Côte d’Ivoire – Le beau-fils de Gbagbo, Stéphane Kipré sort de son silence (Interview)

Interview Stéphane Kipré: 11 mois après la chute du régime Gbagbo – Stéphane Kipré rompt le silence

Interview réalisée par JMK AHOUSSOU

L’Inter

Il fait partie des plus fidèles restés avec l’ex-président de la République, Laurent Gbagbo, jusqu’à sa chute. Stéphane Kipré, depuis lors vit en exil comme bon nombre de cadres proches du régime déchu. Onze (11) mois après tous ces événements, le président de l’Union des nouvelles générations (UNG), qui a observé jusque-là l’omerta, a décidé de rompre le silence. Pour sa première sortie, il a choisi de se confier à  »L’inter », dans cet entretien direct, sans faux-fuyant, à travers lequel il dit ses vérités.

Que devient Stéphane Kipré?

Je suis ce que j’ai toujours été.

Vous êtes resté silencieux pendant près d’un an. Comment expliquez-vous ce silence ?

C’est vrai qu’un responsable politique en exil est exposé au risque d’être oublié. Donc, certains hommes politiques parlent juste pour répondre au souci de ne pas se faire oublier. Moi, je ne pense pas comme cela. Je pense qu’il ne faut pas parler pour juste parler. Il faut parler pour apporter un plus. Il me fallait beaucoup observer et analyser les événements avant toute chose. C’est ce que j’ai fait. Il y a beaucoup de choses dites sur mon silence, mais on ne pourra jamais empêcher les gens de dire ce qu’ils veulent.

Comment avez-vous vécu les derniers instants du régime?

Je ne dirais pas les derniers instants du régime, mais plutôt la mort de la démocratie en Côte d’Ivoire. Eh bien, j’ai été endeuillé comme tous les Ivoiriens épris de justice, de vérité et de tolérance. Vous savez quand vous dirigez un parti politique dont la dénomination est  »Nouvelle Génération » et l’idéal politique privilégie l’avenir, vous avez forcément mal quand les événements compromettent la démocratie et la paix. La Côte d’Ivoire est dans sa 52è année, ce qui s’est passé pour moi est un recul de plusieurs dizaines d’années.

Pour vous qui étiez au bunker, comment avez-vous quitté Abidjan?

Ce n’est pas comment j’ai quitté Abidjan qui est le plus important, c’est pourquoi un changement de pouvoir peut-il contraindre des milliers d’Ivoiriens à quitter le pays? Ce n’est pas la 1ère fois qu’il y a changement de pouvoir en Côte d’Ivoire, mais quelle est la particularité de celui-là pour qu’on puisse partir en exil? Même quand la Côte d’Ivoire a connu son 1er coup d’État en 1999, il n’y a pas eu autant d’Ivoiriens qui se sont retrouvés en dehors du pays que celui de 2011. Donc, la véritable interrogation c’est de savoir pourquoi les Ivoiriens fuient-ils ce pouvoir-ci?

Comment vivez-vous l’exil?

Je ne sais que vous répondre. Vous parlez bien d’exil. Comment voulez-vous que je juge mon exil? Comme j’aurais jugé mes vacances? On ne juge pas quelque chose qu’on est contraint de faire. Je retiens que l’exil enseigne. En ce qui me concerne, je retiens que l’exil m’inspire et me permets de progresser dans la rédaction de mon livre qui paraît bientôt.

Vous préparez la sortie d’un livre? Pour parler de quoi?

L’Etat d’exception dans lequel les Ivoiriens vivent aujourd’hui passera un jour. Il faut donc les préparer à la Côte d’Ivoire qu’ils méritent. C’est pourquoi j’ai décidé de publier ma vision pour la Côte d’Ivoire des  »Nouvelles Générations ».

C’est peut-être l’environnement dans lequel vous vivez en ce moment qui vous inspire. Où êtes-vous en ce moment?

Je me trouve partout sauf là où je devrais être, c’est-à-dire dans mon pays, la Côte d’Ivoire.

Etes-vous en contact avec votre beau-père Laurent Gbagbo? Et comment avez-vous vécu son transfèrement à la Haye?

Si vous voyez les choses en termes de beau-père, alors l’endroit n’est pas indiqué pour que j’en parle. Je ne parle pas de mon beau-père dans une interview. Mais, si vous voulez que l’on parle du président élu et renversé Laurent Gbagbo, alors je vous dirais que c’est le jour de son transfèrement que j’ai compris qu’en réalité, la réconciliation en Côte d’Ivoire n’était qu’un slogan politique pour le pouvoir actuel.

Vous voyez bien que la commission mise en place pour la réconciliation est au point mort malgré la bonne volonté de ses dirigeants. Mais, je peux vous assurer que la vérité en Côte d’Ivoire triomphera et on verra bien qui doit être à la CPI et qui ne doit pas y être.

