La Communauté internationale ? L’Afrique en est-elle membre ?



Qu’est-ce que la Communauté internationale ? L’Afrique en est-elle membre ?

Libre Opnion Par Dr René N’Guettia Kouassi (Ph) – Directeur des Affaires économiques

Ces questions sont insolites, à première vue. Mais à y réfléchir, elles méritent d’être posées. En effet, depuis l’avènement de ce que l’on appelle désormais le Printemps arabe, le concept de « Communauté internationale » est abondamment utilisé dans les médias, tous genres confondus, et dans les instances internationales traitant des questions de paix et sécurité, de droits humains et de démocratie.
La Communauté internationale est surtout évoquée lorsque les conflits éclatent à travers le monde. Ainsi, les conflits politiques, dans le sillage du renouvellement des mandats politiques, et les conflits armés nés de frustrations pluridimensionnelles ou revêtant l’allure de révolutions de palais ou de rebellions armées pour mettre fin à des régimes trentenaires s’apparentant à des dynasties, constituent des occasions où le recours à la « Communauté internationale » devient la norme. En effet, le règlement de ces conflits doit se fonder sur une autorité supranationale dont les compétences sont universellement admises. Ainsi, lorsque les peuples, pour des raisons diverses, se sentent menacés dans leur existence; lorsque les peuples subissent les affres d’une dictature qui foule aux pieds les droits humains et les libertés civiques; lorsque les peuples, à travers le monde, expriment des besoins de démocratie, de justice, de protection, de paix et même de transparence dans la gestion des affaires publiques, le premier réflexe qui s’impose à eux est de faire appel à la Communauté internationale.
Tout se passe comme si la Communauté internationale est l’autorité mondiale reconnue de tous et capable d’apporter une solution efficace et durable à toutes les injustices planétaires. En d’autres termes, la Communauté internationale est considérée comme une superstructure nantie du pouvoir économique et politique lui permettant de réparer toutes les inégalités, toutes les fautes ou toutes les exactions dont sont victimes les peuples. De ce point de vue, elle est supposée répondre aux cris de cœur lancés par toutes les communautés humaines, où qu’elles vivent, qui se trouveraient en danger. Hier dans des pays comme le Libéria, la Sierra Léone, la Libye, la République démocratique du Congo, le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Mozambique, le Liban, le Vietnam, le Cambodge, la Côte d’Ivoire, etc., à certaines périodes de leur histoire, la Communauté internationale a été sollicitée pour contribuer à l’établissement d’un équilibre politique et social. Aujourd’hui, des pays comme la Somalie, la Syrie, la Palestine, etc., y recourent pour les mêmes raisons.
En somme, partout où des crises politiques et sociales graves se sont produites dans le monde, l’on a fait appel à la Communauté internationale pour contribuer à rétablir l’ordre et à réinstaurer la paix, à travers les principaux leviers d’intervention, notamment les Nations Unis et l’ensemble des institution de son système; les institutions de Bretton-Woods; l’OTAN; des organisations régionales telles que l’Union européenne, l’ASEAN, l’Union africaine et ses CER, le MERCOSUR, l’ALENA, la Ligue arabe, etc.. Certes, la Communauté internationale est régulièrement sollicitée à travers le monde pour réparer les torts, corriger les injustices, maintenir et consolider la paix, et soutenir les processus de croissance et de développement, afin d’éradiquer la pauvreté et la misère. Mais il est à souligner que l’aspect salvateur de ses interventions n’occulte pas les critiques souvent acerbes exprimées à son endroit.
En effet, la Communauté internationale est fréquemment taxée de partialité ou de pratiquer une politique de « deux poids deux mesures » dans ses interventions à travers le monde. Mais pour les besoins de la cause, nous taisons volontiers cet aspect maintes fois souligné par les pourfendeurs de la Communauté internationale. Mais, paradoxalement, l’on recourt à la Communauté internationale ou l’on s’interroge sur son rôle dans le monde sans connaître tous les contours théoriques et pratiques de son existence.

