Réconciliation – Evitons le spectacle ridicule du tonneau des Danaïdes !

Par Diarra Cheick Oumar

Monsieur Kofi Annan, ex Secrétaire Général de l’Onu, célébrant les vertus de la paix dans un de ses discours, disait avec force conviction, ceci : « Sans progrès, il n’y a pas de paix possible. Sans paix, il n’y a pas de progrès possible. » Cela est d’autant plus vrai que la paix constitue le socle abyssal de tout, la guerre rimant avec pertes en vie humaine, dégâts matériels, déprédations, viols… ; et par voie de conséquence, avec la régression à l’infini.

C’est ce qui justifie toute l’énergie et l’entrain que les hommes investissent dans la quête de cet état de tranquillité, de cordialité, d’harmonie et d’entente réciproquement éprouvée. On ne peut donc, humainement et rationnellement parlant, s’opposer à cette disposition à faire de la recherche de la paix son cheval de bataille. Mais tout simplement louer et encourager tous ceux qui s’inscrivent dans cette voie empreinte de sagesse et de noblesse. C’est d’ailleurs tout le sens du prix Nobel de la paix. Toutefois, admettons que si la guerre, au sens militaire du terme ne s’opère pas dans un mouvement réflexif, c’est-à-dire dans une logique solipsiste, en s’enfermant dans son cogito, mais à deux ou à plusieurs, c’est également à deux ou à plusieurs, selon le principe du parallélisme des formes, que doivent être créées les conditions permettant d’accéder à la paix. Exprimé autrement, si autrui et moi sommes les générateurs des situations de conflit sous le diktat de nos intérêts égoïstes, c’est ensemble, au moyen de nos efforts conjugués, que nous devons œuvrer à rétablir la paix.

Mais, dans le cas ivoirien, l’observance de ce canon fédérateur et même fondateur est sujette à caution, pour ne pas dire relève de la chimère, en l’état actuel des choses. Sans flagornerie, depuis l’éclatement de la crise postélectorale, le Président Ouattara, épaulé par le Président Bédié qui lui sert d’éminence grise, est quasiment le seul acteur politique significatif à se mouvoir dans le sens de cette quête éreintante de la paix, pourtant perfidement déblatérée par toutes les lèvres. Les paroles et les faits qui émanent de lui le traduisent parfaitement. Par ricochet, la détermination de Monsieur Ouattara à refaire de ce pays un véritable havre de paix comme du temps de son précepteur politique, le Président Houphouët-Boigny, n’est pas objectivement critiquable car, estampillée du sceau de l’amour et de la sincérité. Je le concède, peut-être que méthodologiquement, quelques lilliputiennes peccadilles et anicroches sont perceptibles, toutefois, ne sont nullement imputables à de la mauvaise volonté. D’ailleurs, aucune approche ou méthodologie, humainement parlant, n’est absolue, inattaquable. Mais, comme le disait le philosophe de Königsberg (Prusse orientale) Emmanuel Kant, seule l’intention morale qui précède l’acte compte et non le succès de l’entreprise.

