A quel jeu dangereux joue Charles Konan Banny ?

Auteur: Ahmed Traore – Source: Lebanco.net

Il y a quelques semaines, les Ivoiriens ont découvert un matin dans la presse, à leur réveil, une déclaration plutôt étonnante d’un certain Karim OUATTARA, présenté comme étant un des préposés de Charles Konan Banny, ci-devant Président de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation ( CDVR ), annonçant que cette Institution, pour favoriser le retour des exilés LMP, envisageait de réparer leurs résidences pillées pendant la crise post électorale. Les nombreuses victimes de cette guerre, qui sont demeurées au pays bien qu’ayant tout perdu, n’ont pas compris cette générosité de la CDVR et, dans plusieurs « grins » d’Abidjan, on a pu entendre des citoyens désabusés se demander:  » Qu’avons nous bien pu faire au nouveau régime pour qu’il nous traite de la sorte? Pour avoir soutenu Alassane OUATTARA, nous avons été victimes des hommes de Laurent Gbagbo qui ont exercé sur nous les pires violences possibles et imaginables. Nos parents on été tués, ou mutilés. Nos biens, notamment nos maisons et commerces, ont été entièrement pillés, si bien qu’aujourd’hui certains d’entre nous peinent à se relever quand d’autres ont carrément déclaré faillite, et vivent d’expédients désormais. Depuis l’hôtel du Golf, le Président Alassane OUATTARA avait promis de dédommager toutes les victimes de ces pillages. Mais depuis plus d’un an qu’il tient effectivement les rennes du pouvoir, cette promesse n’a pas encore connu un début de réalisation. On n’en parle même plus. Et subitement, voilà que ce sont les principaux responsables de cette catastrophe, ceux-là même qui nous ont causé tous ces grands malheurs et ont déménagé volontairement dans les pays voisins d’où, du haut de leur arrogance, se la coulent douce avec nos milliards volés du temps de leur splendeur, nous narguent et menacent de déstabiliser le nouveau régime, qui vont bénéficier de la réhabilitation de leur résidences, comme une prime à leur insolence et à leur manque de repentir. C’est injuste, injurieux, et révoltant. Banny voudrait se foutre de nous qu’il ne s’y prendrait pas autrement « .

Alors qu’ils n’ont pas encore fini de ruminer ce choc émotionnel, voici que le même Karim OUATTARA, parlant avec plus d’assurance que la fois précédente, remet le couvert de ses incongruités en déclarant sur le ton de la colère, que la CDVR désapprouve l’arrestation de certains activistes pro-Gbagbo, parce que de tels actes compromettent leur oeuvre de réconciliation en cours, arrestations qui, selon lui, ne se feraient même pas selon les règles de l’art. En d’autres termes, la CDVR déplore l’arrestation irrégulière des Lida Kouassi et autres, grands ou petits conspirateurs du FPI, qui ont choisi désormais comme profession de fomenter à longueur de journées de funestes complots contre la sûreté de l’État et la sécurité des Ivoiriens. Point n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’illustre inconnu qu’est Karim OUATTARA, sorti de nulle part et qui n’est même pas membre de cette Commission, ne peut se permettre d’affirmer de sa propre et seule initiative des choses aussi graves. Il n’est que la voix de son maître, le porte-voix de Charles Konan Banny qui lui fait dire ce qu’il ne peut pas ou ne veut pas dire lui même, soit par calcul politique, soit encore, ce qui est plus probable, par manque de courage de celui que les Ivoiriens ont découvert sous Gbagbo comme un tigre en papier. Alors, on peut se poser la question suivante: que nous veut au juste Charles Konan Banny?

En effet, voici quelqu’un qui ne manque pas d’air. Depuis sa nomination à la tête de la CDVR, il n’a posé aucun acte déterminant pour la réconciliation nationale, ne sachant visiblement pas par où commencer sa mission. Et pourtant, il ose reprocher aux services de sécurité de veiller sur la sécurité de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, au motif que leur action compromet une réconciliation qu’il est le seul à voir se construire.

