France – Pour qui voteraient les immigrés africains

France – Pour qui voteraient les immigrés africains

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Les Africains installés en France observent la campagne présidentielle avec un sentiment qui mêle frustration de ne pouvoir voter et envie de donner un avis. Reportage.

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Dimanche 15 avril à Paris. Le temps est maussade, il fait carrément froid. Au quartier de la Goutte d’Or, dans le XVIIIe arrondissement, on se réchauffe comme on peut. De jeunes gens ont, par exemple, transformé le parvis de l’église Saint Bernard (VIDEO) en terrain de football. De temps à autre, le ballon de ces sportifs du dimanche vient frapper avec force les panneaux d’affichage des dix candidats à l’élection présidentielle française installés sur le trottoir d’en face.

Beaucoup de ces affiches sont d’ailleurs déjà bien déchirées, alors que le premier tour du scrutin se déroule dans seulement quelques jours. Mais les joueurs n’en ont cure, et continuent d’envoyer le ballon se perdre contre le mur de l’école élémentaire qui servira de bureau de vote, le 22 avril et le 6 mai.

Si ces affiches de campagne électorale sont ainsi «maltraitées», c’est aussi parce que beaucoup des habitants du quartier savent déjà ce qu’ils feront dimanche prochain: ils n’iront pas voter. Non pas par désir de gonfler le taux d’abstention, présenté comme un des risques du premier tour de cette présidentielle, mais parce qu’ils ne peuvent pas voter.

La fièvre de Barbès

Le quartier de la Goutte d’Or, comme ceux tout proches de Château-Rouge et de Barbès, accueille en effet une grande communauté d’Africains. Beaucoup parmi eux sont installés en France depuis des années, d’autres encore sont arrivés depuis peu. Mais, difficile d’en trouver qui soient Français, et donc qui aient le droit de vote.

On pourrait donc croire que l’effervescence qui se fait chaque jour plus grande, à mesure que la date du scrutin approche, ne les concerne pas. On pourrait penser que les débats, de plus en plus tendus entre les différents candidats, les laissent de marbre. On pourrait se dire qu’ils ne pensent rien de tout cela. Et pourtant…

Abdoulaye Bâ est un Guinéen d’une cinquantaine d’années. Il vit et travaille dans un atelier de couture de la Goutte d’Or. Ce dimanche après-midi, il est assis sur un banc du square Saint-Bernard, juste en face de l’église, et il regarde les jeunes jouer au foot. Il s’étonne presque de s’entendre demander s’il suit la campagne:

«Si tu vis ici, tu es obligé de suivre la politique. Je ne peux pas voter, mais ça m’intéresse», répond-il, d’un ton posé.

Abdoulaye raconte ensuite comment les soirs, devant la télé, ses «frères» et lui se surprennent parfois à pester contre un des candidats.

De toute évidence, les sujets qui l’interpellent le plus portent sur l’immigration et l’emploi. Il pique une colère noire, pour ainsi dire, lorsqu’il entend Marine Le Pen, la candidate du Front national, dérouler son programme. Abdoulaye Bâ est en situation régulière en France, mais il a beaucoup d’amis et de «frères» du bled qui sont sans-papiers en France. Alors, il dit être encore moins rassuré lorsqu’il entend Nicolas Sarkozy annoncer un autre tour de vis, s’il est réélu:

«Peut-être que si les autres reviennent, ça se sera mieux. Il faut voir. En tout cas, on espère.»

Ces «autres» dont parle Abdoulaye, c’est François Hollande, le candidat du Parti socialiste.

Espoirs à gauche

Dans la plupart des quartiers à forte concentration d’immigrés africains, beaucoup rêvent d’un retour de la gauche aux affaires. Ils s’imaginent que les lendemains seront «moins stressants» et qu’ils seront «moins stigmatisés». C’est du moins ce que pense Angélique, une Camerounaise qui tient un petit troquet au quartier Guy-Môquet, dans le XVIIe arrondissement de Paris.

Debout derrière son comptoir, elle domine de sa voix forte les quelques cinquante mètres carrés qui lui servent de restaurant dans la rue Legendre. On n’entend qu’elle dans ce lieu, pourtant déjà fort bruyant. Quand Angélique parle de politique, aucun analyste ne lui arrive à la cheville:

«Moi je vous dis que la gauche va passer. De toutes les façons, ils n’ont pas le choix. Ils doivent gagner», clame-t-elle, comme si elle voulait conjurer un mauvais sort.

Puis, déchaînée, une bouteille de bière à la main, elle déroule son parcours en quelques phrases. D’abord clandestine à son arrivée en France, c’est sous le dernier gouvernement de gauche, avec Lionel Jospin comme Premier ministre (de 1997 à 2002), qu’elle avait pu être régularisée. «Sur ces questions, quoi que l’on dise, la gauche est plus ouverte, plus souple», affirme-t-elle, avant de regretter de n’avoir pas pu assister au grand meeting que donnait François Hollande ce dimanche-là.

«Mais il faut que je cherche mon argent. Est-ce que c’est le meeting qui me fait manger?», répond alors Angélique, du tac au tac. Pas folle du tout, la guêpe!

Realpolitik

L’enthousiasme de la jeune femme cède soudain la place à un certain réalisme. Elle est loin de penser que dans le cas d’une alternance, l’on assistera à des régularisations massives.

En remontant la rue Legendre, vers la station de métro Guy Môquet, Félicien Akouavi est en pleine conversation avec des «compatriotes ivoiriens», devant une téléboutique. Le mauvais temps qu’il fait en ce milieu de printemps à Paris, ne l’empêche pas d’être vêtu d’un boubou africain. Encore moins de s’enflammer à l’évocation de ses attentes par rapport à la présidentielle de 2012:

«Moi je ne vote pas. Mais ma femme va voter Hollande. Avec ce que Sarkozy a fait en Côte d’Ivoire, je ne pourrais pas voter pour lui, même si j’étais électeur», explique-t-il, visiblement remonté contre la façon dont, selon lui, la France s’est «ingérée» dans la crise ivoirienne.

Alors, son cœur bat à gauche de la gauche.

Le cas Mélenchon

«Je suis plutôt pour Mélenchon. Si je pouvais voter, je voterais pour lui, explique Félicien, toujours remonté comme un coucou suisse. Il parle bien et il dit la vérité. On comprend ce qu’il dit. Les autres sont trop hermétiques.»

S’il est vrai que le discours du candidat du Front de Gauche séduit beaucoup d’immigrés africains en France, ils sont tout aussi nombreux à se demander les marges de manœuvre qu’il aurait réellement, s’il était élu. C’est ce que se demande Ernest, l’un des Ivoiriens qui refaisaient le monde avec Félicien Akouavi, devant la téléboutique du métro Guy-Môquet.

D’ailleurs, Ernest, lui, ne croit en personne. Il suit peu la campagne et les propositions des différents candidats à l’Elysée:

«A quoi ça me sert? Tant que je peux travailler, je ne demande rien d’autre. Et puis, gauche ou droite, c’est pareil. C’est bonnet blanc, blanc bonnet, comme ils disent eux-mêmes. Je ne crois pas que ça va changer grand-chose pour les immigrés et tous les autres sans-papiers», conclut-il, un peu sceptique.

Même s’il est impatient de voir quelle sera la configuration à l’issue du premier tour.

Raoul Mbog

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