Au risque de verser dans l’itération, cette intention morale qui guide les actions et entreprises du chef de l’Etat à redonner à notre chère nation son lustre d’antan et à en faire une unité absolue, un bloc monolithique et pourquoi pas, une forteresse inexpugnable militairement où ses fils et ses filles sans omettre les populations étrangères vivraient dans la fraternité, la cordialité, l’harmonie et la synergie, est ferme et ne fait l’ombre d’aucun doute. Le premier indice qui nous en persuade est d’avoir, malgré toutes leurs inhumanités et scélératesses, conservé la vie à l’ex Président, Laurent Gbagbo et ses séides qui ont été non seulement protégés de la vindicte populaire mais, éloignés de la capitale pour leur propre sécurité et détenus dans des conditions juridiquement dignes que je juge même trop somptueuses, mesurées à l’aune des chefs d’accusation qui pèsent sur eux. La seconde manifestation de cette immaculée volonté est d’avoir parcouru toute la sous-région où certains de nos compatriotes se son expatriés, fuyant certainement les répliques punitives et vengeresses de leurs victimes, dans l’optique de les rasséréner en leur donnant des garanties qui pour autant, n’immolent pas les droits de la justice sur l’autel de la politique et de la réconciliation, de manière à les convaincre à mettre fin à leur exil et à renouer avec la mère patrie. Beaucoup d’entre eux ont compris le bien-fondé du message du chef de l’Etat et se sont exécuté. Parmi eux, nous avons des chefs militaires, d’anciens ministres, des maires, des députés et mêmes des leaders de mouvements patriotiques. Ils sont rentrés et mènent leurs activités dans la tranquillité et la sécurité la plus absolues. Qui plus est, le colonel Konan Boniface qui était l’une des pièces maîtresses du dispositif militaire de l’ex chef d’Etat, vient d’être promu inspecteur. Quelle magnanimité et quel esprit de tolérance ! Ces gestes en faveur de la réconciliation et de la paix doivent être magnifiés et sont tout à l’honneur du Président de la République démontrant ainsi sa fidélité aux valeurs qui lui ont été inculquées par le Président Houphouët-Boigny. Toutefois, à l’analyse, ces actes majeurs semblent être reçus par certains indécrottables individus, abonnés à la violence nue et gratuite et aux pronunciamientos comme le signe patent d’une incapacité à relever tout défi armé ou guerrier. Ainsi, le Président Ouattara qui ne ménage aucun effort pour la matérialisation de l’idéal de paix qu’il s’est fixé face à des garnements de mauvais aloi et d’une mauvaise foi manifeste, donnent le spectacle ridicule de deux hommes dont l’un trait la vache tandis que l’autre présente le tamis.

Interprété dans un autre sens, c’est un peu un scénario similaire à celui des Danaïdes condamnées à remplir un tonneau sans fond ou à celui de Sisyphe également condamné à rouler éternellement sur la pente d’une montagne un rocher retombant sans cesse avant d’avoir atteint le sommet. Le parallèle ici est d’autant plus saisissant que Monsieur Ouattara, en sa qualité de chef d’Etat et donc de premier magistrat de ce pays est condamné de par sa fonction, à réconcilier tous les fils et filles de ce pays. Cependant, loin de moi toute intention manichéenne, à l’expérience, de par les menées subversives et actes de violence perpétrés ça et là, beaucoup de personnes tapies dans l’ombre et aiguillonnées par des desseins méphistophéliques, obscurs, n’ont visiblement pas intérêt à ce que cette réconciliation et cette paix si chères au peuple de Côte d’Ivoire soit une réalité mais reste de l’ordre du mythe. Les tueries de Duékoué qui datent de quelques semaines et les attaques des camps militaires d’Abengourou, d’Akouédo et du commissariat du 16 e arrondissement de Yopougon le week-end dernier illustrent à la perfection cette volition affichée de saper les efforts jusque-là consentis sur le sentier de la paix et de faire ainsi de l’objectif du chef de l’Etat, une gageure. Il ne faut pas y prêter le flanc. Pour ce qui concerne le dossier sensible afférent à l’Ouest montagneux et particulièrement à la ville de Duékoué, beaucoup de reproches ont été faits aux FRCI, les dozos et les supplétifs qui, selon les témoignages des uns et des autres y auraient installé un climat infernal de par leurs exactions répétées. De même, selon les mêmes rapports, les forêts y seraient illégalement occupées par des ressortissants burkinabé, malien, guinéen. Pour rabattre définitivement le caquet à ces organisations des Droits de l’Homme et éviter toute récupération politicienne, qu’il soit mis fin à ces dérives et manquements graves, si tant est qu’ils sont avérés. Je suggère donc au chef de l’Etat de procéder au retrait systématique de tous les éléments FRCI et supplétifs dozos en présence dans la région et qu’ils soient remplacés par des agents assermentés, des militaires ayant reçu la formation requise. Egalement, que de l’ordre soit mis dans les forêts pour éviter les occupations anarchiques des terres par des gens qui n’y ont pas droit et partant, résorber définitivement les conflits intercommunautaires qui couvent pernicieusement. Ces missions, une fois effectuées, permettront de ramener le calme et la sérénité dans cette partie du pays qui a payé un lourd tribut à la guerre et ses corollaires.

