Afrique de l’Ouest « Le retour des coups d’états »

Par Thérèse Faye Diouf (APR) invitée de Pencum Rewmi sur Rewmi Fm « Il faut qu’on travaille, l’heure n’est plus aux palabres »

AFRIQUE DE L’OUEST « LE RETOUR DES COUPS D’ETAT »

Comment expliquer ce phénomène des coups d’Etat ?

Les récents coups d’Etat au Mali et en Guinée-Bissau font craindre que le continent ne bascule, à nouveau, dans la violence. Or, des recherches montrent que les conflits en Afrique, de plus en plus, de basse intensité́, sont souvent, liés à la terre et à l’eau.
L’Afrique de l’Ouest, notamment, sa partie sahélienne, serait-elle en train de basculer dans un nouveau cycle de violences ? Alors que l’on pensait révolu le temps des putschs et coups d’Etat à répétition, avec les avancées démocratiques de ces dernières années, voilà que deux brasiers s’allument, coup sur coup, au Mali et en Guinée-Bissau.
La journaliste ghanéenne, Elizabeth Ohene, qui a occupé des fonctions ministérielles dans l’Administration de John Kuffor, se demande, non sans humour, si cette propension à recourir aux putschs, « sous nos latitudes » ne serait pas concomitante avec l’existence de zones paludéennes. « Un sentiment de rage impuissante m’a saisie, quand la nouvelle a été́ diffusée sur les ondes. Je fulminais car, une fois de plus, ma région était montrée du doigt, sans parler des conséquences, sur le plan humanitaire, économique et financier, pour les populations », confesse-t-elle dans un éditorial publié au lendemain du coup d’Etat en Guinéée-Bissau, peu après celui du Mali, le 22 mars dernier.

Une trop grande tolérance

Longtemps considérés comme des maladies infantiles des nouveaux Etats africains, après les indépendances, les coups d’Etat, aujourd’hui, ne sont plus du tout « in » et encore moins, tolérés. La condamnation de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de l’Union Africaine (UA), puis des Nations unies et d’ailleurs, venue très vite, avec des menaces d’intervention armée, explicites, si le pouvoir n’était pas rendu aux civils dans les meilleurs délais. La preuve que « les choses ont changé et que les coups d’Etat ne sont plus acceptés », se réjouit Elisabeth Ohene.
Il n’en a pas toujours été ainsi. En 1975, date de création de la Cedeao, la majorité des 15 Etats membres étaient dirigés par des militaires. Les auteurs de coups d’Etats, la plupart, militaires, eux aussi, étaient accueillis à bras ouverts, lors des réunions. Ce n’est qu’en 1980 que le président du Nigéria de l’époque, Shehu Shagari, a créé un précédent, en refusant que le nouveau maître du Liberia, le sergent-chef Samuel Doe, participe à une réunion de l’organisation sous-régionale, à Lomé. Ce dernier venait d’assassiner, avec une barberie sans nom, le président libérien William Tolbert. Peu après, la délégation de Samuel Doe fut également interdite, à Lagos, lors d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenue aujourd’hui, l’Union africaine (UA).
Ces sanctions politiques n’ont jamais vraiment dissuadé les putschistes de réaliser leurs sales besognes, souvent, avec l’aide et l’influence de puissances étrangères. Pas moins de 70 coups d’Etat ont, ainsi, été perpétrés sur le continent depuis les années 1960. Mais, en juillet 1999, l’OUA, décidant que cela suffisait, avait proscrit, par décret, les coups d’Etat. On peut, toutefois, se poser la question de savoir si cette résurgence des coups d’Etat est propre à l’Afrique ? Et qu’est-ce qui a pu changer, en 20 ans, sur le continent, pour rendre, ainsi, infréquentables les putschistes ?

Des souverainetés chancelantes

Pour la plupart des analystes, l’Afrique a subi, de plein fouet, les déstabilisations politiques et sociales dues à la mondialisation. Ainsi, la puissance publique, est-elle devenue « une fiction dont on chercherait à tirer profit » et le coup d’Etat, « un mode naturel de conquête du pouvoir », selon le chercheur Pierre Franklin Tavares, pour qui, aujourd’hui, « les crises actuelles apparaissent d’une toute autre nature ». Aux luttes idéologiques de la guerre froide a succédé une « double déstabilisation » due, selon lui, à une insertion à marche forcée dans la mondialisation économique et à une démocratisation improvisée d’Etats sans moyens. « Ces deux phénomènes ont abouti à délégitimer les constructions nationales naissantes et à rendre purement fictive la souveraineté de ces pays », explique-t-il.
Et, comme par une « ironie tragique », plusieurs phénomènes se sont conjugués pour déstabiliser encore davantage ces Etats. Y figurent, en bonne place, l’affrontement Est-Ouest, « qui structurait la géopolitique africaine, en finançant les insurrections », affirme Pierre Franklin Tavares, l’improvisation, par les bailleurs de fonds, d’une injonction démocratique mal maîtrisée (telle que relayée par le discours de François Mitterrand, à La Baule, en 1990), le nouveau cadre macroéconomique ultralibéral, les interventions sauvages des multinationales occidentales et de puissantes banques orientales, l’explosion de la dette et, enfin, les visées de certains Etats africains, comme l’activisme « panafricaniste » de la Libye et ses expéditions au Tchad.

