Blé Guirao: « Des Frci se sont transformés en occupants de nos terres… »

Interview de Blé Guirao: « Voici ceux qui ont détruit l’Ouest »

L’Intelligent d’Abidjan

Blé Guirao s’est confié à votre quotidien préféré, l’Intelligent d’Abidjan. Le Secrétaire à l’organisation de l’Udpci a fait un tour d’horizon de l’actualité nationale. Dans cette interview-vérité, il tire à boulets rouges sur ses alliés du Rhdp dans le cadre des élections législatives de la circonscription de Bloléquin. Et déclare au sujet de Blé Goudé : ‘’Moi j’ai fait le Golf, si on me dit que Blé Goudé vit, j’en serai le plus heureux’’.

Monsieur Blé Guirao, vous avez été candidat aux dernières législatives, votre victoire, disiez-vous a été volée. Pour le peuple ivoirien, pour les populations que vous avez voulu servir, que s’est-il passé exactement ?

Nous sommes allés aux élections législatives parce que nous voulons servir nos populations. De l’Ouest en particulier, mais en Côte d’Ivoire, un élu, un député en tout cas, c’est celui qui défend les populations. Quand j’ai vu la situation de l’Ouest où véritablement des problèmes se posaient, mais où véritablement le silence criard de certains cadres de la région m’interpellait, avec la bénédiction des parents, je me suis présenté aux élections. Nous y sommes allés en tant que militant croyant du Rhdp, on a voulu aller en rang serré. Nous avons donc négocié avec le Pdci et le Rdr parce que c’est nous trois, qui sommes à Bloléquin. Nous avons tenu un accord de principe le 8 août 2011 qui partageait tous les postes électifs de Bloléquin. C’est-à-dire, les législatifs revenaient au Pdci et à l’Udpci, la mairie au Rdr et les mairies secondaires de Doké et de Ziablo revenaient au Pdci et l’Udpci. Et le Conseil général, car en ce moment, on ne parlait pas encore de Conseil régional, serait attribué au Pdci. Dans cet accord, on ne parlait pas d’individus. On parlait des partis politiques. Quitte à chaque parti de mettre en mission, un de ses cadres. C’est cet accord que le Pdci a refusé ! En disant qu’ils ont besoin des deux postes de députés à Bloléquin. Finalement vous avez vu que le Rdr et l’Udpci ont signé un accord pour aller ensemble sur la même liste. Respectant la lettre et l’esprit du Rhdp.

Votre zone a connu ce qu’on pourrait qualifier de génocide ou de massacres. Pourquoi c’est toujours l’Ouest ?

Le comportement de nos parents est un comportement historique. Pourquoi en 1990 l’Ouest a basculé pour le Front Populaire Ivoirien ? Nos parents se sont dit que de 1960 à 1990, la politique de développement faite par le Pdci-Rda ne leur était pas favorable. Dès lors que Laurent Gbagbo arrive avec son discours populiste, il leur donne de l’espoir. Et pour beaucoup de cadres de la région, c’est le moment opportun. D’où la ruée vers le Fpi. Car les parents ont estimé qu’ils n’avaient pas bénéficié des retombées de la politique du Pdci. Et lorsque Gbagbo est arrivé au pouvoir, les cadres de l’Ouest au lieu de mettre en place une politique de développement de leur région, ils ont plutôt encouragé les mouvements patriotiques parce que pour eux, c’était une façon de s’attirer la sympathie du chef et rester dans les bonnes grâces de Gbagbo. Nos cadres demandaient des moyens pour acheter des armes au moment où les cadres des autres régions utilisaient ces mêmes moyens pour développer leurs régions. Or, quand vous quittez Duékoué pour aller à Toulépleu, il n’y a pas d’usines. Il n’y a pas d’unités agro-industrielles pour prendre en charge le maximum de jeunes. Aujourd’hui, la seule société qui s’y trouve, c’est THANRY. Qui est une société de bois. Or, le bois est en voie de disparition du fait de l’exploitation anarchique de nos forêts. Il y a un véritable problème d’insertion des jeunes. Ce qui fait qu’ils sont obligés de s’adonner à la drogue et aux armes en tant que mercenaires pour survivre. Et nous avons demandé un ‘’plan Marshall’’ au président de la République. Voici pourquoi dans cette région, il y a toujours la guerre. C’est qu’il n’y a rien pour occuper les populations. N’oubliez pas qu’ils étaient nombreux ceux qui ont occupé des postes aux côtés de Laurent Gbagbo. Marcel Gossio, Hubert Oulaï, Pol Dokui, Oulaï Delafosse, Mao Gloféhi et vous avez vu que toute la résistance dite patriotique est partie de l’Ouest. Au point où Laurent Gbagbo dans ses promesses de campagne a dit qu’il allait construire une école de guerre à Guiglo. De deux, il y a ce que j’appelle la non application de la loi foncière. La loi foncière existe en Côte d’Ivoire. Elle a été votée par le parlement ivoirien. Elle est appliquée partout à l’Est, au Centre, et dans le Sud ivoirien. Mais dès que vous franchissez Guéssabo, la loi n’est plus appliquée. Elle est interprétée. Et ce, avec la complicité de nos élus. Ailleurs, on loue la terre. Mais chez nous, les gens payent les terres. En plus, il y a la crise postélectorale. Les FRCI nous ont aidés à libérer la région des mains des miliciens. C’est vrai. Mais il faut le reconnaître, beaucoup de FRCI se sont transformées malheureusement en occupantes de nos terres. Quand Gbagbo est tombé, au lieu de retourner d’où ils sont venus, pour certains il y’avait des manœuvres, ils sont subitement devenus des propriétaires terriens. Et ce sont eux qui empêchent pour la plupart du temps, nos parents de revenir. Je voudrais donc saluer le travail des préfets de région de Guiglo, Bloléquin et Toulepleu et l’ensemble du corps préfectoral qui font des efforts pour maintenir l’équilibre. Vous ne pouvez pas imaginer que vous avez votre manœuvre qui parce qu’il est devenu FRCI, vous arrache vos terres. Les Guéré aujourd’hui sont en train d’être expropriés. J’étais en train d’écrire une lettre ouverte aux cadres de la région quand je les ai vus avec le ministre Hamed Bakayoko qui les envoyait en mission, s’enquérir des réalités du terrain. Et j’ai été heureux. Car je me posais la question de savoir où étaient les élus du Guémon et du Cavally devant la souffrance des populations de nos parents. Ils ont fait une bonne mission et ont rendu compte au ministre Hamed Bakayoko qui j’en suis sûr a transmis cela au président de la République. J’ai été également heureux quand les FRCI ont pris des résolutions au niveau de la hiérarchie en disant que ceux qui occupent illégalement les maisons des autres devaient les quitter.