Lorsqu’on lui a reproche d’être coupable ou complice de la fuite du Commandant-criminel de guerre Abéhi, il se plait à répondre invariablement, comme il l’a fait encore récemment lors des « grandes rencontres de Fraternité Matin », qu’il n’est pas « Ministre de l’Intérieur chargé de surveiller chaque Ivoirien ». Mais peut-être est-il devenu maintenant Ministre de la Justice ou Ministre des Droits de l’Homme pour aller jusqu’à porter un jugement de valeur sur les circonstances et les conditions des arrestations opérées par les services de sécurité ou les tribunaux, et exiger que  » ces arrestations se fassent conformément aux procédures légales en cours.
En effet, invité des rédactions du quotidien « Fraternité Matin » le jeudi 14 Juin dernier, Charles Konan Banny, le Président de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation, répondant à une question d’un journaliste se rapportant au cas du Commandant Abéhi qui a disparu de la circulation après qu’il l’eût conduit au Premier Ministre Soro Guillaume, et dissimulant difficilement sa colère, a répondu ceci, entre autres: « …. Le Commandant Abéhi a accepté de venir parce que c’était moi qui le lui demandais et que j’étais le Président de la CDVR. Je ne suis pas chargé de la surveillance de chaque ivoirien. Je suis chargé de réconcilier les ivoiriens et de vider les abcès…. » Cette réponse du Réconciliateur, à l’instar de beaucoup d’autres qu’il a données au cours de ce long entretien, n’est pas satisfaisante, loin s’en faut, et appelle les observations suivantes:

Tout d’abord, il faut lui souhaiter une meilleure réussite dans ses autres initiatives.

Car si elles devaient s’achever toutes comme « l’opération Abéhi », à la fin de sa mission, les ivoiriens seront plus proches de la guerre que de la réconciliation dont il est chargé, parce que cette action a été un échec cuisant. Mais le drame avec Charles Konan Banny, c’est que, persuadé d’être trop intelligent pour les ivoiriens qui ne peuvent donc pas suivre son rythme de génie surdoué, il ne se remet jamais en cause. Il continue sa route sans désemparer, en se disant qu’avec le temps, et l’aide de Dieu, les autres, c’est-à-dire les  » tarés  » qui ne comprennent rien et osent le contredire, finiront bien par le comprendre un jour. Sinon, comment comprendre que dans la même interview, il se tresse des lauriers pour son passage à la Primature, là où la terre entière a plutôt noté sa bérézina?

