Insécurité en Côte-d’Ivoire le désarmement nécessite la confiance

«Notre meilleure façon de vous aider à empêcher la guerre ne consiste pas à répéter vos paroles, à suivre vos méthodes, mais à chercher des mots neufs et à créer des méthodes nouvelles.» ~ Virginia Woolf (1882-1941)

Depuis de longues années, nos gouvernements successifs semblent incapables de proposer un schéma de désarmement acceptable par les ex combattants, qui sécuriserait les populations. Celles-ci se croyaient protégées par des forces de sécurité, mais se retrouvent, en réalité, mises en danger par des forces d’insécurité, pendant que le gouvernement, lui, use d’une vraie force pour sa propre sécurité.

Le schéma de désarmement proposé par LIDER et présenté il n’y a pas longtemps à la fin de notre analyse de la situation sécuritaire du pays (1), qui démontrait clairement comment nous étions tous en insécurité et a eu le mérite de mettre tout le monde d’accord sur le nombre réel de personnes à désarmer, consiste d’abord à offrir l’opportunité à tous les combattants, de tous les bords, de se mettre au service de la Côte d’Ivoire : fini donc le stress de l’abandon et du désespoir !

Ensuite, il s’agira d’organiser pour eux le service civique, avec l’appui de la collectivité nationale. Il leur sera proposé de la formation agricole à la culture du riz, aux semences, aux engrais, l’apprentissage de l’écriture et de la lecture pour devenir ingénieurs, techniciens, ou ouvriers spécialisés. Nous voyons au quotidien nos hommes politiques offrir des pèlerinages, du sucre, du riz, des kits agricoles ou scolaires aux populations victimes du train de vie dispendieux de l’Etat.

Alors, pourquoi ne feraient-ils pas des dons de formation et…de confiance ?

La condition initiale est que la classe politique refasse confiance au peuple qu’elle veut gouverner. Depuis de longues années, nous avons manipulé ces populations serviles qui nous aurons tout donné, et auront même accepté de mourir pour que nous soyons au pouvoir. La manipulation a si bien fonctionné que maintenant, nous avons peur que ce peuple, s’il ouvrait les yeux, ne nous pose des questions. Nous avons peur de perdre des esclaves et pourtant l’indépendance nationale et le progrès social commencent par l’émancipation de ces citoyens de nos fantasmes morbides.

Les élites doivent cesser de ne vouloir de la Côte d’Ivoire que le fauteuil présidentiel, mais comprendre que dans ce pays, tout le monde n’aspire pas à devenir président de la République, ministre, maire, directeur général ou à occuper tout autre poste de la fonction publique. Notre vision doit clairement établir que notre idéal social n’est pas le grand chef de l’administration, mais l’accomplissement personnel dans les multiples domaines de la vie privée, économique, sociale et culturelle par le travail, et non par la recherche de rente politique. Le travail responsable doit reprendre sa place et mobiliser notre énergie conceptuelle et les moyens financiers que nous pouvons épargner en réduisant un certain nombre de gaspillages des deniers publics.

Depuis les accords de Marcoussis en 2003, nous avons eu plusieurs projets de programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (PNRRC), de désarmement, démobilisation et réinsertion des combattants (DDR), de service civique, qui ne nous laissent que le souvenir très périssable d’initiatives budgétivores avortées, puisque nous continuons à faire comme si tout devait commencer maintenant, de nouveau, avec les mêmes mots, les mêmes discours, les mêmes menaces. Seul le personnel politique a subi une légère modification.

Un air de déjà-vu et déjà entendu flotte sur ce sujet pourtant crucial, sans que personne ne parle d’évaluation et d’audit de ce qui a été fait ou pas pendant les dix dernières années et combien cela a couté à la Nation. Nous fonctionnons en termes de pertes et profits : pertes d’argent et de vies humaines pour le contribuable et profits pour les pontes des régimes successifs.

Avoir confiance en l’avenir, se faire confiance et faire confiance au prochain

Depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002, de nombreux groupes armés se sont constitués, et aujourd’hui ils peuvent être regroupés en différentes composantes de part et d’autre de la belligérance (2). L’insertion de tous ces miliciens, supplétifs, Dozos est possible: il faut juste le vouloir. La classe politique doit se montrer capable de relever un tel défi. Nous devons avoir confiance et ne pas agir comme si nous étions à la recherche d’ennemis à abattre, à punir, à molester. Nous devons trouver les mots qui rassurent et les attitudes qui assurent la réussite de cette délicate mission.
Il faut ramener la confiance au sein de ces quelques 100 000 combattants. Nous ne devons pas leur donner le sentiment que se faire identifier signifie déposer les armes et être renvoyés chez eux pour affronter les affres du chômage et de la pauvreté, là où aujourd’hui, le fusil d’assaut, le pistolet automatique ou le «Calibre 12» leur permet d’avoir la pitance quotidienne garantie, avec le respect qui va avec.

