En dernier lieu, ce gouvernement pléthorique inquiète parce qu’il tient à l’écart la société civile dans la gestion des affaires publiques. On pourrait nous objecter que celle-ci n’existe pas en contexte ivoirien. Soit! Mais il y a tout de même des acteurs à Abidjan, dont la compétence politique touche au domaine des droits de l’homme, de la solidarité sociale, de la sensibilisation citoyenne, de la résistance contre la pauvreté et à la protection des minorités et autres couches vulnérables. Il en existe des hommes et des femmes capables, de par leur savoir-faire, d’aider à limiter l’invasion par la société politique de la société globale, aidant à tenir tête aux effets déshumanisants des perspectives néo-libérales, avec leur retombées essentiellement macro-économiques.
Au demeurant, on ne sera pas à même de combattre la corruption avec des acteurs affectés à la fois à des fonctions cumulées de « ministre-député-maire-conseiller général-secrétaire général du parti-chef d’entrepris-homme d’affaire ». Encore moins, on ne créera pas d’emplois, faisant reculer la pauvreté et l’obscurantisme, tels qu’ils génèrent les occupations faciles de « coupeurs de route » ou de « miliciens » en imitant servilement le passé, au point de faire resurgir ses démons.

Dr David N’goran
Université de Cocody-Abidjan
IEP Strasbourg

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