Lydie Boka, directrice de StrategiCo « Les chefs de guerre pro-Ouattara doivent être traduits devant la CPI »

Mme Boka

Lu dans L’Intelligent d’Abidjan N° 2677 du mardi 30 octobre 2012
Interview réalisée par Michel Russel Lohoré, à Lille (France)

Si le marché mondial de la notation est surdominé par les cadors américains Standard & Poor’s (S & P), Moody’s et britannique Fitch, en Afrique, le petit poucet StrategiCo, à mi-chemin entre la notation et l’analyse de risque, est crédité d’une meilleure connaissance et d’une large prise en compte des réalités sociales du continent. Basée à Lille, cette structure créée en 2005 opère dans une quarantaine de pays africains et revendique un portefeuille comprenant des gouvernements, des banques, des compagnies pétrolières et minières. Chaque année, sur la base d’une matrice de quarante critères, elle passe au tamis les données politiques, économiques et sociales de chaque pays pour en fixer la cote d’attractivité. Le vendredi 16 novembre 2012, à Bruxelles, StategiCo procédera au lancement de son rapport 2013 sur le risque en Afrique. Dans un entretien à L’Intelligent d’Abidjan, sa directrice, l’Ivoirienne Lydie Boka, marquée par son parler-vrai, présente l’événement et décrypte le cas de la Côte d’Ivoire, en disant surtout les choses comme elle les pense.

Quels sont les axes clés de cette rencontre?

Elle va permettre de mettre en avant les dix pays porteurs d’espoirs pour l’Afrique. Parmi lesquels le Botswana, l’Ile Maurice, le Mozambique pour des raisons économiques et politiques. Il y en a qui sont uniquement listés dans la catégorie politique. C’est le cas du Bénin et le Niger, même s’il y a des problèmes potentiels de sécurité au Nord du Niger . Il y a la catégorie économie dans laquelle on retrouve la Côte d’Ivoire et le Rwanda. Parmi les pays au tableau d’honneur, le Malawi qui a connu cette année une trasition pacifique quand bien même ce n’était pas évident. Le Sénégal qui porte haut le flambeau de la démocratie. Et bien sûr le Ghana, dans les deux catégories. Le Bénin ev t bien d’autres. Il y aura en fait une dizaine de pays honorés.

Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’il s’agit là d’une tribune dressée pour vos clients et des prospects?

Ce n’est absolument pas vrai car la grande majorité de ces pays ne sont pas dans notre portefeuille. 90% de ces pays ne sont pas nos clients, et cela peut se vérifier. Ce forum est uniquement sponsorisé par nos clients commerciaux. C’est cela notre force, nous sommes totalement indépendants. Et pour clarifier les choses, nous n’allons pas seulement donner la parole aux gouvernants de ces pays. Nous avons aussi adressé des invitations à l’opposition, notamment à leurs représentants en Europe. Si nous avions eu les moyens de faire venir les chefs de l’opposition d’Afrique, nous l’aurions fait. Ce sera peut-être l’année prochaine. Nous sommes ouverts à des débats contradictoires. Les représentants de l’opposition pourront donc réagir parce que nous croyons en la démocratie.

Au cours de ce forum, vous allez présenter le rapport 2013 StrategiCo. Qui sont les tops et les flops?