Qu’est-ce alors la Communauté internationale ?
Pour répondre à cette interrogation, il n’existe pas de définition scientifique recueillant un consensus universel. Chacun peut lui trouver une réponse en fonction de sa compréhension du monde et des relations internationales, ou encore sur la base de ses convictions idéologiques. Toutefois, une esquisse de définition peut s’articuler autour des éléments liés au poids économique, à la puissance militaire, à la possession de l’arme nucléaire et au droit de véto au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Dans une telle perspective, l’on peut tenter d’arguer, sans trop de risques, qu’est membre de la Communauté internationale tout pays ou toute nation qui a un poids économique substantiel (que l’on peut mesurer par sa part dans le volume des échanges internationaux ou par sa part dans la consommation mondiale), une puissante force de frappe et de dissuasion nucléaire, un droit de véto au Conseil de Sécurité des Nations Unies, etc..
Il est évident que tout pays qui jouit aujourd’hui de toutes ces prérogatives est à même de faire entendre sa voix dans le concert des Nations. Un tel pays compte et est consulté, écouté et respecté dans la gestion des affaires du monde. C’est actuellement le cas de pays comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Chine, qui non seulement sont dotés d’une force de dissuasion nucléaire, mais aussi sont co-gestionnaires des principaux leviers de gestion de l’économie mondiale et jouissent d’un droit de véto au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Aux côtés de ce premier groupe de pays, il y a des pays qui ne disposent certes pas de l’arme nucléaire, mais qui doivent leur carte de membre de la Communauté internationale à leur poids dans l’économie mondiale. Ces pays disposent cependant d’armées hyper-équipées en armements conventionnels et peuvent contribuer au financement d’opérations militaires, pour des raisons humanitaires, à travers le monde. C’est le cas de l’Allemagne, du Japon, de l’Italie. Il y a également un troisième groupe de pays, essentiellement parmi les économies émergentes, qui sont membres de la Communauté internationale, moins en raison de la taille de leurs économies qu’en raison de la possession de l’arme nucléaire. Au nombre de ces pays figurent Israël, le Pakistan, l’Inde et la Russie. Enfin, il y a un quatrième groupe de pays qui, de par leur rôle de locomotive ou de moteur de la croissance mondiale, se trouvent dans l’antichambre de la Communauté internationale. Ces pays peuvent être consultés, mais leur avis est rarement pris en compte dans les grandes décisions finales. Des pays comme le Brésil, la Turquie, l’Indonésie, peuvent appartenir à cette catégorie.

Et le bloc des pays d’Afrique, dans cette catégorisation de pays? Quelle est sa place dans la Communauté internationale? Ce bloc en est-il réellement membre?
À la lumière des critères susmentionnés, l’on peut arguer, avec une faible marge d’erreur, que l’Afrique est très loin du compte. L’Afrique, en tant que bloc continental, avec ses 54 États, ses immenses ressources naturelles et sa population qui avoisine le milliard d’habitants, n’est pas membre de la Communauté internationale, au regard des critères établis. L’Afrique a en effet un poids économique insignifiant (moins de 3% du volume des échanges internationaux); elle n’a pas un droit de véto au Conseil de Sécurité des Nations Unies; elle a un retard scientifique et technologique considérable à rattraper avant d’être candidate à la maîtrise du nucléaire, même à des fins civiles. Comment l’Afrique peut-elle être considérée comme membre à part entière de la Communauté internationale, si elle ne remplit aucun de ces critères?
L’avènement du G20, dans le sillage de la crise financière et économique de juillet 2007, qui a connu son paroxysme en septembre 2008, a fait croire au monde entier que dorénavant, la voix des plus pauvres serait écoutée et respectée. Mais n’est-on pas allé trop vite en besogne en affirmant que le G20 était né sur les cendres du G8 et que celui-ci avait tiré sa révérence ?