Pour le reste, il faut simplement opter pour la fermeté. Car les attaques éclatées de ces derniers jours, faute de renverser le pouvoir, visent quintessentiellement à créer la psychose au sein de la population, installer un climat d’insécurité généralisée et, in fine, effaroucher et décourager les éventuels investisseurs qui se verraient dans l’obligation de s’orienter vers d’autres destinations plus rassurantes au plan sécuritaire. Elles ne sont que l’œuvre de personnes qui, désarçonnées et ayant perdu le sens de la réalité suite à la chute de leur mentor, envisagent obsessionnellement de faire basculer une fois de plus ce pays dans la violence et compromettre ainsi toutes les actions de développement entreprises par le Président de la République et son gouvernement. Puisque dans leurs constructions oniriques, ils croient encore que le retour de Laurent Gbagbo aux affaires est toujours possible. Pour ce faire, il faut bouder, vilipender tout schéma de nature à ressouder les liens entre les ivoiriens ; par de grossières contre-vérités, pousser les citoyens de ce pays à une nouvelle conflagration, à s’entre-déchirer. Mais, c’est peine perdue ! Tous ceux qui ont de la jugeote, qu’ils soient des partisans du Président Ouattara ou de l’ex chef d’Etat Laurent Gbagbo, après ces dix années de crise poussée à son apogée à la faveur du démêlé postélectoral, ont compris que la guerre est une voie scabreuse, sans issue, car vainqueurs et vaincus y perdent tous quelque chose de cher. Personne de sensée, n’oserait encore s’y aventurer, quels que soient les enjeux y afférents. Toutefois, qu’on comprenne aussi, comme je l’ai indiqué plus haut que, si le Président de la République a le devoir de créer des conditions favorables à l’entente et l’harmonie entre les citoyens, à l’impossible, nul n’est tenu. On a beau être patient et pacifique, il arrive des moments où user de la force physique et de moyens matériels s’impose comme un impératif catégorique car, comme le note si bien Victor Hugo : « Il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action. » Il y va du bien-être et de la sécurité des ivoiriens qui ont fait confiance au chef de l’Etat en lui accordant leurs suffrages lors des votes. N’y voyez surtout pas une invite de ma part au Président Ouattara à s’adonner à une répression sauvage. Il s’agit plutôt d’une mise en garde à l’endroit d’éventuels fauteurs de troubles.

C’est aussi l’occasion d’interpeller un certain nombre d’organisations de défense des Droits de l’Homme qui curieusement, ne retrouvent de la voix que lorsqu’il y a des brimades, des expéditions punitives sans véritablement en chercher les motivations. Si, en aval, condamner est un droit, instruire en amont par la voie de la sensibilisation les justiciables sur leurs droits et devoirs afin d’éviter des situations regrettables doit également être érigé en cheval de bataille. Il est certes louable de parler des Droits de l’Homme. Mais, il est aussi judicieux de se demander de quel homme il s’agit. Faut-il, au nom des Droits de l’Homme permettre à n’importe quel quidam de bafouer son alter ego dans ses droits les plus imprescriptibles, de le martyriser, de l’envoyer impunément ad patres, d’installer à tout va la chienlit ?

Ceci dit, rien n’est encore tard. Je vous invite donc, Monsieur le Président, à la patience, au dialogue comme vous l’a enseigné le Président Houphouët-Boigny. L’objectif recherché, Monsieur le Président, est de vous pousser à la faute. Mais, restez de marbre : « La patience, disait Avicébon, moissonne la paix, et la hâte le regret. » En insistant sur la vertu du dialogue, à dose homéopathique, vous parviendrez un jour à ramollir les cœurs les plus durs et à y injecter la flamme de l’amour de l’autre et du respect de la vie. En leur opposant des armes morales et spirituelles, vous leur serez toujours supérieurs. Continuez dans cette noble voie que vous vous êtes frayé en continuant à leur tendre la main, mais tout en restant attaché au principe inaugural de la justice. Je terminerai mes propos par cette réflexion de Mohandas Gandhi à méditer : « La non-violence est infiniment supérieure à la violence ; le pardon est plus viril que le châtiment. Le pardon est la parure du soldat. » Que Dieu nous garde !

DIARRA CHEICKH OUMAR
Professeur certifié de philosophie
Lycée moderne 1 Bondoukou
Doctorant en sciences politiques
E-mail : diarra.skououmar262@gmail.com

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