Au rang des bons élèves, nous avons le Botswana, l’Ile Maurice, le Mozambique, le Ghana, dans la tégorie économie et politique. Et peut-être le Libéria. Dans la catégorie économie (et j’insite là-dessus), il y a le Rwanda et la Côte d’Ivoire. Le Rwanda est N°1 en matière de  » business relations  » et de bonne gouvernance. Je ne dis pas que la corruption n’y existe pas, mais là-bas, il faut se lever de bonne heure pour s’y adonner. L’Afrique a des choses à apprendre du Rwanda. Ce pays a connu la guerre civile et le génocide. Mais il s’est développé de façon extraordinaire et ordonnée, alors que son voisin, le Burundi, qui est dans la même configuration parce qu’ayant connu de graves crises socio-politiques, patauge. C’est un contraste saisissant. S’agissant de la Côte d’Ivoire, c’est vrai qu’on a en ce moment de grands soucis sécuritaires et politiques, mais on ne peut pas occulter ce qui est en train de se faire au plan économique. Il faut aussi reconnaître sur cet aspect que les pays post-conflit se développent vite. Parmi les bons élèves toujours, mais seulement au plan politique, figurent le Sénégal, le Malawi, le Niger, le Bénin. Et puis naturellement , il y a les mauvais exemples. A commencer par la Guinée Bissau. Pendant que des pays cherchent à avancer, là-bas, on continue de se battre. Je déplore aussi l’exemple du Cameroun (et à ce sujet, permettez-moi de me faire entendre de mes frères camerounais qui se sont immiscés dans la crise ivoirienne comme si c’était chez eux). Au Cameroun, ils ont un vieux papy au pouvoir depuis 1982. Un homme pour lequel j’ai beaucoup de respect. Il est intelligent et était brillant au début. Mais ils devraient s’en préoccuper puisque cela fait trente ans qu’il dirige leur pays. C’est un vrai problème qu’ils devraient plutôt chercher à régler. Moi, ma fille aînée a 29 ans et elle a déjà fini ses études. Ca veut dire que si elle était née au Cameroun, elle n’aurait vu que la photo de Paul Biya depuis tout ce temps. Ce n’est pas normal. Vous vous rendez compte? 40% de la population africaine a moins de 14 ans, nous sommes à l’heure des nouvelles technologies et nous avons encore des octogénaires chefs d’Etat. Regardez le Burkina Faso. Il y a des progrès économiques, mais Blaise Compaoré a accédé à la tête de ce pays en 1987, dans les circonstances que l’on sait, avec l’assassinat du charismatique Thomas Sankara. Vingt-cinq après, il est encore là. Et selon certains (je ne sais pas si c’est exact ou pas), il a l’intention de modifier la Constitution et que son frère pourrait lui succéder. Cela doit être clarifié. Le Tchad est également un pays décevant. Déby est en place depuis 1989. Je ne parle même pas des cas Dos Santos en Angola et Obiang Nguema en Guinée équatoriale. Chaque pays a certes sa particularité et on ne peut pas imposer un modèle de démocratie à l’Occidentale. On doit quand même tendre à trouver un modèle qui marche pour la paix. Et puis en Afrique, il existe une espèce de dynasties. Qu’on le veuille ou non, c’est devenu une espèce de monarchies. Il est anormal qu’au Gabon, le nouveau président soit le fils du premier. Mais le cas gabonais est encore un peu mieux que celui du Togo où le fils a pris la place du père. Ce qui fait que depuis quarante ans, c’est la même famille qui gouverne le pays, et poutant au Togo, il y a une population instruite. C’est une injure faite à un tout un pays. La longévité au pouvoir est un risque et c’est un élément important dans l’évaluation de StrategiCo. Sur le continent, certains pays sont porteurs d’espoirs. En Ethiopie, après le décès de Meles Zenawi, il n’y a pas eu de tremblement de terre. C’est une bonne nouvelle pour l’Afrique ; les deux Soudan ont en dépit des tensions signé un accord de paix ; en Egypte, le président Morsi, malgré les convulsions de l’après-Moubarak, a fait preuve d’intelligence. Il est d’abord allé en Iran, en Chine puis en Amérique. Il a diversifié sans complexe ses relations extérieures quand bien même l’Egypte reçoit annuellement près de 2 milliards de dollars d’aide des Etats-Unis pour maintenir la paix dans la région. C’est ce genre de leader qu’on veut voir émerger. J’ai quelques inquiétudes pour le Maroc et l’Algérie.

Aux présidents Sassou, Nguema, Déby, Dos Santos et Compaoré, vous conseillez très clairement de prendre leur retraite?

Oui, ils doivent le faire s’ils aiment vraiment leurs peuples. Et puis dans les Constitutions de ces pays, il y a des vides effrayants. Au Cameroun, en cas d’indisponibilité du président de la république, c’est normalement le président du sénat qui doit lui succéder. Or le sénat n’existe pas là-bas. Nous sommes tous des mortels. Le Cameroun a deux cents-cinquante ethnies. Si Biya disparait, que fera-t-on? C’est dangereux.