Dès la naissance du G20, il lui a été confié le mandat de veiller à la gouvernance de l’économie mondiale. Ce mandat consistait, entre autres, à poser des garde-fous pour épargner l’économie mondiale des crises systémiques de la nature de celle de 2008, dont les effets menacent encore d’implosion la zone euro. Ce rôle de surveillance étant désormais confiée au G20, son ainé, le G8, devait se contenter de veiller à la paix et à la sécurité dans le monde. Cette répartition des tâches entre le G8 et le G20 était-elle rationnelle et optimale ? Les pays du G8 ont-ils accepté que le privilège dont ils jouissaient soit étendu aux pays émergents qui, entre-temps, sont devenus la locomotive de la croissance économique mondiale ? Les pays émergents ont-ils toutes les caractéristiques pouvant faire d’eux des partenaires crédibles dans la gestion des affaires planétaires ? Ne sont-ils pas taxés de traîner des boulets comme le non-respect des droits humains, la violation des libertés et le manque de vigilance par rapport à la corruption, sous toutes ses formes ? La persistance de ces boulets dans ces pays leur dénie-t-il le droit de s’impliquer et jouer pleinement leur rôle, aux côtés des pays du G8, dans la cogestion des affaires du monde ? Existerait-il au sein du G20 deux types de pays : ceux qui jouissent de tous les droits (les pays du G8) et ceux qui jouissent de droits limités (les pays émergents) ?
À la réalité, tout porte à croire que c’est le premier groupe de pays qui tient encore les leviers de commande de la gouvernance mondiale et qui semble être l’essence et la substance de la Communauté internationale, n’en déplaise à tous ceux qui voyaient dans l’avènement du G20 une mutation profonde de la gouvernance de l’économie mondiale. Le G20 est moins un embryon de partage de la gouvernance mondiale qu’un forum politique où les pays du G8, le noyau dur des membres de l’OCDE, exercent encore leur pouvoir économique et politique. Les faits sont têtus. Ils illustrent mieux la réalité. Le pouvoir économique et politique établi après la deuxième guerre mondiale a encore de beaux jours devant lui. Ce pouvoir qui gouverne aujourd’hui les institutions de Bretton Woods ignore même que le centre de l’économie mondiale s’est déplacé vers les pays émergents. Tout se passe comme si le monde était encore celui de 1945. La non-élection des candidats du monde en développement à la tête du FMI et de la Banque mondiale en constitue une preuve assez édifiante. La non-élection de la candidate de l’Afrique, Dr Ngozi Okonjo-Iweala, au poste de Directeur général de la Banque mondiale en est l’amère récente illustration. Le G8 restera encore pour longtemps indéboulonnable de sa place et de son rôle de privilégié dans la gouvernance économique et politique mondiale.
Comme le diraient les phonéticiens, le G20 n’est-il pas devenu le « Jeu vain » ? Il revient donc aux pays émergents membres du G20 de mieux fourbir leurs armes, de faire prendre en compte leur poids et de faire clairement entendre leur voix. L’Union africaine doit tout faire pour gagner cette nouvelle bataille pour le repositionnement économique et politique de la planète. Le succès de son programme d’intégration économique et politique, en cours sur le continent, pourrait largement y contribuer.
Comment réussir l’intégration du continent?
Pour réussir son intégration économique et politique, gage de son appartenance effective et à part entière à la Communauté internationale, l’Afrique doit accepter de prendre son destin en main, en s’entourant de tous les atouts endogènes pour mettre activement en œuvre tous les projets intégrateurs régionaux et continentaux.

L’Afrique a déjà adopté son modèle d’intégration. Ce modèle est parfaitement illustré par la Déclaration d’Accra de juillet 2007. Il s’agit de bâtir, par l’entremise des principaux leviers du Traité d’Abuja, les États-Unis d’Afrique. Un tel choix, clairement opéré, requiert que l’Afrique se dote des moyens d’instituer un marché unique continental; une monnaie unique; un parlement panafricain digne de ce nom, dont les membres soient élus au suffrage universel; une cour de justice crédible; et des mécanismes régionaux et continentaux générateurs de ressources propres, à la mesure des ambitions en matière d’intégration.

L’Afrique ne peut compter et être consultée, écoutée et respectée si elle continue d’être constituée d’États indépendants et souverains. Une telle situation recèle en soi des ingrédients de nature à disperser et fragiliser la voix du continent, en plus de rendre celui-ci vulnérable aux chocs exogènes et de l’éloigner davantage du cercle des membres de la Communauté internationale. Si l’Afrique tient à sa carte de membre de ladite communauté, elle doit accepter de :
i) fondre les souverainetés nationales dans le moule de la souveraineté continentale, dans l’esprit d’un partage de souveraineté;
ii) se constituer en « pays-continent, dans la logique des États-Unis d’Afrique »;
iii) se doter d’une politique extérieure conduite par un seul ministre des Affaires étrangères;
iv) avoir une défense commune;
v) convenir d’une politique économique commune, garante de la crédibilité et de la pérennité de la monnaie unique africaine. Si l’Afrique se dotait de tous ces moyens, elle deviendrait d’office membre de la Communauté internationale au sein de laquelle elle pourrait alors affirmer son identité, son indépendance et sa perception ou sa vision dans le traitement des affaires du monde.
La Commission de l’Union africaine, organe exécutif de l’Union, doit à cette fin se doter de capacités réelles d’impulsion, d’innovation, d’intégration et de persuasion, afin d’amener les administrations de ses États membres à adhérer à l’esprit du partage de souveraineté.

Nous rappelons que:
i) Le G8 comprend les pays suivants: États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Canada et Russie.

ii) Les membres du G20 sont les suivants :

a) les huit principaux pays industrialisés qui appartiennent au G8 : États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Canada et Russie ;

b) les Onze pays industrialisés ou pays émergents : Argentine, Australie, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Arabie Saoudite, Afrique du Sud, Corée du Sud, Turquie et l’Union européenne. Le G20, qui comprend donc 19 pays + l’Union européenne, représente les 2/3 du commerce et de la population mondiale, et plus de 90% du produit mondial brut (somme des PIB de tous les pays du monde).

iii) Quant à l’OCDE, elle comprend les 34 pays suivants : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, Corée, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Slovaque, République Tchèque, Royaume-Uni, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie.

Par Dr René N’Guettia Kouassi
Directeur des Affaires économiques
Commission de l’Union africaine
Email: KouassiN@africa-union.org
Email: Renekouacy@yahoo.com

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