Nous devons rassurer ces combattants que se faire connaitre ne signifie pas l’arrestation, la bastonnade, la prison, l’exécution sommaire, la mort, mais que le dépôt des armes signifie plutôt un nouveau départ dans la vie active avec une formation, une éducation et une insertion dans le circuit de production, également avec le respect qui va avec.

Tous ces groupes anciens et nouveaux doivent officiellement être dissouts pour nous permettre de créer une force de défense de la Côte d’Ivoire. Une armée unique, fusionnée et non juxtaposée, avec un commandement mis en ordre et soumis au pouvoir civil. Une armée dédiée à la sauvegarde d’une nation que tous aiment, et non un instrument de vengeance et de revanche. Tous ne peuvent être intégrés dans l’armée, mais tous peuvent trouver leur voie dans la construction d’un pays pour lequel ils ont combattu. Et cela passe par inévitablement par la mise en œuvre du service civique.

Offrir un service civique moderne

Depuis près de vingt ans, la Côte d’Ivoire connait une crise sociopolitique qui a pour conséquence majeure la paupérisation des populations. Cette situation touche tous les secteurs socio-économiques du pays. Le secteur agricole n’a pas connu d’essor véritable et ses infrastructures sont profondément dégradées. La Côte d’Ivoire étant un pays dont l’économie repose essentiellement sur son agriculture, il est primordial de la développer, de la moderniser et de porter une attention accrue au monde rural.
Le projet de service civique de LIDER servira avant tout à mettre les combattants, jeunes et moins jeunes, au travail pour construire un pays, le leur ; le construire socialement, économiquement, dans un développement rural et communautaire au sein duquel chacun a sa place, dans une société où chacun apprendra à donner aux autres et à recevoir des autres en toute liberté.

Ce projet ira de pair avec la révision du code foncier et le lancement du projet de cadastre national pour identifier toutes les terres de notre pays, tracer les routes qui bordent les champs et les servitudes qui vont nécessairement avec le remembrement du foncier rural. Ce processus de transformation du milieu rural se fera avec les géomètres-experts ivoiriens, appuyés, s’il le faut, par leurs homologues internationaux. Cette activité mobilisera de nombreux ex combattants partout sur l’ensemble du territoire et pendant de longues années.

Ce projet nécessite un gros budget, mais la Côte d’Ivoire peut le supporter, car les solutions et les moyens existent pour trouver les capitaux essentiels afin que notre pays devienne une place où il fera bon vivre. Réduisons le train de vie de l’Etat, arrêtons les surfacturations de ses grands chantiers, donnons nous une stratégie d’endettement plus responsable et soucieuse de générations à venir, privatisons par appels d’offres transparents des parties du patrimoine de l’Etat et cessons de courir après les éléphants blancs, alors les moyens de financement seront disponibles.

L’avenir de la Côte d’Ivoire dépend de la vision qu’en auront ses dirigeants. Certains ont eu des visions de guerre et ont travaillé pour arriver à avoir celle-ci à tout prix, mais maintenant, l’heure de la paix a sonné et elle est demandée par toutes les populations. Les dirigeants de ce pays doivent partager leur rêve d’apaisement, qui ne laisse aucune place à la vengeance, à la revanche, à la violence ou à la haine. Si nous continuons dans la belligérance, notre sang de haine arrosera le sol de ce pays, tuant à jamais les fleurs de la croissance et du progrès social. Si nous croyons à la compassion et si nous voulons que la politique cesse d’être un métier dangereux, alors nous n’avons pas d’autre choix que de nous investir dans la réparation des dégâts que nous avons causés depuis de longues années à notre pays et à notre peuple.

Nous devons sortir de nos visions de court terme et voir le moyen et le long terme. Ce projet national de LIDER englobe tous les défis: la conciliation, l’emploi des jeunes, le travail collectif, l’insertion des ex-combattants, le développement rural pour un essor urbain et une interaction entre les régions. Les financements existent, il faut surtout vouloir les utiliser à bon escient, pour le bien des générations futures qui se bousculent déjà dans les écoles maternelles, primaires, les collèges et lycées, et non pour remplir les poches de sa famille, de son clan. L’avenir est déjà là, avec nous, dans le présent.

Ne me dites pas que ce projet est une utopie. Il est réalisable, si nous le voulons. Mais il est vrai qu’il nous demande un effort de dépassement de nos limites. En sommes nous capables ? Je crois que oui. Le temps de la paix, de bâtir, de savoir vivre ensemble est arrivé.

Mamadou Koulibaly
Président de LIDER
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