Au Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso nourrit-il des velléites de succession héréditaire?

Selon la rumeur, oui. Mais je ne crois pas.

La Côte d’Ivoire fait partie des coups de coeur économiques du rapport StrategiCo. Ce pays n’a pas fini de soigner les profondes déchirures causées par la tragique crise post-électorale. Ca se voit, le président Alassane Ouattara est hyper actif pour bâtir des infrastructures et attirer les investisseurs. Pour notre pays, le FMI table sur un taux de croissance de 8% dès l’an prochain. Curieusement, dans bon nombre de baromètres économiques publiés ces derniers mois, y compris l’Index Ibrahim, la Côte d’Ivoire se retrouve au bas de l’échelle ou au mieux dans le ventre mou des économies attrayantes. Or StrategiCo la classe parmi les meilleures. Qu’est-ce qui vous fonde votre appréciation?

Ce que j’ai remarqué , par exemple, c’est que depuis la fin de la crise post-électorale, le trafic a augmenté au port d’Abidjan. Il y a eu plus de cacao exporté cette année qu’en 2011. En un temps record, le gouvernement ivoirien a finalisé des accords: 3ème pont (même si c’est un projet ancien), la finalisation de l’accord PPTE. Même s’il n’y a pas de raison d’être fier d’avoir un statut de pays très endetté, ça réduit considérablement la dette de notre pays et c’est une performance. Le gouvernement a surtout réussi à ramener la confiance. On était en cessation de paiement, on était au ban de la communauté internationale et on ne parlait même plus au FMI. Quand vous êtes dans cette situation, les investisseurs ne viennent pas chez vous. Or le développement d’un pays repose sur l’épargne nationale, l’investissement et les dépenses. Etant un pays en développement, si vous coupez les investissements extérieurs, vous vous amputez d’un bras. Une fois que vous instaurez la confiance, les investisseurs reviennent. C’est très important dans le cas de la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi, on l’a comptée parmi les pays performants.

Qu’est-ce qui vous rassure dans la stratégie d’Alassane Ouattara?

Il a un programme économique qui tient la route. L’année dernière, nous avons étudié son programme. Il y a là-dedans un volet social et un volet contruction d’infrastrucures qui nous rassurent. Pour nos populations démunies, qui ont beaucoup souffert de la crise, créer des activités génératrices de revenus est très important. De 2002 à 2011, il n’y a pas eu d’investissements sous Gbagbo. Ce n’était pas non plus la faute de Gbagbo puisque ce que les investisseurs voulaient avant tout, c’était les élections. On a cru au programme de Ouattara et depuis il a joint l’acte à la parole. Certains disent que c’est un pigeon voyageur et qu’il est tout le temps dans les avions. C’est peut-être vrai que ça coûte très cher à l’Etat mais d’un autre côté, il a réussi à ramener quand même pas mal de choses . Et il a essayé de diversifier, il n’a pas tout donné à la France contrairement à ce qui est rapporté par certaines personnes. Il a donné un peu à tout le monde. Pour nous, c’est un homme intelligent, sur le plan économique. (Rires).

Vous dites bien que de 2002 à 2010, l’absence d’investissements en Côte d’Ivoire n’était pas du fait de l’ancien président Laurent Gbagbo?

Pas tout à fait de sa faute. L’argument avancé par les gens qui n’investissaient pas était qu’ils attendaient les élections. Maintenant, on peut débattre. Etait-ce de la faute de Gbagbo s’il n’y avait pas eu d’élections? Pour moi, ce n’était pas tout à fait de sa faute.

Le président Ouattara a promis de créer un million d’emplois en cinq ans. Vous y croyez?

J’y crois. Mais, et c’est pour ça que nous faisons ce travail, cela ne dépend pas uniquement de lui. La réalisation de ce vaste et ambitieux programme dépend de la sécurité et de la paix. C’est pourquoi il faut faire un pas vers la partie adverse. Et puis le secteur privé n’est pas fou, il n’investira jamais à un endroit où il y a des coupeurs de route. Comment voulez-vous créer des emplois si la paix et la sécurité font défaut? Il faut la sécurité. Sinon, cette bonne intention peut être mise en danger. Mais je crois que techniquement, M. Ouattara a la compétence et la volonté de réussir ce pari.