Parlant de réconciliation, votre parti L’UNG est rentré dans la nouvelle LMP de Gervais Coulibaly. Est-ce avec votre caution?

Je n’ai donné ma caution à personne pour parler avec cette organisation appelée la ligue, et l’UNG n’en fait pas partie. Je pense qu’ils disent que le combat que nous menons reste commun, alors il n’y a pas nécessité de créer d’autres organisations en dehors du CNRD que nous devons rendre fort en redynamisant nos partis politiques respectifs. J’ai dit aux camarades qui ont failli se laisser tenter par cette aventure de faire attention, car les actes que nous posons doivent être inspirés par le passé, le présent et le futur. Nous nous sommes compris. Je veille au grain.

Refusez-vous le dialogue, puisque l’objectif de la ligue dans laquelle vous refusez d’entrer est d’instaurer un dialogue républicain avec le pouvoir en place?

Je ne suis pas fermé à la discussion, ni au dialogue, mais la discussion et le dialogue ne se quémandent pas. D’ailleurs, je pense que le vrai dialogue en Côte d’Ivoire devra se faire entre Gbagbo Laurent et Alassane Ouattara. Je ne vois pas quel dialogue peut se mener en dehors de l’un d’eux. Ne nous trompons pas volontairement d’interlocuteur. Le jour où il devrait y avoir le véritable dialogue en Côte d’Ivoire, je ferai partie de la délégation conduite pas Laurent Gbagbo et personne d’autre.

Vous donner l’impression de rester fidèle à Laurent Gbagbo, pourtant il se raconte que vous le vilipendez en privé…

Ceux qui le pensent et qui le disent, ce sont ceux qui le vilipendent, pas moi. Je suis un homme de conviction et j’assume mes choix. Qu’ils arrêtent de croire qu’ils pourront utiliser Stéphane Kipré ou l’UNG pour le fragiliser. Personne ne pourra utiliser l’UNG encore moins Stéphane Kipré pour affaiblir le combat de Laurent Gbagbo. C’est une vaine tentative.

Votre regard sur les mésententes qui minent la  »Galaxie Gbagbo » en ce moment entre LMP, nouvelle LMP, FPI, CNRD, etc?

Certains de nos amis se font manipuler par le pouvoir en place qui veut se créer une opposition à son goût. Voici un pouvoir dont le seul programme de gouvernement est manifestement de faire oublier Laurent Gbagbo. C’est une très grosse erreur d’appréciation de leur part. Il faudrait que ceux qui se disent membres du CNRD arrêtent de penser à leurs intérêts individuels. Je pense que les malentendus vont passer et n’auront aucun effet sur notre combat commun. En Afrique, à la veille des formations des gouvernements, vous voyez beaucoup de mouvements au sein des formations politiques, c’est tout. Mais, nous devons rester forts et unis si nous voulons gagner le combat de la restauration de la démocratie en Côte d’Ivoire.

Quels commentaires faites vous de la gestion du pouvoir Ouattara?

Aucun! Mais je me pose la question de savoir quelle définition donner à un pouvoir où il y a des prisonniers politiques, où la liberté de presse est terriblement mise en péril, où on fait ouvertement la promotion du tribalisme en prônant  »le rattrapage », où l’opposition ne peut pas tenir des rassemblements sans être agressée, où il y a tous les jours des exactions sur les populations par des hommes en armes sans formation qu’on veut faire passer pour l’armée régulière, où les arrestations arbitraires se multiplient parce que tout le monde, même les nouveaux-nés, sont soupçonnés de préparer un coup d’État, où il y a une Assemblée Nationale à pensée unique, où la Constitution est violée tous les jours, où la continuité administrative de l’État n’existe plus, etc. Un tel pouvoir, je ne sais comment commenter sa gestion puisque je ne connais pas un seul mot qui puisse le qualifier.

Et que pensez-vous du tout nouveau gouvernement?

Un gouvernement répond aux objectifs d’un chef d’État. Ne connaissant pas les objectifs de M. Alassane Ouattara, je ne peux me permettre de faire un commentaire objectif. Mais, je remarque seulement que deux éléments dans ce gouvernement sont en contradiction avec ce qui est dit. Le premier élément, c’est que lorsqu’on parle de minimiser les dépenses de l’État, on ne met pas en place un gouvernement de 40 portefeuilles alors qu’il a été promis la mise en place d’un gouvernement maximum de 25 ministres fait de technocrates.

Le 2è élément qui retient aussi mon attention c’est d’avoir un chef d’État, chef suprême des Armées, ministre de la Défense. Cela n’arrive souvent que dans les pays en guerre. Pourquoi veut-on faire croire aux Ivoiriens que la crise est finie dans un pays où le président de la République est ministre de la Défense?

