En recolonisant l’Azawad, la Françafrique va embraser le Sahel

kabyles.net

Le peuple Touareg de l’Azawad vit une odieuse conspiration : la négation de son existence, de son Histoire et d’un siècle de lutte contre le colonialisme. La dernière résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, inspirée par la France, évoque des « groupes rebelles, armés, criminels, terroristes, extrémistes, Al Qaïda », sans jamais citer le peuple touareg et ses revendications.

Sourde à la négociation politique, la Françafrique veut se précipiter dans une nouvelle guerre coloniale pour « reconquérir » le territoire libéré par l’armée du MNLA, sans mesurer la gravité des conséquences sur toute la région.

Les pays voisins de l’Azawad subissent déjà de plein fouet un désastre humanitaire qui ne fait que s’aggraver jour après jour. Mais la France n’en a cure, elle est si loin du théâtre des opérations et cultive encore un complexe de domination et d’arrogance. « L’Afrique est le dernier continent qui soit encore à la mesure de la France, le seul qui peut encore donner à la France le sentiment d’être une grande puissance, le seul continent où avec cinq cents hommes elle puisse encore changer le cours de l’histoire ». (Citation de Louis de Guiringaud, ex-ministre français des Affaires étrangères 1976-1978).

Une guerre des sables inutile et contagieuse

L’Azawad est un immense désert sans économie, ni routes, ni infrastructures, peuplé de nomades qui ne vivent que d’élevage traditionnel extensif et transhumant. Les trois villes de Kidal, Gao et Tombouctou peuvent être reconquises en trois jours, et alors ? Qu’est-ce qu’une armée étrangère viendrait faire dans ce désert ? Le désertifier davantage en faisant fuir ce qui reste de nomades et de cheptel ? Repousser les « groupes rebelles et extrémistes » vers les pays voisins pour les déstabiliser dans une stratégie du chaos qui s’étendra de la Mauritanie à la Somalie ? Si la France met un seul doigt dans l’engrenage, elle y laissera le bras. Va-t-elle s’amuser à poursuivre les groupes armés partout dans le Sahel, et intervenir au-delà des frontières maliennes ?

On sait que la mouvance islamo-terroriste d’Al Qaïda peut aisément se déplacer dans toute l’Afrique du Nord et tout le Sahel, et recruter massivement des jeunes désoeuvrés.

Les pays les plus fragiles proches du chaos généralisé sont la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. Les nouveaux gouvernements de Tunisie, Libye et Egypte n’ont vraiment pas besoin d’un tel gâchis autour d’eux, afin de pouvoir reconstruire leurs Etats dans le calme et la paix.

Les deux Soudans, l’Ethiopie, l’Erythrée et la Somalie vivent depuis toujours dans une instabilité chronique. L’Algérie et le Maroc auront bien du mal à gérer l’augmentation du double flux de réfugiés et d’émigrés clandestins, et ne sont pas à l’abri d’une nouvelle vague d’attentats terroristes.

Les différentes forces en présence dans l’Azawad ont des objectifs guerriers différents. Elles vont se déplacer au gré de leurs volontés et de leurs alliances, dans un désert transfrontalier. Dès lors va s’engager une guerre d’usure qui ne tourne jamais à l’avantage d’armées régulières démotivées qui vont perdre des hommes dans des expéditions lointaines, coûteuses et inutiles. Les opinions publiques et opposants politiques vont se lasser et finalement demander un retrait sans gloire ni victoire. Une pure perte de temps en somme.

On voit bien en Irak et en Afghanistan que les interventions étrangères ne règlent en rien les conflits locaux. Au contraire, elles les attisent. Pourtant ce sont les armées les plus puissantes, les mieux encadrées et les mieux équipées du monde qui opèrent là-bas.

Le Jihadisme est devenu un phénomène de mode et de rejet du modèle occidental. Il se nourrit et s’amplifie de ces expéditions coloniales punitives. L’islamisme armé a fait des émules partout dans le monde arabe et en Afrique. En voulant chasser ces groupes armés de l’Azawad, on va les pousser à se mouvoir dans toute l’Afrique, et essaimer de nouvelles organisations terroristes, comme Boko Haram et le MUJAO. Des sectes islamistes pacifiques sont déjà bien implantées dans des pays comme le Sénégal. Elles risquent de se radicaliser et d’embraser la région dans des conflits religieux.

Les chefs de gangs de la CEDEAO

L’apprenti président François Hollande ne connaît pas l’Afrique et il est mal conseillé, succombant aux vœux de l’establishment militaro-industriel français. Il a déclaré « le temps de la Françafrique est révolu » à Dakar le 12 octobre, le jour même du vote de la résolution du Conseil de Sécurité, confondant ainsi les actes et ses paroles.