Sa grande ambition est de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. Est-ce envisageable?

Oui, à condition que ces attaques cessent. Ces attaques lancées sur les infrastructures économiques ont manifestement pour objet d’effrayer les investisseurs occidentaux. Il n’y a pas que les Occidentaux. Regardez, récemment, je travaillais sur le Burkina où il y a eu des problèmes d’approvisionnement en électricité à cause de l’attaque subie par la centrale thermique d’Azito. Vous voyez l’interdépendance! Et puis les mauvaises nouvelles voyagent vite. Heureusement, ça a pu être résorbé. A chaque nouvelle attaque, on pense que c’est la dernière, et la semaine d’après, ça recommence. Ce n’est pas bon. Il faut que le régime aille à la racine du mal et trouve une solution. Et ceux qui sont responsables doivent penser à l’intérêt supérieur de la nation. Pendant que d’autres se développent, nous, on en est là. C’est un peu malheureux!

Les détracteurs du régime ivoirien l’accusent de prospérer sur le tribalisme et les effets d’annonces.

Je trouve que c’est excessif mais c’est de bonne guerre . Il y a quand même une réalité si on regarde le gouvernement, les nominations dans l’administration. Il y a eu cette phrase malheureuse même du président Ouattara qui a parlé de rattrapage ethnique et qui rappelle des souvenirs douloureux. On ne peut pas reprocher à l’ancienne équipe d’avoir soi-disant  » bétéisé  » l’armée ou l’administration et venir donner des postes, même si elles sont compétentes, à des personnes issues, et l’expression n’est pas de moi, du même espace socio-religieux et culturel. Il y a quand même eu cela. Le régime doit montrer un peu plus de diversité. Moi, je suis resté perplexe, et je le dis franchement, devant la nomination du frère de M. Ouattara comme ministre des Affaires présidentielles. Cela n’était absolument pas nécessaire puisque ça alimente la polémique. C’est une erreur à mon avis et j’espère que cela va être rectifié parce qu’il nous a habitués à autre chose. Quand il était dans l’opposition, il a tenu un certain discours. Voilà! Je ne pense pas que le frère de M. Ouattara eut eu besoin de cette position pour prouver quoique ce soit. Ce genre de choses peut mettre en doute la parole du président Alassane Ouattara.

Le processus de réconciliation tel que mené par Charles Konan Banny vous satisfait-il?

Non, absolument pas! Comme la majorité des Ivoiriens. Car on a comme l’impression qu’on tourne en rond. Je ne pense pas que ce soit uniquement dû à la personnalité consensuelle de M. Banny, lui qui s’est exprimé dans la presse pour déplorer le manque de moyens. Il faut aller jusqu’au bout des choses, prouver qu’on a tenté d’atteindre tel objectif et qu’on a rencontré tel obstacle. Je n’en suis pas très convaincue. J’ai l’impression qu’on prend cela un peu à la légère. Il y a des gens qui aimeraient rentrer mais ils ont peur d’être jetés en prison. Les efforts de la CDVR (Commission dialogue, vérité, réconciliation) sont quelque peu réduits à néant aussi. D’un côté, on tient un langage de velours et de l’autre, on a un gros marteau qui vous attend. Ca c’est une réalité. Il faut qu’on sache s’asseoir pour tout déballer et avancer. Que n’a-t-on pas connu en Afrique du Sud? Là-bas, on a vu toutes sortes d’horreurs, des gens ont été brûlés vifs. Mais après, pour se réconcilier, on a crevé l’abcès, on a tout déballé. Je ne dis pas que tout est parfait. Il y a encore des rancoeurs. Mais au moins, on s’est parlé. En Côte d’Ivoire, on n’a pas fait cela. On tourne en rond.

Est-ce que le camp Gbagbo est crédible quand il laisse entendre qu’il n’y a rien à lui reprocher et que tout est dirigé contre lui?