Quel est l’état de votre région aujourd’hui au plan humanitaire ?

Il faut remercier les ONG qui ont été le prolongement de l’Etat dans ces zones. Grâce à de bonnes volontés, on peut dire qu’il y a une petite vie qui renaît dans le Cavally et le Guémon. Vous avez vu les nombreux dons que la Première dame a offerts à nos populations. C’est grâce à toutes ces aides que la vie est en train de renaître dans nos régions. Mais le Guéré ne vit que de la culture. Il faut donc que les populations puissent retourner dans leurs forêts. Or, plus de 50% de nos parents sont encore au Libéria. Nous-mêmes sommes allés les y rencontrer pour leur demander de rentrer car le président de la République n’est pas contre eux. Nous leur avons dit que seuls ceux qui ont commis des actes ignobles, reconnus de tous, répondront de leurs actes. Mais pour qu’ils reviennent, il y a un minimum. Les habitations sont parties en fumée, il n’y a plus de plantations. Si au niveau humanitaire des efforts sont faits, il faut appuyer cela par la sécurité. C’est pour cela que quand le chef de l’Etat a dit qu’il allait donner les moyens au groupement tactique de l’Ouest de sécuriser la région, nous avons été les plus heureux. Le commandant Loss et ses éléments vont de plus en plus sécuriser toute la frontière poreuse pour que les éléments infiltrés qui font les dégâts et retournent au Libéria ne le fassent plus.

Pensez-vous que la réconciliation nationale est bien partie avec la création de la commission Dialogue, Vérité et Réconciliation ?

La réconciliation est un processus. Quand on est arrivé à une situation de 3.000 morts, se réconcilier, ce n’est pas sortir d’un dîner-gala. C’est un processus qui demande une approche et qui diffère de ce qui est fait pour le moment. Je ne suis pas de ceux qui pensent aujourd’hui que les victimes sont vues comme des bourreaux et les bourreaux comme des victimes.

Donc vous n’êtes pour la justice des vainqueurs ?

Je ne suis pas pour une justice des vainqueurs. Je ne suis pas d’accord aussi qu’on dise que dans cette crise, ceux qui ont perdu ce sont eux qui sont en exil. L’approche doit tenir compte de notre sociologie. J’ai été le premier en Côte d’Ivoire à dire que la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation allait échouer. J’ai dit en son temps que la manière dont ils ont démarré, sans avoir eu leur feuille de route, et ils ont commencé à faire beaucoup de bruits. Ils ne réussiront pas, aujourd’hui, je ne veux plus parler parce que dans cette commission, il y a des personnes pour lesquelles j’ai du respect, comme le président Banny, le roi de Bassam et mon petit frère Karim Ouattara. Sinon, tout le monde voit que la commission peine. Elle est attaquée de toutes parts. Pour réconcilier les gens, il faut qu’ils t’acceptent comme réconciliateur.

Blé Guirao est-il un homme déçu, amer, victime de rattrapage ?

