Une nation ouest-africaine, la solution au conflit ivoirien

Pour le neurochirurgien ivoirien Gilles Dechambenoit, la réconciliation en Côte d’Ivoire passe par la mise en place rapide d’une nation ouest-africaine.

Source: © SlateAfrique

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Le drame vécu par la Côte d’Ivoire est l’occasion de poser la problématique de la Constitution d’un Etat-nation en Afrique dans un monde en pleine mutation économique, sociale, culturelle et politique.

Analyser la tragédie actuelle uniquement sous le prisme des paramètres sociopolitiques internes ne permet pas d’ébaucher une solution pérenne si on ne les intègre pas au contexte géopolitique régional et mondial.

L’amarrage de l’Afrique à la dynamique politique et économique mondiale est hypothéqué par des guerres itératives qui saignent un continent déjà exsangue. Seules la paix et la stabilité permettront à l’Afrique de se relever d’un état de marginalité et de vassalité.

La mise en place rapide d’une nation-région est une solution pour résoudre les dramatiques problèmes actuels.

En effet, si l’on se réfère à la pauvreté de leurs économies et leur faible poids dans un monde en pleine mutation avec une redistribution des hégémonies, la viabilité des états actuels est plus qu’incertaine.
Revenir sur le partage de l’Afrique

L’aberration identitaire qui sous-tend les évènements actuels est tragique. Nul ne peut nier que les pays africains ont été artificiellement créés en 1885 lors de la Conférence de Berlin.

Ainsi en Côte d’Ivoire, les Sénoufos sont établis au nord… Ils vivent également au Burkina Faso, au Mali.

Les Malinkés occupent un territoire allant du Sénégal à la Guinée, au Mali, au Burkina Faso, et à la Côte d’Ivoire. Les Lobis vivent au Ghana, au Burkina Faso en Côte d’Ivoire. A l’est, les mêmes populations sont installées au Ghana et en Côte d’Ivoire, etc.

Le terme de Côte d’Ivoire n’existe ni en bété, ni en baoulé, ni en quelque autre langue nationale du pays. Que sont les enfants bi-ethniques (attié-agni, baoulé-sénoufo, bété-abouré… Attié? Agni? Baoulé? Ivoirien? Ivoirien attié-agni? Ivoiriens baoulé-sénoufo?)

Ainsi la notion même de Côte d’Ivoire demande humilité, car personne ne peut se l’approprier. Les «nationalistes» trouvent systématiquement «douteuse» la nationalité ivoirienne des Touré, Konaté, Coulibaly, Kéita, etc.

En conséquence, ceux dont les patronymes se retrouvent aussi en Guinée, au Mali, et au Burkina Faso ont des «problèmes».

Par ailleurs, un grand nombre de dirigeants politiques ivoiriens font preuve d’une incurie. La plupart d’entre-eux ont des enfants bi-nationaux (Français, Américains, Sénégalais, Burkinabè, Maliens, etc.)

De bonne foi, la majorité de la population ne peut apporter de réponse cartésienne à ces différents constats.

La seule solution passe actuellement par les prières, la violence ou la manipulation politique… Or, les éléments de la réconciliation sont pourtant là: mettre en place une intégration régionale politique.
Les droits de l’homme, un impératif

Le poids de l’héritage de l’histoire incluant cinq siècles d’esclavage intensif associé au flux de servitude depuis le IXe siècle en direction du monde musulman, sans exclure des particularismes de la structure sociétale, obère lourdement la marche des jeunes nations africaines vers la construction d’Etats modernes bâtis sur un socle démocratique.

Sur ce sujet, la place des droits de l’homme est souvent dénoncée par les pays du Nord qui tancent doctement les pays africains.

On peut toutefois s’étonner du rôle de censeur qu’adopte l’Occident sur les infractions relatives aux droits de l’homme, alors qu’elle adopte selon ses intérêts pécuniaires un silence assourdissant en ayant soutenu (ou en soutenant) des dictatures (moyen-orientales, sud-américaines, asiatiques, africaines…)

La pauvreté génératrice d’une inertie démocratique est scotomisée par les «observateurs» avec une légèreté déconcertante. Tous ces éléments doivent être pris en compte dans la lecture des événements ivoiriens et africains.