L’actualité, c’est aussi le départ de Soro Guillaume de la Primature et son arrivée à la tête de l’Assemblé Nationale…

La seule chose que je puisse dire c’est que les deux principaux objectifs pour lesquels il a été nommé Premier ministre depuis 2007, c’est-à-dire le désarmement et l’unicité des caisses de l’État, n’ont jamais été atteints. A propos de sa nomination en tant que 2è personnalité de l’État et sa célébration, le tout dans une autre violation de la Constitution, je m’interroge sur la morale qui en découle. Est-ce que les gens s’interrogent sur l’impact de cette décision sur l’éducation des jeunes Ivoiriens?

Parlons maintenant de l’actualité en Afrique. Que pensez-vous de ce qui se passe dans le Nord du Mali?

Ce qui se passe au Mali est une rébellion comme toutes celles que l’Afrique a connue. Des rebellions qui sont suscitées en ayant pour bases-arrières les pays voisins. Ensuite, on encourage les pouvoirs démocratiquement élus à discuter et à partager le pouvoir quand la rébellion a du mal à avancer. C’est ce qui se passe actuellement au Mali, et c’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Tant qu’on aura cela comme mode de traitement des rebellions, on ne pourra jamais s’en débarrasser dans nos pays africains.

Les élections au Sénégal…

J’ai tout d’abord été surpris avant le 1er tour des réactions du président Wade suite a l’intervention de la communauté internationale sur sa candidature. Entendre Wade parler de souveraineté d’un État ou même son refus de voir l’Occident intervenir dans les affaires intérieures du Sénégal m’a fait sourire. Il faut que les chefs d’État africains comprennent que ce que la communauté internationale les utilisera pour faire quand il s’agit des autres pays africains, sera la même chose quand il s’agira d’eux .

Il n’existe pas de pays qui ont une souveraineté et d’autres pas. Maintenant en ce qui concerne les élections, je pense que le président de l’APR, Macky Sall, a de très fortes chances d’être élu. C’est une fierté pour nous qu’un allié politique de l’UNG soit en voie d’écrire une nouvelle histoire pour son pays. Le Sénégal a de très bonnes perspectives s’il est élu.

Et les élections en France et en Amérique…
Je pense qu’il est trop tôt pour aborder la question des élections aux USA. C’est encore dans 8 mois, mais surtout que les Républicains n’ont pas encore choisi leur candidat. Beaucoup de choses peuvent se passer. Concernant la France, quel que soit le président élu, il faudrait vraiment qu’il redéfinisse ses relations avec les pays africains et mette fin a la fameuse  »France-Afrique ». Sans rien attendre du candidat socialiste, je pense que pour la dignité et l’avancée de la démocratie vraie en Afrique, le président sortant ne devrait pas être réélu. Mais, le choix revient aux Français. On verra bien le 6 mai prochain.

Le conflit en Syrie?
C’est dommage toutes ces pertes en vie humaine. Mais, tant qu’on pensera que la solution est une intervention extérieure, une solution ne pourra être trouvée à leur crise. Faites un peu le bilan des interventions des forces internationales dans les pays et vous verrez. Aujourd’hui, la Libye est instable. On parle même de sécession, les milices règnent en seigneur. En Côte d’Ivoire, on veut bien nous faire croire que tout va bien mais la vérité est en face.

Donc pour moi, le facteur premier et le plus important pour que la crise syrienne trouve une solution est que la communauté dite internationale arrête d’attiser le feu dans l’objectif de venir jouer les pompiers. On ne résous pas une crise en voulant la mise à l’écart de certaines personnes aux profits d’autres. Je pense que c’est ce qui justifie le refus de la Russie et de la Chine du vote d’une résolution autorisant une intervention militaire extérieure.

Nous sommes à la fin de notre entretien. Qu’est-ce que vous regrettez le plus aujourd’hui?

Rien. Absolument rien, car on ne peut pas regretter d’avoir été du coté de la vérité.

A quand votre retour en Côte d’Ivoire, sinon, qu’est-ce qui vous bloque encore à l’étranger?
Je rentrerai en Côte d’Ivoire lorsque le peuple de Côte d’Ivoire aura décidé que je rentre. Mais aussi quand je saurai où dormir.

Où dormir?

Oui! Ma résidence principale est devenue un camp occupé par une cinquantaine de Frci. C’est cela la solution trouvée en Côte d’Ivoire pour loger les troupes de combattants? C’est vraiment dommage pour notre pays… Je voudrais encore une fois dire aux Ivoiriens de tenir bon et de tenir ferme, car quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit par se lever. Les sages en Afrique nous disent que quelle que soit la force d’un individu, il a toujours besoin d’autrui pour porter son cercueil.

Donc, un jour viendra où ceux qui pensent être les plus forts comprendront que la Côte d’Ivoire a besoin de tous ses fils pour la construire. Refusons d’entretenir la haine, et recherchons les solutions véritables pour une réconciliation réelle dans l’intérêt de tous. Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire. C’est DIEU qui est fort…

Interview réalisée par JMK AHOUSSOU
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