Non, je ne suis pas victime de rattrapage. Ce que je sais par contre, je suis victime de la méchanceté et de l’hypocrisie des gens. Je l’ai dit à mon ami KKB, il y a peut-être quelqu’un qui est assis auprès du président Ouattara et qui casse du sucre sur nos dos, qui passe son temps à nous dénigrer. Même quand vous demandez des audiences au chef de l’Etat, par des détours, cela vous sera refusé après. Après six mois au Golf, il est impossible pour nous aujourd’hui de voir le chef de l’Etat. Quand on veut voir le président, les gens se posent des questions. Et quand on se pose des questions, il y a des interprétations qui donnent lieu à des rumeurs. La vérité est belle lorsqu’elle est nue. Ça peut être en interne à l’Udpci comme en externe au Rhdp, je suis convaincu aujourd’hui qu’il y a des gens qui sont tapis dans l’ombre et qui cassent du sucre sur notre dos. Mais ce genre de pratiques ne font pas long feu.

Quels conseils pouvez-vous donner à Charles Blé Goudé en tant que votre ancien compagnon de lutte à la Fesci ?

Blé Goudé n’est pas mon ami. C’est mon frère. Quand je le dis, les gens s’étonnent. Mais les meilleurs instants qu’un homme a dans sa vie, se sont passés sur les bancs de l’école. Blé Goudé, Soro Guillaume, Damana Pickass, Eugène Djué, Ahipeaud Martial, STT, nous sommes des frères. Quoiqu’on ne partage pas les mêmes opinions. Moi je prie Dieu que Blé Goudé vive. Parce que le débat va s’ouvrir. Alpha Blondy a dit à la télévision un jour qu’il n’était pas sûr que Blé Goudé soit vivant. Moi j’ai fait le Golf, si on me dit que Blé Goudé vit, j’en serai le plus heureux. Mais j’ai des inquiétudes que mon frère vive.

Quelles sont vos relations avec le président de votre parti et les autres membres des instances dirigeantes de l’Udpci. Est-ce que Blé Guirao continue d’être le ‘’chouchou’’ de l’Udpci ?

Dans un parti politique, il n’y a pas de chouchou. Ce qui compte, c’est le travail. Ce qui est important dans un parti politique, c’est que les militants t’apprécient à la base par ton travail. Et que tu aies la confiance de celui pour qui tu travailles, c’est-à-dire ton président. De ce point de vue, je n’ai pas de problème. Parce que je fais mon travail avec toute ma bonne volonté. Au niveau national ou local, je fais tout pour que l’Udpci vive. Je refuse d’être une coquille vide au niveau de l’Udpci. J’ai fait mes preuves au niveau de la jeunesse, je suis secrétaire à l’organisation actuellement. Je fais bien ce que j’ai à faire pour que celui qui m’a nommé ait confiance en moi et que les militants espèrent qu’un jour l’Udpci accèdera au pouvoir. Nous avons été 4ème à la dernière présidentielle. Nous sortons des élections législatives où l’Udpci quoiqu’ayant eu 8 députés élus plus un indépendant, est le 3ème parti politique au niveau de l’Assemblée nationale. On a un groupe parlementaire, on a un vice-président de l’Assemblée nationale, on a un président de commission, je pense que pour un parti politique qui a 10 ans, il faut dire merci à Dieu, mais il faut continuer à travailler. Travailler dans le cadre du Rhdp, mais travailler pour que les Ivoiriens aient confiance à l’Udpci et se disent, après le Pdci-Rda, après le Fpi, après le Rdr, le parti qui doit diriger la Côte d’Ivoire doit être l’Udpci avec son président, Albert Mabri Toikeusse. C’est ce qui est important. Moi j’ai confiance en ce parti. Quand en 2000 nous avons pris fait et cause pour le parti, nous étions en majorité des Fescistes. Les gens n’avaient pas compris pourquoi alors que Laurent Gbagbo se dit le père de la Fesci, qu’on aille soutenir Guéï Robert. Lorsque Guéï Robert est tombé, les gens ont cru que notre choix était opportuniste mais on est resté et on est membre fondateur de l’Udpci. C’est un choix raisonnable que nous avons fait et nous l’assumons. Le président Bédié a dit qu’il faut des recadrages au Rhdp. A l’Udpci aussi, il y a des réglages à faire. Si on ne fait pas ces réglages, on sera toujours le petit parti qui va se contenter de deux postes ministériels, pour être troisième ou quatrième. Quand tu es le premier des derniers, ou le dernier des premiers, c’est la même chose.

Avez-vous toujours des ambitions politiques ? N’êtes-vous pas découragé après votre défaite ?

Je ne suis pas déçu parce que pour moi ce n’est pas une défaite. Comme on le dit, dans toute défaite, il y a un germe de victoire. Je vous ai dit que le Conseil Constitutionnel est incapable de nous signifier l’arrêt qui nous déboute. La politique n’est pas linéaire. Nous apprenons et nous apprenons vite.

Réalisé par Maxime Wangué, coll : A Dedi
Titre: J-ci.net

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