L’analyse, dès le départ, implique une projection vers le futur, afin de concevoir l’insertion des jeunes Etats dans un processus d’intégration africaine économique et politique dynamique, inévitable et inéluctable.

En effet, ce millénaire verra la constitution de blocs mondiaux: Amérique du Nord, Europe, Amérique latine, Asie-Pacifique. Que «pèse» la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Togo… face à la Chine, le Japon, les Etats-Unis, l’Inde, le Brésil?

Laisser vivre des micro-Etats non-viables économiquement laisse le champ libre à l’émergence d’Etats «voyous» ou à des paradis fiscaux dont la logique de profit sans loi (ni foi) piétine les règles internationales des relations commerciales.

Enfin, tous les continents sont interdépendants. Tout conflit lointain est aux portes de chacun. Tout événement au delà de l’horizon est susceptible de surgir dans tout foyer, dans tout salon.

Le risque d’une marginalisation mortifère de la plupart des Etats de l’Afrique subsaharienne implique une réponse rapide par la mise en place et la mise en place d’ensembles régionaux dans une logique de survie.

Le débat autour d’un projet de société africaine unificatrice manque cruellement. Le slogan de l’unité africaine, sans cesse scandé depuis un demi-siècle, sur fond d’accolade fraternelle, se meurt sur les murailles du pouvoir «acquis à titre personnel» et conservé «à titre personnel» par certains dirigeants africains voulant garder leur pré carré sur un mode féodal.

Le personnel politique adossé à des appartenances ethniques navigue à vue soucieux de leur «ventre» (J-F Bayard), sans projet global pour le futur. Le choix des partis se fait essentiellement sur des individus potentiels autocrates. L’Afrique subsaharienne doit être mobilisé autour d’un projet constructif d’une nation-région.
En finir avec l’impunité

Il est étonnant de constater que les principales organisations régionales ne sont qu’économiques: Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), Union monétaire ouest-africaine (UMOA).

Aucun projet politique de regroupement politique régional n’est évoqué de manière concrète à l’exception de l’Union africaine qui planifie un projet chimérique.

Comment intégrer le concept de nation-région dans le cadre d’une intégration politique ouest-africaine sans enfreindre le dogme de l’intangibilité des frontières?

Il faut procéder par étapes: mettre en place un parlement, une cour de justice, un drapeau, un hymne, un passeport unique, une armée régionale. Un Conseil de chefs d’Etat sous une bannière fédérale définirait les missions régissant un pouvoir régalien: sécurité et diplomatie. Les politiques économiques seraient harmonisées avec les outils régionaux déjà en place.

Le débat d’unification régionale doit être interne à chaque Etat puis interétatique, intrarégional selon un calendrier à définir.

L’initiative peut venir de la Côte d’Ivoire. Bien entendu, elle ne pourra être envisagée que lorsque la paix reviendra dans le pays. Une réconciliation ne peut se concevoir que s’il n’y a ni vainqueur ni vaincu.

Il s’agit d’abord d’affirmer la primauté de la loi et du droit de l’individu, facteur de stabilité d’une nation moderne. Un Etat de droit se fonde sur la justice. La justice se nourrit de vérité. Une procédure judicaire interpellant tous —sans exception— les auteurs de crimes s’impose.

Cette étape est fondamentale, incontournable. Des lois d’immunité seront certainement promulguées mais seront vaines comme on l’observe actuellement en Amérique du Sud, après les tragédies vécues dans un passé récent (Argentine, Uruguay, Chili). L’impunité doit disparaître et aura vertu d’exemple pour bâtir de manière pérenne un état de droit.

Lorsque justice sera faite, dans la grande tradition de la palabre, un nouveau forum (sous l‘égide de la Commission vérité et réconciliation ivoirienne?) s’impose.

Sous une autre forme. Sur un ton apaisé. Il doit associer chercheurs-historiens des périodes post-guerres civiles, société civile et politiques dans une démarche non-polémique mais constructive travaillant sur un modèle conventionnel dans un souci d’établissement d’un contrat social, à la recherche de la vérité et du bien-être du plus grand nombre.

Gilbert Dechambenoit est professeur de neurochirurgie à l’université d’Abidjan

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