Bien sûr que non! Le camp Gbagbo non plus n’est pas crédible. Parce que franchement, une fois, deux fois, on peut croire. Mais qui gagne dans ça? Il profite de la confusion du fait qu’il y ait des choses non soldées au sein de l’équipe actuelle au pouvoir qui comprend plusieurs forces concurrentes (RDR-PDCI-UDPCI-MFA-anciens rebelles). On n’est pas sûr que l’alchimie soit parfaite entre ces forces. Donc le camp Gbagbo profite de cette possibilité de mésentente au sein de l’équipe au pouvoir. L’ancien régime avait acheté beaucoup d’armes. Je n’ai pas peur de dire que j’ai de forts doutes sur leur sincérité. Il y a une aile politique qui fait son travail politique, et une aile militaire qui est indéniable. Car, qui aujourd’hui peut gagner si Ouattara n’avance pas ? C’est le camp Gbagbo. Même si les ex-rebelles se fachent parce qu’ils n’ont pas reçu tout ce qui leur avait été promis, ils se sont battus pour une cause, et ils aimeraient que les gens qui sont là aujourd’hui réussissent. Je ne vois pas qui peut gagner à ce qu’on fasse sauter une centrale thermique. (Rires).

Donc vous soutenez les procès en cours alors?

Non! Je trouve que la machine est un peu lourde. Bon , ils ont fait quelques progrès maintenant mais ce n’était pas toujours le cas. Il faut qu’ils soient absolument transparents. Il ne faut pas qu’on arrête comme ça quelqu’un sans preuve. Je ne suis pas d’accord. Quand on procède à une arrestation , il faut apporter des preuves sinon ça laisse des frustrations. Le cas de Laurent Akoun m’avait un peu surpris.

Son arrestation avait été justifiée.

Après. Pas sur le champ. Quand on apprend cela, ça rappelle de mauvais souvenirs. Mais c’est quand même mieux que le passé. Car à une certaine époque, des gens disparaissaient sans trace !

La détention de Laurent Gbagbo à la Haye ne jette-t-elle pas une hypothèque sur l’avenir de la Côte d’Ivoire?

Je ne crois pas. Il n’a pas été jugé et il n’est pas exclu qu’il y ait un jugement en sa faveur.

En dépit des graves accusations portées contre lui? Trois mille morts, selon l’Onu , parce qu’il refusait de reconnaître sa défaite aux élections…

Il va se défendre. Il y a eu une crise post-électorale avec des dégats des deux cotés. Il ya des accusations mais il ne s’est pas encore défendu. Et pour moi, tant qu’un jugement final n’est pas rendu, je ne crois pas que ça compromette quoique ce soit. Vous avez des gens comme Hissein Habré qui ont fait des choses horribles. Il est aujourd’hui soit disant en résidence surveillée. Il est bien au Sénégal et il va être jugé maintenant. C’est très important pour le devoir de mémoire. Donc, on n’est pas à l’abri , je ne dis pas de grosses surprises, mais je préfère attendre le verdict.

Les chefs de guerre pro-Ouattara doivent-ils être jugés?

Absolument oui !

Ils doivent être traduits devant la Cour pénale internationale?

Oui, comme les chefs rebelles de la République Démocratique du Congo qui ont d’ailleurs été réclamés par la CPI.

Pourquoi?

Parce qu’ils ont commis des exactions contre des civils. Même s’ils ont aidé le pouvoir. Moi je peux me lever aujourd’hui, cher M. Lohoré, et dire  » j’estime que le pouvoir de Ouattara méprise ou maltraite telle partie de la population, donc moi je prends les armes  » . Des gens qui m’aident commettent des exactions et j’arrive au pouvoir. Et comme on estime que c’est légitime, on ne les sanctionne pas parce qu’on est maintenant au pouvoir. Vous trouvez cela juste? Non. Tous ceux qui ont tué pour des causes politiques ou pour réparer soit disant des injustices, doivent être jugés. J’ai confiance en la justice internationale. Elle est diverse. Ce sont en principe des gens qu’on ne peut pas corrompre. C’est la justice internationale qui dira qui dira qui est coupable ou non. Tout le monde doit être jugé.

A propos de justice et de corruption, le gouvernement ivoirien vient de suspendre huit magistrats.