La Françafrique c’est avant tout des mécanismes de corruption et de rétro-corruption, des relations incestueuses néo-coloniales avec des régimes illégitimes, despotiques et sous-développés.

François Hollande fait une lourde erreur en s’appuyant sur le syndicat des chefs d’État francs-maçons de la CEDEAO, enfants gâtés des réseaux de corruption de la Françafrique. Aucun d’eux ne dirige un Etat digne de ce nom. Ce sont plutôt des chefs de gangs. Tout ce que leurs pays compte de fonctionnaires civils et militaires n’a qu’une seule activité lucrative, le racket systématique des populations. Il faut vivre en Afrique où l’avoir traversé pour connaître l’ampleur du phénomène.

Soucieux de rester le plus longtemps possible à leurs postes, craignant les coups d’Etat, les dirigeants africains parrainent le racket, et bloquent l’équipement et la modernisation de leurs armées. C’est pour cette raison que l’armée malienne a été déconfite en quelques semaines par le MNLA.

Les troupes de la CEDEAO, sur lesquelles compte la Françafrique, n’ont aucune tradition de guerre noble. Elles ne servent qu’à racketter les populations en temps de paix. En temps de conflit ou de guerre, elles opèrent des massacres, des viols, des rapines, du brigandage, …

Face une élite africaine étonnamment silencieuse, la critique sur le discours de Dakar est venu du Front de gauche français qui a fixé à Hollande les conditions de la fin de la Françafrique : « en finir avec le soutien aux dictatures, revoir les conditions de l’aide publique au développement, soutenir le développement d’une agriculture paysanne, respecter la souveraineté agricole, agir contre la prédation des terres, exiger et contrôler la transparence des pratiques des grandes entreprises françaises en Afrique, rendre aux Africains l’autonomie de gestion du Franc CFA, créer un rapport de force avec les structures internationales qui pillent l’Afrique, ré-examiner la dette et l’annuler, soutenir les politiques d’éducation et d’enseignement supérieur, avoir une politique ouverte de circulation et de résidence des personnes, regarder en face notre histoire en soutenant la création de commissions d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les responsabilités de la France dans les atrocités commises durant la colonisation et ses implications dans les génocides, coups d’Etat et renversements militaires ».

Le Front de gauche critique aussi l’option militaire au Mali : « c’est sans vergogne que la France reste militairement présente en Côte d’Ivoire pour appuyer le régime de Ouattara, conduit au pouvoir par l’armée française et maintenu par des criminels de guerre. C’est sans vergogne que vous vous ingérez dans les affaires internes au Mali par le biais de la CEDEAO, en imposant un gouvernement prétendument d’union nationale et une solution militaire extérieure ».

S’il s’engage précipitamment dans sa première aventure guerrière, le socialiste Hollande va vite se mettre à dos les opinions publiques africaine et française, et laisser une piètre image de sa présidence, tout comme Sarkozy que les Africains ont vite fait d’oublier.

L’Algérie, seul médiateur pragmatique

L’origine de la crise malienne remonte à 1957, lorsque les Touaregs et les Maures de l’Azawad avaient demandé à ne pas faire partie du processus d’indépendance ouest-africain à travers une pétition signée par 300 chefs locaux. Ils soulignaient leur incompatibilité avec les sociétés subsahariennes et demandaient à être intégrés au Sahara français qui était alors la partie sud de l’Algérie française.

Dans une lettre adressée au général de Gaulle le 30 mai 1958, ils écrivaient : « Nous vous affirmons notre opposition formelle au fait d’être compris dans un système autonome ou fédéraliste d’Afrique noire… Nos intérêts et nos aspirations ne pourraient dans aucun cas être valablement défendus tant que nous sommes attachés à un territoire représenté forcément et gouverné par une majorité noire dont l’éthique, les intérêts et les aspirations ne sont pas les mêmes que les nôtres. C’est pourquoi nous sollicitons votre haute intervention équitable pour être séparés politiquement et administrativement et le plus tôt possible d’avec le Soudan français pour intégrer notre pays et sa région Boucle du Niger au Sahara français dont nous faisons partie historiquement et ethniquement. »

C’est donc sur la base de cette revendication historique, source de toutes les rébellions, que des négociations peuvent s’ouvrir sans le fracas des armes, que le MNLA a déposé après avoir libéré son territoire, et n’a pas voulu retourner contre ses frères d’armes, fussent-ils islamistes.

L’Algérie est à l’avant-poste de ce conflit et doit fermement s’opposer à toute aventure militariste, dont elle payerait chèrement les conséquences.

Ni la France, ni les USA, ni la CEDEAO, ni l’ONU n’ont d’autre choix, que de laisser l’Algérie jouer son rôle de pièce maîtresse dans l’échiquier des négociations, comme elle l’a toujours fait depuis 50 ans.

Saâd Lounès

http://www.kabyles.net/en-recolonisant-l-azawad-la,9277.html

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