Une large frange des ivoiriens désapprouvent son initiative dans l’affaire Abéhi. Et si Banny n’avait pas été Banny et avait eu l’humilité d’entrer en lui-même pour méditer sur les raisons de leur mécontentement, plutôt que de se vexer et de reprocher au journaliste d’être allé trop loin en lui demandant s’il ne se sentait pas coupable de la fuite du Commandant, il aurait saisi l’occasion pour présenter des excuses au peuple. En effet, Charles Konan Banny doit savoir que ses compatriotes ne considèrent pas le Commandant Abéhi comme le « chaque ivoirien » dont il parle, c’est-à-dire le citoyen lambda. Et ils ont raison de penser ainsi sinon, pourquoi jusqu’à ce jour c’est le seul ivoirien dont le Président de la CDVR a pris par la main pour le conduire devant un Premier Ministre, dans le cadre de la Réconciliation? Pour nos compatriotes, Abéhi n’est ni plus ni moins qu’un criminel de guerre qui a fait tirer à l’arme lourde sur des manifestants aux mains nues, notamment avec un char de guerre à Abobo sur des pauvres femmes « armées » seulement de leurs bouches qui ne prononçaient que des slogans démocratiques, et de pancartes en carton ondulé; un criminel de guerre qui a fait tirer à l’aveuglette des roquettes et des obus dans des marchés; un criminel de guerre qui a fait violer moult femmes, etc, etc… Et quand ils ont vu Charles Konan Banny le conduire chez Guillaume Soro pour parler de réconciliation, alors que leurs coeurs meurtris de douleur saignaient encore, et que le Réconciliateur national qu’il est censé être ne leur avait encore adressé aucune parole de réconfortant, ils ont conclu à un mépris à leur égard. Par la suite, et c’est dans de tels détails que le diable se cache, quand une information sortie de nulle part leur est parvenue, faisant état de ce que la mère du Commandant Abéhi était une femme baoulé de Yamoussoukro, de surcroit parentée au Président de la CDVR, ils en ont tiré la conclusion que ce dernier était tout simplement en train de manoeuvrer pour blanchir son neveu criminel de guerre devant l’éternel. Cela leur a profondément déplu, et ils l’ont fait savoir en poussant de hauts cris, qui sont certainement parvenus aux oreilles de Charles Konan Banny. Et lorsque, quelques jours plus tard, la nouvelle de la fuite d’Abéhi a été confirmée, certains ivoiriens n’ont pas hésité à franchir le Rubicon en accusant Banny d’avoir aidé son neveu à fuir pour se mettre à l’abri, ayant constaté l’échec de sa tentative de le blanchir. C’est ce message du peuple que le journaliste a voulu transmettre à Charles Konan Banny en lui demandant s’il ne se sentait pas coupable de la fuite d’Abéhi, et le Président de la CDVR a tort de le prendre de si haut. Il doit savoir qu’aujourd’hui, dans l’opinion publique, son nom est lié à celui d’Abéhi, et que le trait d’union entre les deux noms est la profonde amertume des ivoiriens. Et voici le message qu’ils souhaitent transmettre à M. Banny:  » Il parait que Banny veut aller rencontrer Gbagbo à La Haye. Comme il a envie de se promener, il peut y aller. Mais demandez lui, en partant, de passer par là où se trouve actuellement Abéhi, puisqu’il connait ses cachettes, pour lui demander d’arrêter de concocter des plans de coups d’État, comme nous l’a montré récemment le Ministre de l’Intérieur, parce que nous sommes fatigués et que nous voulons vivre en paix maintenant. Dites-lui aussi d’attendre que Laurent Gbagbo soit transféré en Ouganda, comme le  » prophétisent  » ses partisans ces temps derniers, pour aller lui rendre visite. Comme c’est en Afrique, le billet d’avion pour cette goguette coutera certainement moins cher aux pauvres contribuables ivoiriens que celui pour la La Haye « .

Il est déplorable que le nouveau Ministre autoproclamé de la Justice ou des Droits de l’Homme nommé Charles Konan Banny n’avait rien trouvé à dire lorsque les miliciens et mercenaires pro-Gbagbo avaient massacré des civils et des militaires à l’Ouest, dont sept (07) casques bleus nigériens de l’Onuci. Ni message de condamnation de ce lâche assassinat, ni message de compassion à macabre et douloureuse condition. Dès lors, Charles Konan Banny peut-il reprocher à quelqu’un de voir dans son indignation à géométrie variable un parti pris flagrant en faveur du camp Gbagbo?

Restaurer les maisons des exilés FPI pillées pendant la guerre post électorale? Se plaindre parce que des membres de l’ex galaxie patriotique ont été interpellés? Bizarre, bizarre! Et si cette sortie de Banny via Karim Ouattara n’était qu’une façon d’empêcher que son …neveu ne soit capturé là où il se croit planqué ? Et si Banny cherchait à se montrer aimable à l’égard du FPI dans l’espoir que ce parti s’en souvienne lorsqu’il sera candidat à la Présidence de la République, son agenda de moins en moins caché? Ça s’appelle un investissement à terme. Et l’ancien banquier central sait ce que signifie ce mot.

Ahmed Traore

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