Une récession démocratique

Les auteurs du rapport 2011 d’Africa Progress Panel, qui regroupe des analystes du continent proches de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, notent, pour leur part, qu’avec, au moins, neuf pays africains victimes de conflits importants sur leur territoire et un nombre croissant de missions de maintien de la paix (cinq de l’ONU, trois régionales et une conjointe), « l’Afrique continue d’être la région la moins pacifique du monde. Les conflits, apparemment insolubles, continuent de sévir dans la région des Grands Lac, au Darfour et en Somalie, tandis que les récessions démocratiques, y compris, la crise électorale prolongée en Côte d’Ivoire, l’évolution démographique, l’augmentation du prix des denrées alimentaires et du pétrole, les inégalités croissantes ont attisé les tensions à travers tous le continent ».
Dans cette analyse, les problèmes de sécurité sont, essentiellement, liés à la faiblesse et à l’inefficacité de la gouvernance, y compris, l’absence d’institutions publiques compétentes. « C’est ainsi que se propagent, dans toute la bande sahélo-sahélienne, le terrorisme et le crime organisé, y compris, le trafic de drogue et le commerce illicite que prolifèrent des armes de poing et des armes légères dans toutes les zones de basse intensité (Casamance au Sénégal, rébellions touarègues au Mali, Boko Haram, au Nigéria, etc.) et que la piraterie est omniprésente dans la Corne de l’Afrique », relèvent-ils.
Le « militantisme transnational résiduel » et les « formes insaisissables de violences transfrontalières », tels que pratiqués par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA, Lord’s Resistance Army), à partir de l’Ouganda ou, encore, Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), dans les quatre pays dits du champ (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger), sont « directement attribuables », pour les auteurs du rapport, à « l’existence de poches de non-droit et à la grande fragilité de nombreux Etats, à travers toute l’Afrique ». Lesquels sont encore exacerbés, toujours selon eux, par des « chocs externes », comme le changement climatique, la dynamique économique globale et l’augmentation de la volatilité du prix des denrées alimentaires. « Autant de facteurs qui augmentent la probabilité d’une déstabilisation des migrations de population à grande échelle ou de conflits à propos de ressources naturelles rares, comme l’eau et la terre arables », précise le rapport.