C’est bien. S’il y a des preuves, bien sûr que c’est très bien. Il faut qu’on change de comportement. Ca, c’est général à toute l’Afrique. Même si les salaires sont bas, il faut qu’on ait la fierté du poste qu’on occupe. Ca ne fait pas l’affaire de tout le monde mais il faut être dur là-dessus.

Pensez-vous que le Premier ministre Jeannot Ahoussou Kouadio a l’étoffe de l’emploi?

Je lui donne encore quelques mois pour voir. Je ne le trouve pas pire ou meilleur que ses prédécesseurs. Que ce soit MM. Ouattara, Diarra, Banny ou Soro, ils ont été chacun Premier ministre de Côte d’Ivoire à des moments particuliers. Là, on est dans une situation de crise post-électorale, il faut réconcilier les Ivoiriens. On est dans un régime présidentiel. Quel que soit le chef de gouvernement, le débat est ouvert. Ahoussou a été nommé il y a quelques mois. J’attends qu’il ait peut-être un an pour voir comment il réagit devant des crises, comment il les anticipe. Je n’ai pas d’opinion sur lui pour le moment.

Conférence Bruxelles

Encadré:
Affectée par l’ivoirité

Vendredi 19 octobre, installé à la terrasse d’un restaurant de la chic Grand’Place de Lille, je regarde une dame descendre d’un  » V’Lille  » (vélo lillois). Impeccable dans son jean’s, chaussée de bottes et coiffée d’un bonnet. Alors que le ciel est toujours aussi gris, elle a choisi de faire du vélo pour me rencontrer. Allure vive, sourire généreux, Lydie Boka-Mené est née en 1959 à Agboville (Côte d’Ivoire). Titulaire d’une licence d’allemand obtenue à la fac de lettres de l’Université d’Abidjan, elle dispense des cours au lycée hôtelier de Cocody-Riviera avant d’aller étudier la finance et l’économie à l’Académie diplomatique de Vienne, en Autriche. De retour au pays en 1988, elle travaille tour à tour à l’USAID (spécialiste de programme), à la SFI (chargée du programme Afrique de l’ouest), au Zimbabwé, puis à la SFI Afrique centrale basée au Cameroun. En 1998, elle rejoint le département Trésorerie de la BAD à Abidjan. C’est à ce moment que la vie de Lydie Boka, fille d’une mère d’origine franco-malienne, va connaître une inoubliable secousse. Voulant se faire établir des documents administratifs, on lui exigea les papiers d’identité de ses grands parents. L’ivoirité venait de faire une autre victime !  » J’ai été très décue de la Côte d’Ivoire. Je me suis sentie humiliée, enrage-t-elle. Alors, j’ai décidé de m’en aller  ». Ce qu’elle fit en août 1999 en mettant le cap sur Amsterdam (Hollande) où elle décroche un job au Common Fund for Commodities.  » Je m’occupais des oléagineux. Ca m’a donné une vision mondiale que j’ai beaucoup apprécié  ». Mais, à 40 ans, elle entendait mettre son expérience au service de l’Afrique. De retour en France en 2001, c’est à la suite de brefs intermèdes à Reuters et chez l’agence de notation Fitch (comme analyste pour supranationaux) qu’elle décide de créer StrategiCo, spécialisée en analyse du risque en Afrique.  » Je pensais qu’il y avait un complément à apporter à l’appréciation qualitative des pays africains  », justifie-t-elle. Avec son équipe de vingt collaborateurs réparties sur le continent, elle dissèque pour les investisseurs l’état de santé et les perspectives politiques et socio-économiquesdes pays africains. Et pour la crédibilité de StrategiCo, elle assure ne pas transiger avec ses critères contraignants.  » J’en suis très fière parce que, dans le milieu, je suis la seule africaine qui peut dire sans crainte ce qu’elle pense des gouvernants  », assume Mme Boka. Agacés par ses rapports peu réluisants sur leurs pays, les ambassadeurs de la Guinée Equatoriale, du Congo et du Soudan l’avaient convoquée pour une explication du texte. Elle y a répondu, la tête haute et avec les mêmes convictions.

Michel Russel Lohoré à Lille (France)

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