De plus en plus de conflits de basse intensité

Chiffres à l’appui, Scott Strauss, professeur de sciences politiques, et de relations internationales à l’université du Wisconsin, qui travaille, empiriquement, sur les coups d’Etats, à partir de données chiffrées, démontre que, contrairement à toutes les attentes, les conflits à grande échelle ou les guerres civiles provoquant de nombreuses victimes tendent à disparaître du continent. « Ce qui laisse place à de plus en plus de violences politiques liées, notamment, à la tenue d’élections et des conflits de basse intensité », écrit-il. Travaillés par une demande démocratique pressante, certains pays africains seraient, ainsi, plus exposés, à l’avenir, aux coups d’Etat. Au Niger, par exemple, le putsch contre le président Tandja était destiné à rétablir l’ordre constitutionnel, afin d’empêcher qu’un Président élu, trop avide de pouvoir, ne reste en place, à vie.
La liste des pays africains où de telles situations prévalent, est longue et, donc, les chances de voir éclater de nouveaux coups d’Etat, nombreuses. Pourtant, la manière dont la crise politique sera résolue peut éviter un coup de force. Pendant dix ans, la Côte d’Ivoire a vécu avec la rébellion d’une partie de ses troupes. Jusqu’au coup d’Etat de Robert Gueï, à la veille de 40 ans après l’indépendance -les Ivoiriens n’avaient jamais expérimenté un putsch-. Le président Houphouët Boigny, qui se méfiait des militaires, avait veillé au grain. « Il nous a fallu un certain temps mais, en Afrique, nous avons appris, à nos dépens, que les hommes en uniforme sont certainement plus dangereux et tout aussi corrompus que leurs compatriotes civils », ironise un banquier installé à Abidjan.
Depuis la fin de la guerre froide, le curseur géopolitique s’est déplacé vers des puissances régionales, tout aussi promptes à financer des rébellions et des coups d’Etat en fonction de leurs intérêts. Toutefois, le poids, de plus en plus, important de la Chine en Afrique semble faire contrepoids, sans parler du rôle dissuasif que joue la Cour pénale internationale (CPI), sur les putschistes en herbe. En 2011, par exemple, aucun coup d’Etat n’a été signalé sur le continent. Ce qui est loin d’être le cas, en Asie. Plusieurs avancées positives ont même été observées, parmi lesquelles, le référendum pacifique dans le sud-Soudan, des avancées en direction de la démocratie en Tunisie et en Egypte ou des progrès importants réalisés en Guinée-Conakry et au Niger, en faveur de l’ordre constitutionnel et de la paix consolidée. Autant d’éléments permettant d’affirmer que le retour d’âge des coups d’Etat en Afrique relève davantage, aujourd’hui, de la gestion pacifique des conflits et de la capacité du continent à penser collectivement sa sécurité.
Pourquoi certains pays d’Afrique de l’Ouest échappent-ils aux coups d’Etat, tandis que d’autres les subissent régulièrement ?
A partir de quelle durée peut-on ériger un pays en modèle ? Sur les 15 pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ils sont deux à n’avoir jamais connu de putsch militaire, depuis les indépendances : le Sénégal, depuis 1960 et le Cap-Vert, depuis 1975. Voilà pour les modèles.
Constituer la deuxième catégorie, celle des assez bons élèves, est déjà plus compliqué : il faut, non seulement, compter le nombre d’année sans coup d’Etat, mais aussi, exclure les pays qui ont basculé dans les guerres civiles, ainsi que ceux qui ont conservé, à leur tête, des putschistes reconvertis, pour ne retenir que ceux dont les longues années sans coup d’Etat ont été celles d’un apprentissage démocratique convaincant. Seuls deux pays sortent du lot : le Bénin, 40 ans sans coup d’Etat et plusieurs alternances politiques, et le Ghana, 31 ans sans putsch et une trajectoire démocratique jusque-là sans faute. Le Mali, après 21 ans sans aventure militaire, aurait pu prétendre en faire partie, avant le coup d’arrêt brutal de mars. Une piqûre de rappel pour tous les autres, y compris, ceux qui pourraient penser que le seuil d’irréversibilité de leurs expériences démocratiques et civiles a été franchi.
Alors pourquoi le Sénégal a-t-il échappé aux coups d’Etat. A cause des conditions politiques initiales de son accession à l’indépendance ? De la qualité de ses premiers hommes d’Etat ? Du niveau de formation moyen des officiers et des sous-officiers, plus élevé, au moment des indépendances, que dans d’autres pays de la région ? De la gestion concrète de l’armée -critères de recrutement, représentativité nationale, transparence dans les décisions de promotions, équité dans les niveaux de solde et d’avantages accordés aux différents corps et grades ? Il n’y a pas de réponse simple et unique. Mais, la combinaison des conditions initiales et du franchissement heureux de quelques moments-clés de l’histoire politique du pays fournit l’explication la plus complète.
Le Sénégal aurait-il réussi à échapper à l’aventure putschiste si le premier président, Léopold Sédar Senghor, n’avait pas cédé volontairement le pouvoir à Abdou Diouf, en 1981, si ce dernier avait opté pour une tentative de passage en force, au lendemain de sa défaite électorale en 2000, et si Abdoulaye Wade ne s’était pas lui aussi soumis au verdict des urnes, en mars dernier? Pas sûr. Ne pas fournir de prétexte à la prise du pouvoir par les militaires est d’abord la responsabilité des dirigeants politiques.

Le cas des grands malades, devenus des modèles ou presque, est très intéressant : le Bénin, entre 1963 et 1972, et le Ghana, entre 1966 et 1981, ont battu tous les records, en matière de coups d’Etat à répétition dans les espaces respectifs francophone et anglophone d’Afrique de l’Ouest. En 1972, le coup d’Etat du commandant Mathieu Kérékou inaugure une longue période de stabilité sous dictature militaro-marxiste, jusqu’à la conférence nationale de février 1990 et au « renouveau démocratique » qui s’en est suivi. En 1981, le deuxième coup d’Etat du capitaine Jerry Rawlings, après celui de 1979, est suivi d’une décennie de pouvoir militaire dur, puis d’un retour au multipartisme en 1992. Le Ghana et le Bénin connaissent, depuis 20 ans, des alternances politiques remarquables, à la faveur d’élections réellement compétitives, qui font oublier à beaucoup leur passé agité. Ces deux cas montrent qu’il n’y a aucune fatalité dans l’évolution politique des Etats ouest-africains, jeunes et en construction.

Dossier rassemblé par Safiétou DIOP

REWMI QUOTIDIEN

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